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Ty Segall, le dernier super-héros underground du rock’n’roll

Ty Segall, le dernier super-héros underground du rock’n’roll

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Par Juliette Geenens

Publié le

Avec plus d’une dizaine d’albums au compteur, en solo et en groupe, Ty Segall s’est imposé sur la scène rock underground au milieu des années 2000. Celui qu’on désigne comme un pilier du garage-rock est de retour (encore) avec un nouveau projet (encore). À l’occasion de son passage en France, on a tenté de décrypter cet artiste prolifique, doté d’un cerveau bouillant et d’un esprit décomplexé.

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Avec son visage poupon et son T-shirt Bart Simpson, on a du mal à imaginer que Ty Segall a fêté ses 29 ans au début du mois de juin. Ce jeune rocker californien, venu en France dans le cadre de sa tournée avec son dernier projet baptisé The Muggers, a sorti plus d’albums en huit ans que de nombreux artistes n’en sortiront jamais dans toute leur carrière. Emotional Mugger, paru il y a six mois, est le neuvième et dernier en date.

Condensé de guitares saturées et de cris cathartiques, ce nouvel opus prouve que Ty Segall est en pleine forme, même après presque dix ans d’activité. Pourtant, celui que la critique a couronné comme le roi du rock underground veut toujours aller plus loin dans sa musique : “Il n’y a aucun intérêt à faire quelque chose deux fois”, assume-t-il, avant d’ajouter :

“Mon but avec les Muggers, c’était avant tout de créer quelque chose de différent. J’ai vraiment le sentiment que ce disque c’est l’expression sans filtre de ce qui se passe dans ma tête. Si je voulais chanter comme un taré à propos d’un truc vraiment bizarre, je ne me privais pas de le faire. C’était très libérateur.”

Le culte du bizarre

Les Muggers sont une formation éphémère, principalement composée de copains de longue date de Ty. Car pour lui, la musique, bien qu’il y consacre sa vie, c’est surtout l’occasion de s’amuser, de se dépasser et cela se voit sur scène. Avec son groupe nommé Fuzz, formé il a y a trois ans et dans lequel il assure à la batterie (son instrument de prédilection), il a parcouru les salles et festivals du monde entier, complètement maquillé et déguisé. Aujourd’hui, avec les Muggers, il porte un masque de bébé, et pleure après sa mère, bavant et hurlant sur le public.

Un délire freudien qu’il refuse d’expliquer clairement:

“Je pense juste qu’il faudrait que les gens pensent plus souvent à leur relation avec leur mère, mais peut-être pas de manière positive.”

Ty Segall n’a jamais rien fait comme tout le monde. Tout ce qui est bizarre lui plaira forcément : “Je suis totalement d’accord pour faire des trucs complètement chelous, assure-t-il. Il n’y a aucun intérêt à être conventionnel.”

D’ailleurs, il semble très fier de son masque de bébé géant qu’on retrouve dans le clip dérangeant du titre “Candy Sam”, entre deux plans de bambins qui rient. Les pochettes de ses disques en disent long sur son état d’esprit : son visage flouté sur Lemons, en 2009, une affreuse poupée sur Melted, en 2010, ou encore un chien triste sur Goobye Bread, en 2011… Plus les années passent, plus Ty Segall s’engouffre dans un univers étrange avec un son toujours plus débridé, plus bruyant, et plus authentique.

“Je sens que c’est important de faire réfléchir les gens avec ma musique, ou du moins de les faire réagir. C’est génial que ce masque fiche la trouille, je trouve ça très marrant d’effrayer les gens avec, sur les plateaux télé, en concert ou en festival.”

Un bourreau de travail agité

Propulsé en 2008 par John Dwyer, leader des Thee Oh Sees, Ty Segall a goûté à tous les genres depuis son album “one-man-band” Horn The Unicorn : du hard rock à la folk, en passant par le rock surf et le psyché. Le rocker originaire de Laguna Beach produit, en moyenne, plus d’un disque par an et a joué dans plusieurs groupes (Ty Segall Band, Fuzz, The Traditional Fools…). En bref, le bonhomme ne s’arrête jamais. Quand on lui demande d’où vient cette hyperactivité, il hausse les épaules :

“Je ne peux pas répondre. C’est comme ça, c’est tout. Il n’y a pas de calendrier imposé. J’ai un projet, je le mène à terme et après, je passe à autre chose. Je crois que je suis devenu un vrai bourreau de travail au fil du temps. Chez moi, à Los Angeles, quand tout le monde est parti bosser, je me sens un peu coupable. Alors je m’en vais foutre la pagaille dans mon studio avec mes instruments. “

Il l’avoue lui-même, il ne cesse jamais de penser, et son processus de travail laisse entrevoir le chaos qui règne dans sa tête en constante ébullition : “En une semaine, je peux changer d’avis tous les jours”, avoue-t-il.

