Yung Lean, le sale gosse du rap game

Yung Lean, le sale gosse du rap game

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Par Constance Bloch

Publié le

Le 23 février dernier, Yung Lean et son crew, les Sad Boys, étaient de passage à Paris pour un unique concert. À cette occasion, nous avons rencontré cet ado de 18 ans et déjà star du rap.

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C’est au cœur d’un petit hôtel niché au creux du 18ème arrondissement que nous avons rendez-vous avec Yung Lean. Allongé en chaussettes sur son lit, sa valise ouverte – ou plutôt explosée – aux quatre coins de sa chambre, le jeune garçon nous accueille pour commencer l’interview.

On est en plein milieu d’après-midi, et pourtant on pourrait croire qu’il vient à peine de se réveiller. Les cheveux en bataille et la mine fatiguée, il écoute de la musique, son ordinateur portable branché à de mini enceintes. On comprend vite qu’il ne faut pas le brusquer.

Le soir même, il s’apprête à faire le show pour une date unique sur la scène de la machine du Moulin Rouge, entouré de son crew, les Sad Boys. C’est la deuxième fois que Yung Lean vient se produire à Paris, et de la ville lumière, il ne verra encore une fois pas grand-chose puisqu’il reprend la route dès le lendemain direction les États-Unis. Du haut de ses 18 ans, le jeune homme est en pleine tournée mondiale : New York, Montreal, Londres, Berlin, Copenhague…depuis près d’un an déjà, il voyage de ville en ville pour défendre son premier album, Unknown Memory.

Le concert que j’ai préféré jusqu’à maintenant, c’est celui que j’ai fait en Island, à Rekjavik. C’est là où Björk vit et c’est près de la nature“, nous confie-t-il.

Teenager way of life

Yung Lean, c’est le teenager dans toute sa splendeur. Désinvolte et la mine un peu boudeuse, il se prête au jeu des interviews sans beaucoup d’enthousiasme. Mais ça fait partie du job, et son manager lui a demandé d’assurer la promo, donc il s’y plie presque sagement, pendant 15 minutes. Et pas une de plus.
Il faut dire qu’à l’âge où beaucoup d’ados se demandent encore ce qu’ils vont faire de leur vie, le jeune garçon a déjà bien entamé la sienne. Depuis deux ans, le suédois au visage poupin fait beaucoup parler de lui, et bénéficie d’une large couverture médiatique. L’école, c’est définitivement fini  : “J’ai arrêté à 17 ans”, explique-t-il.
Aujourd’hui, il se consacre exclusivement à sa carrière, et ses parents n’y voient pas d’inconvénient :

Quand j’ai arrêté l’école, mes parents ne s’y sont pas opposés. Ils sont contents que je fasse quelque chose et que je ne m’attire pas de problèmes. Je ne sais pas s’ils écoutent ma musique, mais je sais qu’ils sont ravis que j’en fasse. Mon père faisait partie d’un groupe, c’est un poète, et ma mère travaille dans les droits civiques. C’est ma première fan.

Originaire de Suède, Jonatan Leandoer Håstad de son vrai nom, a grandi dans le quartier de Södermalm, à Stockholm. Et si l’on en croit l’histoire qu’il aime raconter, c’est l’ennui qui l’a amené à la musique et à ses acolytes Yung Sherman et Yung Gud. “Je les ai rencontrés dans un parc, on écoutait la même musique et on a connecté“. De cette rencontre naissent les Sad Boys.

Génération Internet

Derrière ce nom, un trio de très jeunes artistes qui semblent être tombés dans la marmite Tumblr dès le berceau. Pure produit de la génération Internet, Yung Lean a très vite tiré profit des avantages proposés par le web. Tout d’abord pour se nourrir musicalement. Puis esthétiquement.
Car en regardant ses clips, le jeune suédois semble nostalgique d’une époque qu’il n’a pas connu – ou dont il ne peut en tout cas pas se souvenir : les années 90. Un florilège de références à la culture pop, de la Nintendo 64 à Mindcraft en passant par les screensavers Windows. Et bien sûr son look : sweats à capuche, New Balance, t-shirt de geek ou coupe- vent, le tout souvent couronné d’un bob. Un mélange de seapunk et sports wear savamment dosé.
Une allure qui semble très étudiée, même s’il prétend le contraire :

Je ne pense pas à mon style vestimentaire, c’est naturel. Mon look est très spontané.


