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La fin d’Interstellar : la théorie qui change tout

La fin d’Interstellar : la théorie qui change tout

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Par Florent Bodénez

Publié le

Une théorie revient sur les dix dernières minutes du film Interstellar. Elle risque de changer votre perception du final de Christopher Nolan.

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Quoi que l’on puisse penser de son cinéma, Christopher Nolan est indéniablement LE cinéaste de ces 15 dernières années. On ne peut nier son importance et le culte dont il fait l’objet. Plus que ça, aucun autre cinéaste ne peut se targuer d’avoir autant la main-mise sur ses productions. Mais plus que pour son talent cinématographique, le public connaît surtout Christopher Nolan pour sa volonté d’insuffler à ses œuvres plusieurs niveaux de lecture, à travers un labyrinthe d’intrigues très complexes, rassemblées par un dénominateur commun.

Interstellar, son dernier film en date (sorti en novembre 2014), n’a pas échappé à cette règle. Alors quand son dénouement paraît, à première vue, bien trop classique pour un film de Christopher Nolan, tout le monde se fait la même remarque : il doit y avoir autre chose. Et c’est le cas. Attardons-nous ici sur la théorie qui semble la plus probable, remarquée par plusieurs blogs et médias.

Résumé de la fin

Pour commencer, rafraîchissons-nous la mémoire. Inutile de vous prévenir qu’il y aura des spoilers. En même temps, si vous avez cliqué c’est que vous vous doutiez bien que les pincettes ont été laissées au placard.

À la fin d’Interstellar, Cooper (Matthew McConaughey), enfermé dans un espace en 5D construit par des êtres futuristes au sein même du trou noir Gargantua, réussit à transmettre à sa fille, Murph, devenue adulte, les données quantiques de l’équation qui permet de manipuler la gravité. Le tout grâce à l’utilisation du morse comme moyen de communication, en faisant bouger l’aiguille de la montre qu’il lui a offert en cadeau d’adieu.

Après avoir entendu l’énigmatique réplique “Les êtres du bulk referment le tesseract”, les spectateurs voient Cooper être projeté dans un trou de ver, dans lequel il croise le vaisseau avec lequel il est venu, et fait le fameux “handshake” avec Brand (Anne Hathaway). Le plan suivant, on le voit flotter dans l’espace, les yeux fermés, l’air inconscient voire mort. Il semble être près de la planète Saturne. Puis, une lumière, que l’on devine être celle d’un vaisseau au loin, apparaît. Cut au noir. Ici, selon notre théorie, la trame narrative du film est terminée (d’ailleurs le générique aurait pu apparaître à ce moment là).

Mais non, Nolan a rajouté dix minutes d’images. Nous reviendrons sur ce choix dans la structure finale du récit, lors de la conclusion. Mais concentrons-nous sur la théorie. Pour moi (et d’autres), ces dix dernières minutes sont en réalité une projection que Cooper s’imagine lorsqu’il flotte dans l’espace près de Saturne, après son expérience dans le trou noir.

Il vit à cet instant une EMI (une Expérience de Mort Imminente). Cela se caractérise, dans sa définition officielle, comme “un ensemble de ‘visions’ et de ‘sensations’ consécutives à une mort clinique ou à un coma avancé” et se concrétise par “la vision complète de sa propre existence, la vision d’un tunnel, la rencontre avec des entités spirituelles […] un sentiment d’amour infini, de paix et de tranquillité”.

En bref, c’est le phénomène qui fait que “dans les premières minutes après la mort, la conscience n’est pas annihilée”, selon le Dr Sam Parnia, de l’Université d’État de New York, qui a dirigé une grande étude sur le sujet. Et on peut légitimement penser que Christopher Nolan, par cette scène, a voulu ouvrir la porte à cette théorie. De nombreux indices du film appuient cet argument.

La mort dans l’âme

Tout d’abord, concernant son état de décès ou de mort imminente dans le plan où il flotte dans l’espace, deux points le démontrent. Le premier est tout simplement que Cooper est éjecté d’un trou noir. Comme le disent les astrophysiciens et la Nasa, la pression gravitationnelle est telle dans un trou noir qu’un être humain ne peut y survivre.

Quand on sait que Nolan a préparé le scénario d’Interstellar avec Kip Thorne, la référence mondiale sur la question des trous noirs, il n’a pas pu laisser de place aux incohérences sur ce sujet. Dans le film, il se peut même que Cooper était déjà mort en entrant dans Gargantua, ou dans un état proche du décès. Dans ce cas, soit l’espace en 5 dimensions était aussi une projection imaginée, soit il a agi inconsciemment, guidé par les “êtres du bulks” et TARS (l’un des robots de la mission). D’ailleurs, dans de nombreux témoignages réels sur l’EMI, des patients ont dit avoir été “prisonniers de figures géométriques (un ‘8’ couché désignant l’infini, le signe [du ‘Yin et du Yang’], etc.)”.

