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Au XXIe siècle, parler des règles est encore tabou

Au XXIe siècle, parler des règles est encore tabou

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Par Anaïs Chatellier

Publié le

Une étude révèle que partout dans le monde, les femmes utilisent des euphémismes pour parler de leurs règles. Cela contribue au tabou qui règne autour des menstruations.  

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La première fois que j’ai entendu parler de l’expression, “Les Anglais ont débarqué“, je devais être en quatrième, période ingrate où celles qui n’ont pas encore leurs règles maudissent celles qui commencent à avoir un peu de poitrine et où celles qui les ont déjà envient celles qui ont encore un peu de répit devant elles. C’était un matin avant d’aller en cours, je racontais à mes copines ce moment un peu gênant où ma mère m’a serrée fort dans ses bras, tout excitée à l’idée que je sois désormais une “femme”, avant de me séquestrer une heure dans la salle de bains pour me réexpliquer de A à Z tout ce qu’il faut savoir sur les menstruations.

Une copine me lance alors : “Ah ça y est, les Anglais ont débarqué, moi toujours pas, je suis dég...” Mon sourcil droit levé en disait alors long sur mon incompréhension. “Mais si, tu sais c’est pour ne pas dire le mot ‘règle’  [prononcé tout bas], une sorte de code pour que les mecs qui passent à côté ne nous comprennent pas.

Sur le coup, j’ai trouvé ça assez horrible d’associer tout le sang qui a coulé avec l’invasion des troupes anglaise (vêtues de tunique rouge) en France – apparemment, l’expression remonte à 1815, après la défaite de Napoléon – avec mes menstruations. Mais après, j’ai fait comme mes copines, j’ai dessiné un petit bateau au stylo rouge dans mon agenda sur les jours où j’avais mes règles, histoire de voir si elles allaient commencer à être régulières et pour essayer de prévoir plus ou moins quand est-ce qu’elles allaient tomber, en priant pour que ça n’arrive pas en pleine séance de sport. Au moins, si un garçon voulait m’écrire un mot dans mon agenda, c’était pas trop trop grillé.

Bref, maintenant j’ai grandi, ça fait un bon bout de temps que je ne dessine plus de petits bateaux rouges dans mon agenda (merci la pilule) et que je n’utilise plus cet euphémisme. Sans pour autant crier sur tous les toits “j’ai mes règles”, je n’ai aucune honte à le dire lorsque je suis en terrain conquis, soit avec mes amis. La question est différente en terre moins connue. On s’est déjà toutes retrouvées en soirée à emmener une de ses potes à l’écart et à lui chuchoter à l’oreille : “t’aurais un tampon à me dépanner s’il te plaît ? Je devais les avoir que demain…“. Quand on y pense bien, c’est quand même un peu stupide, on ne devrait pas avoir honte de quelque chose de naturel.

Pourtant, une étude réalisée par Clue (une appli de suivi des règles) et la Coalition internationale pour la santé des femmes, relayée en France par Slate, révèle que la plupart des femmes autour du monde utilisent des euphémismes pour parler de leurs menstruations, ce qui est révélateur de la honte et la gêne. 

5 000 termes différents pour parler des règles

Pour mener cette enquête, il a été demandé à 90 000 femmes, dans 190 pays, de définir leur rapport à leurs règles. Les résultats sont sans équivoque : la grande majorité utilise des euphémismes pour en parler. Ainsi, les Américaines racontent qu’elles ont eu la visite de tante Flo (surement une référence au terme “flow” qui signifie flux en français) tandis que les Suédoises et les Allemandes invoquent des fruits, avec “la semaine des airelles (sorte de baie rouge comestible)” pour les premières et “la semaine des fraises” pour les secondes.

En France, elles sont 91 % à avoir répondu “oui” à la question “Est-ce que dans votre pays les personnes utilisent des euphémismes pour parler de leurs menstruations ?“. Il existerait ainsi plus de 5 000 termes différents pour désigner les règles. Cela vous paraît peut-être anodin, pourtant cela rappelle le grand tabou qui règne autour. Tabou véhiculé par les femmes elles-mêmes, comme le rappelle Françoise Girard, présidente de la Coalition internationale pour la santé des femmes au Washington Post :

“En utilisant ces termes, on intériorise la honte, cela suppose que c’est quelque chose de mauvais, quelque chose dont on devrait avoir honte. La société vous dit que les règles sont quelque chose que les femmes devraient cacher.”

Les publicité ne font rien pour aider

Il suffit de se rappeler de cet épisode où Instagram a décidé de censurer la photo d’une jeune femme dont le pantalon est taché de sang menstruel et tous les commentaires qu’elle a reçus pour assurer que malheureusement, au XXIe siècle, les règles sont encore taboues. Il faut dire que les publicités qui n’osent pas dire le mot “règles” et qui ont abusé de la couleur bleue pour imiter cet écoulement sanguin ne font rien pour améliorer les choses. Ce tabou pourrait également expliquer toute cette polémique autour de la Taxe tampon et le refus de certaines personnes de considérer les protections hygiéniques comme des produits de première nécessité.

Et encore, cela n’est rien à côté de certains pays qui interdisent par exemple l’accès au temple pour les femmes en période de menstruation parce qu’elles sont jugées “impures”, ou qui les obligent à quitter leur foyer et à vivre recluses pendant leur cycle afin de ne pas “contaminer” leur environnement.

Alors, pour lever ce tabou ancestral véhiculé par la société et intériorisé par beaucoup de femmes, on rappelle au cas où que les règles, ce n’est pas quelque chose de “sale” ou de “dégoûtant”, mais bien un processus naturel qui arrive à la fin de chaque cycle menstruel lorsqu’il n’y a pas eu fécondation.

Pour ces messieurs qui ont encore des doutes parce qu’ils étaient plus attentifs aux explications sur “comment mettre une capote” que sur “comment fonctionne le corps de la femme” lors des cours d’éducation sexuelle, on leur conseille de regarder cette courte vidéo qui est super simple à comprendre. Et tant qu’on y est, ce serait bien de bannir définitivement la question insupportable et insensée “T’as tes règles ou quoi ?”.

Quant aux femmes, n’hésitez donc plus à dire “j’ai mes règles”, ça contribuera certainement à faire tomber ce tabou.