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Wonderstruck : Todd Haynes fait chanter les silences

Wonderstruck : Todd Haynes fait chanter les silences

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Avec Wonderstuck, Todd Haynes livre une fable transgénérationnelle absolument bouleversante. Le résultat est beau à pleurer.

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“Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles.” C’est sur cet aphorisme d’Oscar Wilde que s’ouvre Wonderstruck, le nouveau long-métrage de Todd Haynes. Une manière bien à lui de nous prévenir, de nous réaffirmer que, depuis les viscères de l’obscurité, il est toujours possible de voir briller le monde. Bien loin des apparats de mélo sirkien qu’il avait offerts aux sublimes Loin du Paradis et Carol, le cinéaste américain investit ici l’enfance et ses mystères en portant à l’écran un roman graphique de Brian Selznick, l’auteur de Hugo Cabret.

La trame ? À des époques différentes – 1927 et 1977 -, Ben et Rose, deux adolescents isolés par leur surdité, décident de prendre la tangente en ralliant la tentaculaire ville de New York. Le premier, orphelin de mère, rêve de retrouver le père qu’il n’a pas connu, matrice de ce bonheur qu’il espère tant tutoyer. La seconde, esseulée, entend admirer sur scène son énigmatique actrice préférée (Julianne Moore), laquelle a toujours représenté son seul havre de paix et d’évasion dans une existence corsetée. C’est alors que deux solitudes vont filer à vive allure, altérant et défiant les époques et les repères, pour entamer une bouleversante chorégraphie symétrique.

Émouvante fuite vers l’avant

Il y a dans Wonderstruck, qui aura pour titre Le Musée des merveilles en France, un équilibre des miracles, tant dans les choix formels du cinéaste que dans sa faculté à intriquer les trajectoires de ses héros. Pour 1927, il fait le pari judicieux du muet noir et blanc, l’occasion de magnifier et d’éclairer sous un jour nouveau tout un pan de l’histoire du cinéma. Pour 1977, la couleur et le son s’imposent. Deux courants d’un même art qui, là encore, à l’image des récits qu’ils soutiennent, s’adonnent à une valse magnifique. Et jamais l’harmonie qui drape l’ensemble ne se perd. Au contraire, elle ne fait que se consolider, jusqu’à atteindre l’extase formelle.

“Acid trip for kids”, comme aime à le qualifier Todd Haynes himself, Wonderstruck épate aussi par son impressionnante richesse narrative. À mesure qu’on s’y enfouit, ce drame aux consonances spielbergiennes livre ses secrets et multiplie les niveaux de lecture. Bien sûr, il y est question du handicap de Ben et Rose, omniprésent. Mais celui-ci n’est aucunement traité comme un fardeau ou une fatalité, mais plutôt comme un moyen de mieux sentir, ressentir et vivre le monde. Dans leur fuite vers l’avant, ces enfants magnifiques brillent par un courage à toute épreuve. Le courage de se frotter à leurs ambitions. Le courage de conquérir, d’entreprendre. Le courage de recueillir les pièces d’un nouveau puzzle, flambant neuf, prometteur.

Grandeur des sentiments

Todd Haynes profite par ailleurs des pérégrinations de ses sujets pour sacraliser les lieux de culture : la salle de cinéma, le théâtre, le musée, la librairie… Le regard posé sur ces lieux de l’intemporel, de l’éternel, est absolument sublime. Une magnificence qui doit beaucoup aux artifices, aux moindres petits détails auxquels le maestro croit ardemment et apporte un soin fétichiste. Les livres, les miniatures… Tous les objets qu’il met en exergue dépassent le cadre du décor pour devenir de véritables liants entre le public et leurs émotions, même les plus enfouies. De la sorte, Haynes interpelle nos rêves et exhume nos visions d’antan, nous rappelant, au rythme de la partition délicate de Carter Burwell, à notre immuable condition d’enfant. Son cinéma est dénué de cynisme. Il est tendre et fort. Comme dans Carol, il anoblit les sentiments avec magie et panse les plaies. Du grand cinéma.   

Wonderstuck sera dans les salles le 15 novembre en France sous le titre Le Musée des merveilles.