Mais qu’est-ce qui fait marcher les Trans Musicales ?

Mais qu’est-ce qui fait marcher les Trans Musicales ?

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Par Tomas Statius

Publié le

Depuis 1979, le festival des Trans Musicales de Rennes a la réputation d’accélérer les carrières de jeunes artistes et d’épouser les évolutions de la musique actuelle. Son aura ne se limite pourtant pas à son rôle défricheur. Focus sur un festival vivant et effervescent, exigeant et populaire. 
Les Trans Musicales c’est un mythe. Dans la bouche de ceux qui le fréquentent, l’évènement possède une aura qui frôle celle d’une grande messe. Aux Trans, on découvre les groupes de demain. Aux Trans, on met le doigt sur les futures tendances. Même son programmateur – le truculent Jean-Louis Brossard (ici interviewé par nos soins) – le dit, tout conscient de l’influence de ses quatre jours de son, d’hydromel et de galette-saucisse sur l’avenir de la musique : “Les professionnels connaissent l’impact que peut avoir le festival sur l’avenir d’un artiste. Si le concert est bon, des portes s’ouvrent. Pas seulement en France mais aussi à l’étranger” déclare t-il à ce titre au Télégramme en 2010.
Après coup, on s’est demandé ce qui fait marcher les Trans, ce qui fait du festival ce rendez-vous incontournable de l’hiver, voire même celui de l’année pour certains. Programmateurs de salles, journalistes, habitués et acteurs du festival nous dévoilent quelques éléments de réponse.

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Au cœur de l’hiver et du secteur

L’originalité des Trans Musicales, c’est avant tout leur positionnement. Au milieu de l’année, le festival fait appel d’air alors que les évènements musicaux de grande ampleur ne sont pas légion. C’est pour ça que Kieron Tyler, critique musical pour tout ce que la presse britannique fait de mieux (The Guardian, The Independent, Mojo) traverse la manche chaque début décembre depuis bientôt huit ans. Ce qu’il vient chercher à Rennes, c’est la garantie de découvrir des groupes au pied du sapin :

C’est en Bretagne, en décembre, et il y fait froid alors que la plupart des festivals sont l’été. C’est aussi pour ça qu’il y a de nombreux étrangers ici : il n’y pas d’autres évènements sur la scène des festivals à cette époque. Il a une place unique dans l’agenda.

Ici, tu as une vraie rencontre entre les pros, les artistes et le public. Ça reste un festival pour les gens avant tout ! Il y a cette relation didactique vis-à-vis des habitants de la région. C’est un peu une éducation musicale qui se fait à travers les Trans, avec un vrai impact. Et puis de toute façon, un festival pour les professionnels, y’a rien de plus chiant, c’est le pire des publics !

“Et toi tu connais combien de groupes ?”

Deuxième constat : on n’est pas les seuls à rester bouche bée chaque année devant cette programmation. Pas cois de bonheur, non, mais plutôt honteux de connaître si peu d’artistes sur près d’une centaine. On n’est pas les seuls à voir notre petite fierté se faire chahuter : “Chaque année entre programmateurs on s’appelle quand Jean-Louis dévoile sa programmation. On est tous là à se dire : ‘toi tu connais combien de groupes ? Bah j’en connais deux, trois et je suis déjà content !”, s’amuse Fabien Lhérisson.
La vérité c’est que cette attirance pour la marge et l’émergence est la patte du festival depuis ses débuts. Hormis quelques éditions où la direction a hésité entre émergence et tête d’affiches (notamment au moment de son installation à la Hall d’Expo), aller au Trans c’est plus ou moins avoir la garantie d’écouter quelque chose de jamais entendu en France.
Marc Ridet peut en témoigner. Têtes d’affiche, perles émergentes, il a vu de tout sur l’affiche du festival rennais. Mais ces derniers temps, il salue la prise de risque des Trans  :

Ce que je préfère, surtout en ce moment, c’est qu’il n’y a plus de tête d’affiche. Le festival faisait ça pour qu’il y ait plus d’affluence, pour les labels… Et ça concordait avec de nouvelles sorties, comme le nouveau Massive Attack, par exemple. Or dans les années 90 de nombreux festivals sont nés. Les Trans ont dû se recentrer sur une programmation. C’est marrant, mais ils sont revenus à leurs origines, à ce qu’ils étaient au début : un festival de découverte.