Il poursuit :

“Un matin, je peux me dire : ‘Je ne ferai plus jamais de disques !’, puis le lendemain, je dois enregistrer un putain de truc, et le jour suivant je m’écrie : ‘Nique les guitares‘, et le jour d’après j’ai envie de faire un album avec uniquement de la batterie.”

Maître du camouflage, Ty Segall multiplie ses identités artistiques, qui varient selon ses groupes et ses projets, ainsi que dans les styles qu’il aborde que sur scène. Il faut dire que ce passionné a pris exemple sur le meilleur dans ce domaine, David Bowie. L’artiste anglais, mort en janvier dernier, a eu une influence incroyable sur Ty Segall. Ce dernier le confesse lui-même :

“Il est le premier mec qui m’a vraiment initié à la musique dans ses nombreux aspects. J’ai toujours adoré sa façon de composer, d’écrire ses textes, sa musicalité, son image. J’admire tous les choix qu’il a fait dans sa carrière.”

Une influence forte qui est présente depuis l’enfance : “Plus jeune, j’étais un gamin en colère. Je n’aimais rien dans ma vie, affirme-t-il. David Bowie m’a fait comprendre que je pouvais être qui je voulais, même un alien émotif.”

Pour lui, David Bowie est, ce qu’il appelle, un super-héros du rock’n’roll. C’est ainsi qu’il parle des grandes rock stars, aujourd’hui en voie d’extinction :

“Peut-être que l’ère des rock stars est révolue. Je ne pense pas qu’il y ait encore des super-héros modernes du rock. Je pense qu’il y a plus une sorte de légion d’honneur.”

Sortant de la bouche de celui qu’on peut considérer comme un des derniers soldats du genre, un tel discours peut paraître fataliste. Pas pour Ty Segall :

“Je pense que c’est très bien comme ça. Il y a d’autres choses maintenant. Le hip-hop par exemple, je pense que c’est le truc le plus cool qui existe. On a besoin de ce style de musique aujourd’hui.”

Rock’n’roll star malgré lui

En 2013, Rock & Folk, magazine de référence en la matière, consacrait sa une à Ty Segall. Une couverture loin d’être anodine car elle confirmait l’entrée du rock, perdu dans l’univers obscur de l’underground, dans la confidentialité. “Je pense que les gens disent que le rock est mort parce qu’il n’est plus aussi populaire qu’avant, évidemment, déclare le Californien. Ce n’est définitivement plus un genre mainstream”, assène Ty. Pour lui, “le rock actuel a plus à voir avec les émotions et les sentiments”, bien loin des majors, des ventes et du marché du streaming.

Cela fait bien dix ans que tous les médias spécialisés et critiques musicaux se demandent si le rock respire encore. Pourtant, en 2008, surgissait ce blondinet californien, alors âgé d’une vingtaine d’années, venu insuffler un vent de fraîcheur sur une scène garage qui peinait à se réinventer. On pourrait penser que Ty Segall, à bientôt 30 ans, voit aujourd’hui sa carrière d’un œil plus adulte. “Vous pensez que je suis plus mature qu’avant, les mecs ?” demande-t-il aux musiciens des Muggers qui patientent derrière lui, pendant l’interview. “Honnêtement je ne sais pas”, nous confie-t-il. En tout cas, Ty Segall n’a pas conscience de l’impact qu’a eu sa musique dans le monde du rock, si l’on en croit ses paroles :

“Un jour, je vais arrêter de jouer du rock’n’roll. Ce ne sera certainement pas la dernière chose que je ferais dans ma vie. J’espère juste expérimenter le plus possible.”

En février dernier, il a accompagné la sortie d”Emotional Mugger avec un clip gore et terrifiant de 14 minutes dans lequel il joue son propre rôle, avant de se métamorphoser en zombie.

Une reconversion dans le cinéma serait-elle possible ? D’après lui, pas vraiment :

“J’ai fait du théâtre au lycée, mais j’ai vite développé une mauvaise opinion sur le métier de comédien. J’aimerais beaucoup faire quelque chose là-dedans, mais je me sens trop peu sûr de moi pour prétendre être quelqu’un d’autre face à une caméra. En fait, plus je vieillis, plus j’aime me cacher dans l’ombre, loin des objectifs.”

Mais que nous réserve Ty Segall pour l’avenir, alors ? Il hésite beaucoup, peine à terminer sa phrase et répond finalement : “En fait, je ne sais pas ce que je ferais plus tard. Qui sait ? Voilà ! C’est ça, la bonne réponse.”