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VR, appli Web, start-up : comment Dorcel imagine l’avenir du porno

VR, appli Web, start-up : comment Dorcel imagine l’avenir du porno

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Source : Konbini

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Par Pierre Schneidermann

Publié le

Comment l’entreprise française phare du X se prépare-t-elle au futur ? Nous brûlions d’envie de le savoir. Au menu : réalité virtuelle, incubation de start-up sexy et réseau social.

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Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’enseigne Marc Dorcel, le leader français du X, commençons par ce constat historique : depuis 1979, la marque a toujours été à l’avant-garde des acronymes – qu’il s’agisse de la VHS, du CD-ROM, du DVD, de la VOD ou encore de la 3D.

Dorcel était là en premier et rayonne aujourd’hui dans tous les secteurs possibles du X : production, diffusion télé (Dorcel TV), vidéo à la demande (Dorcel Vision), boutiques en ligne et dans la rue (Dorcel Store)… Nous sommes donc passés dans les locaux de l’entreprise situés dans le 15e arrondissement de Paris, en se disant qu’elle devait, vu son passif, prendre le futur du porno très au sérieux.

La réalité virtuelle

Dans les innovations récentes, il y a bien entendu la réalité virtuelle, la VR – encore un acronyme. En 2015, alors que tous les regards commencent sérieusement à se braquer sur cette technologie, l’entreprise sort le tout premier film X à 360 degrés, en HD, à regarder avec un casque : la version soft (Dans la peau d’un réalisateur) est gratuite, la version hard (Dans la peau d’un acteur) payante.

Dans le premier, que l’on regarde assis, le spectateur incarne un réalisateur de film porno et l’histoire se déroule dans un studio, en présence des acteurs et des techniciens. À l’époque, c’est un beau coup de com’ et tous les journalistes partent au charbon (ici, ou encore ). N’ayant nulle prétention à l’originalité, nous l’avons testé nous aussi.

La VR aurait-elle ouvert la porte magique du futur ? Il est permis d’en douter. Cette vision nuancée émane de Grégory Dorcel lui-même, fils du fondateur et directeur général. “On reste sceptiques sur le marché de la VR. C’est avant tout un gadget marrant avec un effet wahou. On voulait surtout montrer ce qu’il était possible de faire, on voulait donner le ton.” La version gratuite a été téléchargée 150 000 fois, la payante 15 000 fois. Sachant qu’un film en VR coûte six à sept fois plus cher qu’un film traditionnel, ce n’est pas l’opération la plus rentable de tous les temps.

Ce qui n’a pas empêché le producteur de sortir un nouveau film, en juillet dernier, avec un scénario à la mécanique analogue : nous sommes cette fois-ci dans la peau d’une actrice – une expérience à vivre ici allongé. “Pour que la VR prenne, il faudrait que les autres producteurs s’y mettent aussi”, continue le directeur. Sans offre diversifiée, les spectateurs ne bousculeront pas leurs habitudes et resteront cantonnés à leurs vidéos traditionnelles. Ce faisant, Dorcel garde un œil attentif sur les formes futures de l’image : l’entreprise suit de très près tout ce qui se fait en VR dans le monde entier, et attend avec impatience que les hologrammes se développent. Les supports seront ainsi saisis au vol dès que la technologie le permettra.

La sextech

On connaissait la fintech, la foodtech, l’adtech, l’edtech ou encore la civic tech, qui désignent les écosystèmes des start-up respectivement consacrées à la finance, la nourriture, la publicité, l’éducation et au développement de la citoyenneté. Ce monde doré et foisonnant devra peut-être composer avec un nouveau prétendant : la sextech. Marc Dorcel s’est en effet lancé dans un chantier moins spectaculaire que la VR en inaugurant, en mai dernier, le premier incubateur au monde consacré aux start-up spécialisées dans le sexe, le Dorcel Lab.

Comme pour les incubateurs traditionnels, le geste économique est le suivant : favoriser le décollage des start-up qui veulent se lancer. Deux entreprises se sont déjà fait une place dans le nid. La première, Voulez-vous, développe une plateforme en ligne “d’enchères du fantasme”, dont le lancement est prévu pour fin 2017. Elle mettra en relation des performeuses érotiques avec des amateurs. La seconde, Your Lovebox, officie déjà et vend des coffrets de produits et accessoires érotiques. En tout, cela représente huit postes de travail.

