Konbini Book Club : 5 raisons de se replonger dans l’œuvre du génie Tom Wolfe

Konbini Book Club : 5 raisons de se replonger dans l’œuvre du génie Tom Wolfe

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(© David Corio/Redferns/Getty Images)

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Par Leonard Desbrieres

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Il faisait partie de ces géants qu’on pensait immortels. Tom Wolfe s’est éteint il y a quelques jours après 88 ans passés à nous éclabousser de sa classe. Icône du style, leader de la révolution du “New Journalism”, écrivain parmi les plus lus au monde, le Jean d’Ormesson de l’Upper East Side était l’un des boss de la littérature américaine. Ciao l’artiste !

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1 – Parce qu’il a écrit le Bûcher des Vanités, un des plus grands livres du XXe siècle

Vous ne connaissez pas ? C’est mal. Le Bûcher des Vanités est le second roman de Tom Wolfe et un des plus brillants de la littérature américaine. Une description au scalpel de la ville de New York qui s’est écoulée à des millions d’exemplaires devenant un des livres les plus vendus au monde.

Sherman McCoy est un golden boy de Wall Street qui se prend pour un “maître de l’univers”, à l’abri des ennuis touchant le commun des mortels. Pourtant un soir tout va basculer. Alors qu’il revient de l’aéroport où il était allé chercher sa maîtresse, il se trompe de sortie d’autoroute et se retrouve en plein milieu du Bronx. La panique s’empare d’eux, craignant d’être agressés par la population du quartier, ils commettent l’irréparable, sa maîtresse s’empare du volant pour démarrer en trombe et renverse un adolescent noir de 19 ans. Ce dernier, avant de sombrer dans le coma, a le temps de communiquer la plaque d’immatriculation de la voiture du coupable. Il s’en suit un lynchage médiatique sans précédent pour Sherman qui devient le symbole de cette société à deux vitesses. Toute l’intelligence du roman réside dans l’ambiguïté du protagoniste, à la fois coupable et victime, ce qui le rend particulièrement attachant.

C’est une œuvre magistrale parce qu’elle est tellement de choses à la fois. Fresque hilarante du New York corrompu des années 1980, satire au lance-flammes des inégalités sociales et raciales américaines, c’est aussi un thriller nerveux qui prend à la gorge. Si vous ne l’avez pas encore lu, il n’y a plus une minute à perdre, foncez !

Et pour les plus fainéants, il y a toujours l’adaptation de Brian de Palma avec Tom Hanks et Bruce Willis au casting.

2 – Parce que Tom Wolfe est le dandy ultime

“Peu après avoir publié mon premier livre, je me suis vite rendu compte que j’étais très mauvais en interview. Mais j’ai lu un article qui disait : ‘Comme c’est un homme intéressant, il porte des costumes blancs.’ J’ai donc décidé que les costumes allaient être un substitut de personnalité.” Comme tous les dandys dignes de ce nom, Tom Wolfe a toujours aimé qu’on parle de son apparence avant toue chose. Peu importe l’heure de la journée, les gens qu’il s’apprêtait à voir ou l’endroit où il se rendait, Tom Wolfe portait toujours un de ses trente-deux costumes de flanelle blanche, coupés sur mesure, une de ses soixante-quinze chemises de diverses couleurs et ses chaussures made in London. Il était le dandy par excellence, peut-être même le dernier dandy littéraire de notre époque. Depuis 1962, il ne s’est pas passé un jour sans qu’il porte son uniforme. Il se définissait lui-même, avec son inégalable sens de la punchline, comme un “néo-prétentieux” et n’hésitait pas à porter fièrement dans tout New York sa canne en Ivoire, sa montre à gousset immense, son chapeau de mafieux sicilien et ses innombrables pochettes de soie flashy. Tom Wolfe, c’est la classe à l’état pur, un condensé explosif de kitsch qui sur vous, serait une véritable catastrophe, mais qui sur lui impose le respect.

