The Dark Knight : la scène culte entre Batman et le Joker décryptée par Christopher Nolan

The Dark Knight : la scène culte entre Batman et le Joker décryptée par Christopher Nolan

photo de profil

Par Louis Lepron

Publié le

Éléments d’explication de l’une des scènes les plus importantes de la trilogie Batman par Christopher Nolan lui-même.
La première scène est sombre, mal éclairée. À l’image, le commissaire Jim Gordon joué par Gary Oldman. Face à lui, le Joker, incarné par Heath Ledger, coincé alors entre les quatre murs de la police de Gotham. De son visage sous-exposé, on ne retient que le blanc cadavéreux de son maquillage de clown sinistre.
Il s’agit là des prémices de l’une des séquences les plus connues et les plus importantes de la saga Batman réalisée par Christopher Nolan. Disposée dans le dernier tiers de The Dark Knight (2008), elle voit un trio de personnages essayer d’intéragir pour mieux défendre leurs intérêts : le commissaire Gordon au nom de la justice de la cité alors que règne une terreur qui n’a pas de nom, Batman au nom d’une affaire qui s’avère être personnelle, le Joker au nom d’une anarchie qu’il tente d’installer.

Alors que le Joker façon Jared Leto de Suicide Squad a été récemment dévoilé dans une bande-annonce prometteuse, Premiere a décidé de revenir sur cette séquence culte en reprenant le cours d’une interview de Christopher Nolan accordée en octobre 2008 au site Hero Complex. Un décryptage bienvenu qui en dit plus sur 4 minutes et 16 secondes désormais gravées dans l’histoire des super-héros au cinéma.

À voir aussi sur Konbini

  • L’une des premières séquences de Heath Ledger en Joker

Dans un premier temps, le cinéaste explique qu’il s’agissait de l’une des premières fois où Heath Ledger se transformait en Joker pour les besoins du film :

La scène de l’interrogatoire du Joker par Batman est la scène la plus importante du film pour moi. Dès l’écriture du script, il s’agissait déjà de la séquence centrale qu’on voulait absolument réussir. Nous l’avons tournée assez tôt.
Il s’agit d’ailleurs de l’une des premières séquences de Heath dans la peau du Joker. Il m’avait dit que ça l’excitait beaucoup de s’attaquer si vite à un si gros morceau, de tourner une des scènes clé du Joker dans les trois premières semaines d’un tournage qui allait durer sept mois. On aimait tous les deux l’idée de se jeter à l’eau, tout comme Christian.

Avant que Heath Ledger n’arrive sur le plateau habillé en Joker, il s’était enfermé plusieurs mois dans une chambre d’hôtel à Londres. Son objectif ? Se transformer physiquement – c’est lui-même qui a travaillé son maquillage – et mentalement, expérimentant durant de longues semaines ce rire terrifiant et ces gestes. Dans le journal intime qui avait servi à l’acteur au cours de la préparation de son rôle, on trouvait notamment une référence à Orange Mécanique de Stanley Kubrick.
Le résultat est une performance d’une rare intensité qui aura convaincu l’Académie des Oscars de lui délivrer une statuette posthume en 2009.

  • “Lumière !”

Côté décor, voilà comment Christopher Nolan le décrit, entre l’utilisation minime d’une source de lumière et un environnement qui faisait très “abattoir” :

La séquence démarre entre Gary Oldman et Heath Ledger, dans la pénombre. Le directeur de la photo Wally Pfister a éclairé toute la scène uniquement à l’aide d’une lampe de bureau. Et quand les lumières se rallument, Batman apparaît, et le reste de la scène est carrément surexposée.

Wally a tout surexposé, et atténué après coup pour ramener un peu de couleur. Mais c’est cette éclairage par le haut hyper intense qui nous a permis de nous déplacer dans tous les sens. On filmait caméra à l’épaule comme on voulait, ce qui permet à la scène d’être très spontanée. Le décor était super, totalement réaliste. Nathan Crowley, le production designer, avait construit ces grands miroirs et cette pièce toute en longueur dont j’adorais le look.
Ça ressemblait un peu à un genre d’abattoir […]. On voulait que l’ensemble soit très tendu, très brutal. On voulait que cette scène soit le moment où Batman allait être vraiment testé par le Joker. Et on voit que le Joker est capable de taper sur les nerfs de n’importe qui.