Outre ces influences 90’s, le rappeur a développé une fascination pour la culture asiatique : signes japonisans, esthétique Kawaï, titres de chansons (“Kyoto”, “Yoshi City”)… Comme beaucoup d’artistes aujourd’hui, il a embrassé une mode véhiculée par des images Tumblr. Et il est attiré par un pays dans lequel il n’a jamais mis les pieds. “Ce que l’on ne peut pas avoir, c’est ce que l’on désire“, nous explique-t-il.
À côté des dauphins, de l’Arizona Ice Tea (sa boisson préférée) et des références aux jeux vidéo, l’autre pan visuel mais aussi mélodique de l’univers de Yung Lean, c’est la tristesse. Une sorte de mélancolie adolescente héritée des heures sombres de Myspace. Un côté qui joue avec l’émo, avec des instrus et un flow un peu dark, des smileys tristes ou encore du sang sur la neige (comme dans le clip de “Diamonds“).
Pourtant, les Sad Boys sont bien loin d’être tristes, comme le précise Yung Lean :

Il n’y a rien de sexy dans la tristesse, ce n’est pas quelque chose que je glorifie.

Un succès insolent

Si le jeune Lean s’essaye au rap depuis son enfance, 2013 est l’année qui l’a vu passer du statut d’inconnu à celui de phénomène, en collectionnant des millions de vues sur Youtube avec le clip de “Ginseng Strip 2002”extrait de sa mixtape Unknown Death 2002. Ses clips, sa musique et son univers suscitent curiosité, rejet et bientôt un énorme engouement sur la toile. Il enchaine les interviews (souvent provoc’) et commence à se produire en concert.
Parmi ses influences, le jeune garçon cite bien évidemment Lil B, Future et Guru. Mais aussi “Current 93, qu’on écoute maintenant [sur ses petites enceintes pendant toute l’interview, ndlr]”. “J’aime Lil Flash, Young Thug et aussi Neil Young, car il raconte de bonnes histoires“.

Même si à première vue on pourrait croire à une pure parodie de rap, force est de constater que la musique de Yung Lean, ce n’est pas ça. Car s’il joue avec certains codes – et clichés – du gangsta rap, la qualité des prods (signées Yung Gud) et même le flow nonchalant du jeune homme font de lui l’un des précurseurs d’un nouveau style hybride de rappeurs qui fourmillent aujourd’hui sur Internet.
Mais malgré son récent statut de star, Yung Lean reste un adolescent (presque) comme les autres, qui aime avant tout traîner avec ses copains, et trouve même le temps de lire et de voir des films pendant sa tournée. Et ses références sont plutôt étonnantes :

J’adore le livre “Paradise Lost”, et le film Magnolia. J’aime aussi les livres de Haruki Murakami. Je suis en tournée mais j’ai pas mal de temps libre, donc je fume de la weed et je lis.

Il faut que je devienne riche avant d’arrêter, pour pouvoir vivre. J’aimerais déjà en gagner plus même si ce n’est pas ce qui m’a motivé au début. C’est la création avant tout, quand j’écoute une chanson que je trouve vraiment bien et que j’aimerais avoir composée. J’ai toujours eu une vibe avec la musique.

Les plans de ceux qui rangeaient Yung Lean dans la case “blague Internet” semblent avoir été déjoués. Aujourd’hui, le jeune rappeur fait salle comble lors de ses concerts, a “des groupies plus âgées” que lui et se retrouve désormais en studio avec des artistes comme Diplo, Travi$ Scott ou encore Ryan Hemsworth. Et il faut l’avouer, il a clairement contribué à relancer la mode du bob.