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Earl Sweatshirt – Doris : le petit homme des grands desseins

Earl Sweatshirt – Doris : le petit homme des grands desseins

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Par Tomas Statius

Publié le

En sortant Doris, Earl Sweatshirt exorcise autant qu’il confirme. Chronique d’un album qui à force d’être attendu risquait de décevoir. 

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Il y a quatre ans ans, le monde de la musique découvrait avec angoisse et fascination le visage poupon d’un rappeur de 16 ans. Assis confortablement dans un fauteuil de coiffeur, un gamin qui rappait le viol, les cocktails médicamenteux et les beuveries sans fin dans l’ennui des banlieues pavillonnaires.

Et au moment d’aborder le premier album “major” d’Earl Sweatshirt il est bon de rappeler tout ça.

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Earl Sweatshirt – “Earl”

D’où il vient, bien sûr, mais surtout qu’à l’époque, avant que Tyler se construise un costume saillant de phénomène rap de la génération Y, c’était Earl la pépite qu’on attendait en provenance d’Odd Future. Une pépite qui n’a donné qu’un album éponyme avant de disparaître.

Puis une rumeur qui n’a fait qu’enfler à mesure que ces compères de Golf Wang en appelait à sa libération. “Free Earl”, vous vous souvenez. OF explosait, les tee-shirts satanistes, les casquettes Supreme : le rap se mettait au skate, à la violence gratuite, à Twitter. Un peu comme un passage de témoin.

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Earl Sweatshirt – “Home”

Puis, un beau jour, Earl a annoncé son retour en chanson : le titre “Home” publié en février 2012 se terminait de la plus belle des manières. “And I’m Back. Bye” disait-il comme un soulagement, et, on le pensait, comme une façon d’assumer son statut de rappeur le plus talentueux de sa génération.

Ses différentes collaborations et son couplet sur le titre “Oldie” d’Odd Future Tape Vol 2 ne faisaient qu’attiser notre enthousiasme. Parce qu’il semblait avoir la dalle, la rage et puis surtout il était tellement au-dessus des autres. Tyler y compris, malgré toute sa bonne volonté.

Un talent inné et un don pour les images. Ce n’est pas pour rien qu’on le compare à MF DOOM, passé maître en la matière.

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Odd Future – “Oldie” 

À l’époque on pensait qu’Earl allait tuer le game pour les cinq années à venir. On espérait à propos de ce Doris, annoncé de longue date (le premier extrait “Chum” est paru en novembre dernier), un Illmatic version 2010. On en espérait peut être trop.

Et c’est peut-être le problème de l’opus en entier. Paradoxalement, peut-être qu’Earl a trop bonne presse pour que l’accueil de Doris soit unanime. Et juste.

Earl Sweatshirt : Itinéraire d’un enfant du “swag”

Mais n’en venons pas trop vite aux conclusions.

En quatre ans, Earl Sweatshirt en a vécu des trucs. Comme les autres membres de l’écurie OF, il a pris le succès en pleine face. Et contrairement à certains, Thebe Neruda Kgositsile de son vrai nom ne le vit pas comme quelque chose de joyeux. À l’heure de la “professionnalisation” de son talent inné, les idées noires sont toujours présentes.

Et c’est peut-être ce qui frappe le plus quand on écoute Doris. Les idées noires.

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Celles-ci apparaissent d’emblée. Quand sur la deuxième piste de l’album, “Burgundy”, Earl en vient à ses traumatismes, sa psyché tourmentée, sa relation difficile avec le succès et les grands desseins que le monde lui prédit (l’héritage de son père, le célèbre poète sud-africain  Keorapetse Kgositsile semble particulièrement difficile à porter). Comme un premier de la classe, qui peine à assumer son statut, Earl se cache, bien souvent.

Derrière les featurings d’abord (ils sont légions). Ce n’est pas une tare, ils sont en général très bons (mise à part la chanson partagée avec Mac Miller) avec une mention spéciale pour Domo Genesis que l’on avait pas entendu si inspiré depuis bien longtemps. Il est juste significatif de commencer son premier album “major” par le couplet d’un rappeur presque inconnu sur une chanson sans épaisseur (“Pre” en featuring avec SK La’ Flare) alors que la marche triomphale co-produite par Chad Hugo et Pharrell Williams suit.

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Earl se dissimule ensuite derrière une nonchalance qui n’a fait que grandir à mesure qu’il rencontrait le succès. Loin de vouloir “démontrer” ses qualités de rappeur, sur Doris il ne fait que s’amuser avec les mots. Et il le fait magistralement. Des images, donc, des figures de style, mais peu de rythmes et de ruptures pour un flow monocorde. Le MC crache littéralement ses pensées, il les expulse, la mélancolie toujours au fond du gosier. Le talent jamais loin.

Et loin de questionner les bonnes moeurs de son temps (comme à l’époque de la mixtape EARL), dans Doris les thèmes évoqués sont extrêmement personnels : la mauvaise santé de sa grand mère ou sa relation au père (“Burgundy”), ses amours (“Sunday”), l’absurdité de la vie dans la cité des anges (“Hive”), ou encore le malaise qu’il vit tous les jours (sur “Chum”, véritable chef d’oeuvre de l’opus).

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En fait, au niveau de l’écriture, seuls les titres en featuring avec son alter-ego Tyler jurent. La fierté de l’équipe, l’enthousiasme (tout relatif) momentanément retrouvé. “TRASH WANG, LOITER SQUAD, GOLF WANG NIGGA”.

Du goût et des “beats”

Bon, ok Earl écrit bien. Ce n’est pas vraiment une nouveauté. Cela a toujours été la raison de son succès. Sa plume. 

Et à l’instar de son copain Tyler Okonma, ce que l’on savait moins, c’est qu’Earl est un beatmaker talentueux. Il le prouve en assurant un grande partie de la production sur son album, pour des réussites à noter : le titre “20 Wave Caps” est un bijou, “Molasses” (en featuring avec RZA) est un essai de style maitrisé, “Uncle Al” un truc qui défie la catégorisation. Avec Flying Lotus dans ses parages, on aurait pu imaginer qu’il a été à bonne école. Mais ce n’est pas tout.

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En plus d’être talentueux, Earl a du goût : ses références réitérées à Gil Scott Heron, son appel à RZA et à BadBadNotGood pour deux featurings le prouve. C’est assez rare pour être souligné.

EPILOGUE

Alors c’est quoi le problème ?

Il n’y en pas vraiment. L’album est excellent (probablement un des meilleurs de la jeune histoire d’Odd Future, et le plus intéressant depuis pas mal de temps). Les mots sont habiles, les productions intelligentes et étonnantes. Peut-être qu’on en attendait trop et qu’on a mal compris ses intentions, trop occupé à se monter la tête.

Au final Earl Sweatshirt n’a pas tué le game. Ce n’est peut-être pas son objectif. Il fait probablement partie de ceux qui préfèrent l’ombre inquiétante aux flashs crépitants. Question de jeunesse et de tempérament. Néanmoins, un jour viendra où son destin se réalisera. Il sera le plus grand et dominera ce continent que l’on appelle “hip-hop”. Juste une histoire de volonté. Et de temps.

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