J’ai écrit à propos de ce festival une fois. À l’époque j’ai dit simplement que pour moi, les Trans Musicales c’est une mixtape qui n’a pas d’équivalent, avec des enchaînements étranges… de la pop turque en passant par du rock indé danois jusqu’à du jazz “franchouillard”. Voilà pourquoi c’est un festival unique – pas uniquement parce qu’il est en hiver – mais aussi parce qu’on y trouve des artistes qui n’ont pas leur pareil…

Alors qu’il s’interrompt, Kieron rajuste ses lunettes sur son nez, puis s’empresse d’ajouter : “en fait ce festival c’est simplement la visualisation de l’esprit de Jean-Louis Brossard, c’est ça son originalité. Ce mec fait le tour du monde chaque année, rencontre des groupes à la fin de leurs concerts et les fait venir à Rennes. On y trouve la synthèse de sa vision des choses.” 
Vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’en habitué des lieux Marc Ridet connaît (très) bien le programmateur. Lorsqu’on lui demande, d’un air faussement naïf, “mais en vrai, comment il fait Jean-Louis Brossard ?”, il ne nous surprend pas vraiment : le flair c’est une chose, mais Brossard est surtout un grand bosseur :

Il prospecte dans le monde entier ! Plus des réseaux d’un peu partout, dont je fais partie concernant la Suisse, des gens qui lui remontent les informations. D’ailleurs quand on se rejoint à des festivals, au Great Escape ou à l’Eurosonic par exemple, on croise beaucoup de pros qui discutent, accoudés aux bars VIP, ou bien aux conférences, etc. Mais Jean-Louis, non ! Lui il fait tous-les-con-certs ! C’est une tête chercheuse. Si tu essayes de le suivre, tu cavales après lui…

Les paris de Jean-Louis Brossard

Depuis longtemps le festival fait référence, dès les années 80, 90. D’abord parce qu’il y avait moins de festivals. Du coup c’était souvent la première date qu’un groupe anglais faisait en France, même s’il avait déjà de la hype au Royaume-Uni. Tiens, Massive Attack par exemple. Je me souviens de groupes qui ont vraiment été découverts ici par les Trans, comme Fishbone ou Yargo. La découverte, ce qui était une partie de la programmation, c’est devenu pratiquement tous les groupes avec le temps.

Depuis, on célèbre les goûts du débonnaire sexagénaire qui a l’air de connaître tout le monde des abords de l’Ubu aux terrasses chauffées de la rue Saint-Malo. On loue sa personnalité, ses goûts, son flair, son rapport direct avec les artistes autant qu’on reconnait les ratés (nombreux au final) de la programmation. Car si les Trans proposent chaque année un line-up excitant et novateurs, rares sont les groupes qui passent à la postérité. Ce qui est normal, mais finalement assez peu évoqué. 
C’est ce que rappelle Fabien Lhérisson  :

Bien sûr il y a beaucoup de déchets, mais il y aura toujours une bonne dizaine ou vingtaine d’artistes qui seront ceux qu’accompagneront nos salles. On vient ici pour ça : s’inspirer et trouver des groupes que l’on programmera par la suite. 

Cette mythologie du programmateur à la baguette de sourcier finit d’être achevée par Kieron Tyler. La programmation est-elle digne d’un faiseur de tendances ? Réponse sibylline : “Les Trans ne sont qu’un miroir de l’esprit de son programmateur“. Ni plus, ni moins.

Forger par le live

Car au final Brossard construit sa programmation un peu comme on joue aux cartes. Sanguin, il tente des trucs inédits, mise tout sur des artistes inconnus là où d’autres proposent un “line-up” lisse pour contenter un peu tous le monde. Ces paris, on les retrouve dans cette programmation 2014 du festival.
De Jeanne Added, “jeune espoir du jazz vocal” convertie à la pop comme le rappelle Fabien Lhérisson, à Shamir, icône pop en devenir qui a clôturé le festival au côté des membres de son label Godmode. Pendant quatre jours, les noms méconnus et les découvertes se sont succédés, ça c’est clair. Pour le reste il semble bien difficile de lire dans le jeu de Brossard. Pour Fabien Lhérisson, lui seul sait dans quelle direction le vent soufflera :

Je pense que Jean-Louis sait quelles sont les tendances de demain. Pour ma part je ne me risquerai pas à essayer de prévoir l’avenir. Ce qu’on voit se détacher quand même c’est un retour à des formations plus réduites, un peu à l’instar de Verveine [chanteuse et productrice suisse qui a marqué les spectateurs de l’après-midi du vendredi à l’UBU, ndlr], les hommes-orchestre presque… Alors que les dernières années on a vu se multiplier les duos de musiciens, notamment voix / batterie.

La musique du futur est faite par le public. Prenons l’exemple du concert de Kate Tempest [programmée jeudi soir au Parc Expo, ndlr]. On a presque assisté à la naissance d’une pop star ce soir-là. Ce type d’évènement est proprement imprévisible.
Un programmateur, peu importe son oreille ou son importance, ne peut que jeter de la musique et voir ce qui se passe. Il est impossible de deviner ce que sera la musique du futur. On peut juste faire des paris, et avoir raison. Des fois.

Article co-écrit par Tomas Statius et Theo Chapuis