À l’image de l’espace infini en 5D du tesseract ? Deux minutes plus tôt dans le film en tout cas, Cooper est dans son vaisseau, fonçant tout droit dans le trou noir. Il reçoit des projections de lumières avant de pousser un cri, puis le film bascule sur un plan de son fils Tom, resté sur Terre, dans le champ en feu de la ferme familiale. Nouveau cut et on se retrouve à nouveau dans le cockpit dans lequel Matthew McConaughey reprend conscience après (on le devine) être resté inanimé pendant quelques minutes.

Est-ce à ce moment-là que le film bascule dans l’EMI ? La disparition des projections lumineuses au moment du réveil et cette perte de conscience avant la scène du tesseract (la mystérieuse bibliothèque aux dimensions infinies) dans un trou noir peuvent le laisser penser. Ici, faites votre choix. Moi je choisis de croire que cette phase est réelle et que la mort imminente n’intervient qu’au moment où il ressort du tesseract.

Le second indice est donné par la musique, au moment du plan où l’on voit Cooper, les yeux fermés, flottant dans l’espace. Juste avant le cut, Hans Zimmer (qui livre dans ce film une partition magistrale) conclue son morceau “What Happens Now?” par une note d’orgue aiguë, suspendue dans le temps et unilatérale. À l’image des électrocardiogrammes des hôpitaux, qui diffusent un son unique et continu au moment où le cœur d’un patient cesse de battre.

Matt Damon et “Muuuuuurrrph” !

Après cette scène donc, vient le dénouement heureux, celui où Cooper se réveille sur la station qui porte son nom (enfin, plutôt celui de sa fille), retourne dans sa ferme reconstituée et nettoyée des poussières d’autrefois, revoit sa fille sur son lit d’hôpital (qui a trois fois son âge), répare TARS, puis vole un vaisseau dans le but de rejoindre Brand sur la Planète d’Edmunds, qui est finalement l’écosystème idéal dans lequel les êtres humains vont pouvoir vivre. Avouez que lorsque l’on raconte la fin de cette manière, cela ressemble à un happy end bien trop beau pour être vrai. Et justement, je préfère croire qu’il n’est pas vrai, que c’est donc une projection causée par l’EMI. Et je peux le prouver.

Nolan est connu pour écrire des dialogues qui ont tous un sens et jouent un rôle dans la suite du récit. Ils ne sont jamais énoncés au hasard par les personnages. Justement, le Dr Mann (cette crapule), incarné par Matt Damon, adresse une question intrigante à Cooper, environ 30 minutes plus tôt dans le film.

“Quelle est la dernière chose que vous verrez avant de mourir ? Vos enfants. Leur visage. Votre cerveau va faire un effort un peu plus grand pour survivre. Pour vos enfants”. Cinq minutes plus tard, Mann trahit Cooper, le laissant agoniser sur le glacier. Il lui adresse alors ces paroles : “Vous les voyez vos enfants maintenant ? Ils sont avec vous en ce moment.” Alors qu’il s’échappe et que Brand tente de rejoindre Cooper pour le sauver, ce dernier tente de rester conscient. Il invoque pour cela dans son esprit la dernière vision qu’il a de Murph (jouée notamment par Jessica Chastain), celle qu’il lui reste de son départ, des années plus tôt.

Pourquoi cette phrase est importante par rapport à mon propos ? Parce que si elle revient deux fois dans le récit, alors même qu’elle ne fait pas forcément avancer l’histoire, ce n’est pas anodin. Et pour moi, c’est ce qui prouve que la fin du film est une projection. Lors du dénouement, juste avant de réellement mourir donc, flottant dans l’espace, la théorie du Dr Mann s’applique. Cooper s’imagine la vie qu’il aurait eu s’il avait été sauvé à temps : secouru sur une station et retrouvant sa fille, qu’il s’imagine 100 ans plus âgée.

D’ailleurs, qui n’a pas remarqué que lorsqu’il pénètre dans la chambre de Murph, allongée sur le lit d’hôpital, les membres de sa famille autour, s’écartent, sans que Cooper ne s’intéresse à eux. On voit à peine leur visage dans le cadre. Après deux minutes de discussion avec Murph, il se retire de la même manière, à reculons, et les enfants et petits-enfants de Murph (et donc les descendants de Cooper) se resserrent autour de son lit, sans prêter attention à leur héroïque aïeul. On remarquera également l’intelligence du cadre et de la direction d’acteurs de Christopher Nolan dans cette scène.

Mais tout cela est curieux, voire irrationnel, non ? Et bien, c’est finalement logique si l’on suit ma théorie. Cooper ne connaît pas les visages de ses petits-enfants et arrières-petits-enfants. Il s’imagine leur présence physique, sans avoir une idée de leur personnalité ou des traits de leur visage. Et comme dans un rêve, il s’en va à reculons, voyant ces silhouettes se resserrer autour de Murph.