Partout où il passe, Tom Wolfe devient le centre de l’attention alors même que sa profession exige de lui observation et discrétion. Il a sa propre doctrine : “se rendre si voyant que personne n’osera y croire.” Un paradoxe hilarant qui en dit long sur sa personnalité : raconter la vie des grands ce monde, d’accord, mais hors de question de le faire incognito. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est ce qui lui permettra de pénétrer dans certaines des soirées les plus folles du XXe siècle. Comme ce gala de charité hallucinant organisé chez le compositeur Léonard Bernstein au profit des Black Panthers. Un face-à-face d’anthologie entre le gotha chic de New York et les guerriers de la cause noire qu’il raconte dans un livre génial, Le Gauchisme de Park Avenue.

Tom Wolfe, le mec qu’il fallait avoir avec toi pour rentrer en soirée.

3 – Parce qu’entre deux soirées, il a révolutionné le journalisme

Dans les années 1960 et 1970, les grandes plumes de la presse écrite américaine ont un prestige sans pareil. À tel point qu’elles se permettent de bousculer les codes de l’écriture journalistique classique en y intégrant peu à peu certaines techniques littéraires et certaines manières de faire réservées jusque-là au genre romanesque. Parmi elles, des noms qui resteront au panthéon des écrivains américains : le torturé Truman Capote, le fou à lier Hunter S. Thompson, l’engagé Norman Mailer ou encore l’étonnamment normale Joan Didion. Au milieu de tout ce beau monde, Tom Wolfe faisait figure de patriarche. Inventeur du terme dans une anthologie d’articles parus en 1973, il en définit les règles avec une formule simple : “Nous faisons de l’investigation artistique”. À partir de là, les reportages prennent une tout autre ampleur, la mise en scène est préférée à la narration historique classique, les dialogues sont retranscrits en entier, le journaliste utilise la première personne. Des codes qui paraissent aujourd’hui familiers mais qui à l’époque constituait une véritable révolution.

Petit conseil de lecture bonus, dans la catégorie “New Journalism”, le Konbini Book Club vous oblige à lire Le Motel du Voyeur de Gay Talese. L’histoire incroyable de Gerald Foos, un voyeur dérangé qui achète un motel à Denver dans l’unique but de le transformer en “laboratoire d’observation”. Avec l’aide de son épouse, il a découpé dans le plafond d’une douzaine de chambres des orifices rectangulaires le 15 cm sur 35 cm, puis les a masqués avec de fausses grilles d’aération lui permettant de voir sans être vu. Il a ainsi épié sa clientèle pendant plusieurs décennies, annotant le moindre détail ce qu’il observait et entendait – sans jamais être découvert. Fou et glaçant à la fois.

4 – Parce qu’il a traîné avec les plus grands de ce monde et qu’il nous raconte tout dans Où est votre stylo ?

Paru pour la première fois en France en 2016, ce recueil d’articles de Tom Wolfe est un bijou. D’abord parce qu’on y apprend les secrets des grands de ce monde ; ensuite parce qu’il témoigne de l’influence de son auteur sur les mentalités outre-Atlantique. Dans les années 1960, ses portraits géniaux du boxeur Mohamed Ali, des Beatles et des Rolling Stones, du producteur Phil Spector ou même du fondateur de playboy Hugh Hefner ont contribué à installer de nouvelles figures dans le panthéon des légendes américaines. Lisez ce livre et vous aurez l’impression d’être le témoin privilégié des moments les plus fous de la seconde partie du XXe siècle. À lui seul, Tom Wolfe fait et défait les héros de son époque et réussit à créer des mythologies modernes.

5 – Parce qu’Acid Test va devenir LE livre de votre été

En 1964, Tom Wolfe embarque avec un groupe de marginaux californiens, les Merry Pranksters (les joyeux blagueurs) dans un bus scolaire couvert de peinture fluorescente. Il s’apprête à suivre Ken Kesey (l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou) et Neal Cassady (le héros de Sur la route de Jack Kerouac) dans une tournée musicale inoubliable à travers les États-Unis. Entre trip sous LSD, premier concert des Grateful Dead et confrontation avec le FBI, Tom Wolfe dépeint l’expansion de la culture hippie qui atteindra son apogée à Woodstock cinq ans plus tard. L’écriture est bluffante, ses descriptions romanesques plongent le lecteur dans un monde qui semble fictif, et transforment les personnages du récit en de véritables héros de roman. La soif d’expériences de ces marginaux est contagieuse et on se prend à rêver, l’espace de quelques pages, de tout plaquer et d’embarquer avec eux pour un voyage pas comme les autres.