Le néologisme “sextech” n’est pas tout à fait nouveau. En mai dernier s’est tenu le premier hackathon du sexe en France, le SexTechLab. L’idée : rassembler des “participants brillants et talentueux […] pour révolutionner l’innovation autour de la sexualité”. Dorcel, partenaire de l’événement, a profité de l’occasion pour annoncer l’ouverture de son Lab. Un mois plus tard, en juin, New York inaugurait à son tour un premier hackathon américain consacré à la sextech et fanfaronnait avec une promesse plus qu’alléchante : “Dans les décennies à venir, nos vies sexuelles connaîtront des changements incroyables. En 2020, on prédit que l’industrie de la sextech générera des milliards de dollars.”

À la recherche de ce que la Silicon Valley appelle une licorne, le Dorcel Lab a déjà reçu 40 candidatures. À noter que la moitié des projets est portée par des femmes. “On assiste à une évolution des mœurs”, nous explique l’un des collaborateurs de l’incubateur. “Avant, l’industrie du sexe était mal perçue, surtout chez les entreprises de capital-risque. C’est en train de changer. Certains business angels viennent même nous voir…” On comprend à demi-mot qu’en plus de ses prérogatives économiques, l’incubateur cherche plus ou moins à faire évoluer les mentalités dans un secteur où les investisseurs et les banquiers sont encore très frileux.

L’application Web

Bien avant le lancement de son Lab, la stratégie sextech de Marc Dorcel a déjà porté ses fruits une première fois. En décembre 2015, le géant a en effet investi dans un petit réseau social de porno amateur nommé Uplust. La plateforme est française, mais elle est surtout connue aux États-Unis et en Amérique latine. Elle a été codée (en partie) et lancée en 2013 par un jeune entrepreneur du Web, Quentin Lechemia.

Le contexte de la naissance d’Uplust est le suivant : au XXIe siècle, les gens ne cessent de se prendre en photo, qu’ils montrent à la terre entière. Sur Facebook, Instagram ou Snapchat cependant, la nudité est proscrite. Un petit bout de sein, et tombe la censure. D’un point de vue psychologique, il y a donc une frustration de ne pas pouvoir s’exhiber. En termes économiques, cela se traduit par un besoin, et donc un marché. Comme il était impossible de faire une appli (le porno est interdit sur l’Apple Store et l’Android Market), Quentin Lechemia a décidé de développer un objet hybride : une application Web. On y entre par le navigateur, mais tout est codé de telle manière que l’on se croirait dans une app. En 2013, il la lance sous le nom de Pornostagram. Vice la remarque, interviewe Quentin, et l’appli buzze. Puis, on l’interviewe outre-Atlantique, où ça buzze encore plus. Instagram, bien évidemment, n’acceptant pas le détournement de son nom, Pornostagram devient alors Uplust.

Pour un réseau social underground, les chiffres sont bons : 560 000 membres, environ 400 nouveaux utilisateurs par jour, 3 000 photos ou vidéos postées quotidiennement. Malgré les sollicitations, il n’y a pas de pubs. Uplust fonctionne sur un modèle premium, avec un abonnement gratuit et des fonctionnalités étendues pour 29 euros par mois. Tout cela ne nécessitant que quatre personnes, la plateforme est déjà rentable.

“Sans Dorcel, nous aurions grandi bien moins vite”, explique le startuppeur. En effet, fausse pudeur oblige, les investisseurs et les banques n’étaient pas intéressés. D’après La Tribune, Uplust aurait ainsi obtenu de l’entreprise une enveloppe de 150 000 euros et une participation minoritaire dans le capital. Depuis, les deux dirigeants se rencontrent une fois par mois : cela leur permet de faire le point sur l’appli et le secteur de l’exhibitionnisme-à-l’heure-des-réseaux-sociaux en général. S’il devait un jour sortir de sa ligne estampillée porno pro et chic, loin de l’amateur cheap, le géant de la luxure ne pouvait rêver d’un meilleur outil prospectif.

À l’avenir, Dorcel ambitionne d’accueillir cinq start-up par an et proposera trois types de relations : le simple partenariat, l’incubation (avec des mentors, du networking et l’attribution d’un espace de travail), et l’investissement dans le capital d’une société. Sur le long terme, les objectifs économiques de l’incubateur ne sont ni précis ni précisés, tout se fera au cas par cas, selon les idées qui arriveront. Et elles arriveront. Puisque entre les sex-toys connectés, l’intelligence artificielle (pour faire, par exemple, de la recommandation personnalisée de vidéos, comme sur Netflix), les technologies de l’image, la lingerie évoluée ou les robots, on imagine difficilement d’où la panne pourrait venir.