Oui, mais puisque Dr Mann a parlé de “ses enfants”, où est donc son fils dans cette scène me direz-vous ? Et bien premièrement, s’il s’imagine sa fille avec 100 ans de plus, Cooper peut tout à fait penser au moment de cette projection utopique que son fils est déjà mort, car plus âgé que Murph. Deuxièmement, on a bien vu tout au long d’Interstellar qu’une connexion se faisait surtout entre lui et Murph, alors que son fils Tom n’en a absolument rien à faire.

C’est l’un des reproches que l’on peut faire au film d’ailleurs. Et troisièmement, lorsque Cooper était en train d’agoniser sur la planète du Dr Mann, attendant le secours de Brand, il n’a invoqué dans son esprit que l’image de sa fille, jamais celle de son fils. Cooper ne voit donc pas ses enfants au moment de mourir, mais uniquement sa fille, car c’est cette connexion sentimentale qui représente la base psychologique du personnage et du film, aussi injuste soit-elle vis-à-vis de Tom.

Les Trois T : tunnel, TARS et télévisions

Enfin, il s’agit de déceler aussi les indices qui appuient cette théorie au sein même des éléments de la station Cooper. Nolan a t-il insufflé cet esprit dans le décor ? L’un des arguments est presque évident, du moins il donne l’impression qu’il a été intégré pour permettre cette théorie : le vaisseau prend la forme d’un tube gigantesque, avec au bout de celui-ci… une lumière blanche, qui sert de “soleil” aux humains.

Tiens, pouvez-vous me rappeler ce que beaucoup de personnes ayant vécu un EMI dans la réalité disent avoir vu ? Un tunnel avec au bout une lumière blanche. D’autant qu’il semble que les représentations dessinées de ce tunnel et le design de ce trou de lumière, que l’on aperçoit dans Interstellar à deux instants, sont proches, sinon identiques.

C’est surtout CE point de décor, très important, qui appuie ma pensée. Car pour le reste des éléments distillés par Nolan dans cette dernière partie, difficile de faire une corrélation évidente entre mon propos et ce qui est censé faire preuve. Deux choses cependant, lorsque l’on étudie la question en profondeur, intriguent. Tout d’abord, une petite incohérence logistique. Les hommes qui ont sauvé Cooper sur la station ont donc entreposé la carcasse dysfonctionnelle de TARS dans la ferme reconstituée.

Mais on peut légitimement penser, si l’on se place du point de vue de ces sauveurs, qu’un tel robot retrouvé près du corps de Cooper dans l’espace ne serait pas simplement laissé dans un coin comme un meuble qui prend la poussière. TARS est peut-être le meilleur témoignage de ce qui s’est passé lors de ce voyage interstellaire. Les ingénieurs de la station n’auraient donc à aucun moment essayé de le réparer pour voir s’il pouvait apporter des éléments d’information ? D’autant qu’on le voit, Cooper réussit à le remettre en état de marche avec un tournevis. Largement à leur portée.

Si l’on suit notre théorie jusqu’au bout, et que l’on considère l’intelligence de Nolan, une nouvelle fois cette possibilité que TARS l’attende sagement dans son salon est un fantasme de Cooper, qu’il matérialise dans sa dernière projection. Il est guidé par l’émotion égoïste et irrationnelle de ce dernier instant de vie, plus que par la logique du récit.

Enfin, une dernière chose curieuse dans cette fin, et je pense que tout le monde l’a remarqué : les télévisions installées sur la station aux abords de la ferme, mais aussi à l’intérieur, qui diffusent en continu des témoignages de personnes âgées ayant connu la vie sur Terre à l’époque où Coop y vivait. Des extraits vidéos utilisés également au début du film, comme plans intégrés au récit. Alors si on peut supposer que ces télévisions fonctionnent dans le cadre d’un mémorial, où la maison de Cooper serait bâtie sur la station en tant qu’œuvre d’un musée (ce que les poteaux de guidage à cordes rouges présents dans la ferme au moment où Coop y pénètre laisse supposer), elles font aussi penser à des objets improbables qui s’introduisent dans un rêve.

D’ailleurs, au tout début du film, quand on entend le premier témoignage de la vieille dame, qui commence le récit par “Mon père était agriculteur”, Cooper est justement en train de dormir. Comme s’il invoquait à nouveau ce rêve fait sur Terre dans sa projection finale. Mais je suis conscient que ce dernier point n’est pas évident à défendre, même si je préfère croire à cette possibilité d’une projection.

En tout cas, avec cette fin faussement fermée, Nolan a de façon certaine voulu laisser la place à la théorie, comme il l’avait fait dans Inception. Car si on perçoit ce dénouement selon le premier niveau de lecture du film, on peut se demander comment un cinéaste aussi exigeant propose une fin aussi banale. Peut-être parce qu’aujourd’hui, son image de réalisateur “grand public” l’oblige à proposer une “alternative” simple. Mais qui cache donc une subtilité et un matériau prodigieux, qui constituent LA vraie fin d’Interstellar.

Article écrit par Florent Bodenez, journaliste cinéma pour Cinefil