  • Une scène filmée après peu de répétitions

Ce qui étonne le plus est le fait que les acteurs répètent très peu la scène avant que la caméra ne tourne. Comme si Christian Bale et Heath Ledger – ce qui est sûrement le cas – étaient déjà tellement dans leur personnage que la spontanéité alliée à leurs dialogues suffisaient à les rendre crédibles.
Et Christopher Nolan d’expliquer :

On avait à peine répété la scène. On l’avait juste survolée une ou deux fois pendant la pré-production pour avoir un aperçu de la manière dont elle allait marcher. Aucun des deux ne voulait aller trop loin dans la répétition. Ils avaient dû répéter quelques chorégraphies de combat mais même là, on voulait que ça reste ouvert et improvisé. Il fallait préserver l’ensemble.

Je ne réalise ça que maintenant, mais cette séquence synthétise tout ce que j’aime dans la réalisation. On était tous très excités de s’attaquer à ce gros morceau, un échange très dialogué et en même temps hyper intense entre ces deux personnages iconiques. C’était assez étrange de voir Batman assis à une table en face du Joker.

  • La table : l’équilibre sur le fil entre Ledger et Bale

Lorsque Batman et le Joker se font face autour de la table de la prison, Christopher Nolan opère un champ-contrechamp classique. Mais a contrario d’une scène où les deux personnages seraient immobiles, avec le point fait sur eux, Heath Ledger n’arrête pas de se mouvoir à l’écran.
À ce propos, le réalisateur britannique explique :

[La scène] comporte beaucoup de gros plans, avec parfois un léger mouvement de caméra. C’est très maîtrisé au début, mais même sur ce plan, la manière qu’a Heath de dodeliner légèrement de la tête… et c’est très compliqué de filmer quelqu’un qui se penche vers la caméra sans arrêt.

Ça crée vraiment un effet particulier. On est constamment en train d’essayer de faire le point sur lui. On peut vraiment voir ses mouvements d’avant en arrière. De cette manière, même dans un plan serré, on obtient cette étrangeté. De l’autre côté, on a Batman assis, tout en contrôle, tout en retenue.

  • La scène de combat

“Puis on atteint le point de rupture” explique le cinéaste, qui poursuit :

L’échange devient très physique et Batman tire le Joker par-dessus la table. A partir de là, la séquence est tournée caméra à l’épaule pour garder la fluidité des mouvements. Ils avaient répété les cascades et les scènes de combat assez précisément mais, à partir de ce cadre, on leur a laissé le champ libre. Je n’avais jamais vu quelqu’un simuler un coup de poing comme Heath l’a fait avec Christian.

J’ai obtenu la violence que je désirais. Ce qui me paraissait le plus important d’un point de vue créatif, c’était de montrer Batman aller trop loin. On le montre carrément en train de torturer pour quelqu’un pour obtenir des informations, parce que c’est devenu une affaire personnelle.
La rage est un élément central du Dark Knight, et cette scène d’interrogatoire est le pivot de tout le film. Le crois que Batman – et Bruce Wayne – y découvre beaucoup de choses sur lui-même. J’étais enchanté de voir Christian exprimer cette rage. Qui est d’ailleurs formidablement équilibrée par la maîtrise de Gary.

  • Jim Gordon et son importance

Jim Gordon, symbole de l’honnêteté et de la probité à Gotham, est complètement extérieur à la scène de combat. Tellement que le prince de Gotham décide de fermer de l’intérieur la porte de la salle d’interrogatoire, comme le souligne Christopher Nolan :

Même si tout le monde se souvient de la scène comme d’un face à face entre Batman et le Joker, le rôle de Gordon, qui la met en place et permet l’interrogatoire, est primordial. Et puis, de l’extérieur, il observe Batman et sait exactement à quel moment il est allé trop loin, il tente d’intervenir mais Batman a verrouillé la porte.

Et ça nous amène à la fin de la scène, quand Batman ne fait plus que tabasser le Joker. Je crois que Heath a parfaitement réussi à faire ressentir la menace que le Joker représente et l’essence de se personnage. Il se fait tabasser et rigole, il adore ça. On ne peut rien faire face à ça.
Il dit à Batman “toute votre force ne vous sert strictement à rien”. On découvre une forme d’impuissance chez ce Batman fort, tout en muscles, en armure ; il est très puissant mais ne trouve aucun moyen d’exercer son pouvoir dans cette scène. Et il doit se confronter à ça.

  • Une scène coupée

Enfin, Christopher Nolan précise que l’image finale de cette séquence aurait dû voir Batman foutre un coup de boule au Joker. Mais finalement, c’était “too much” :

Au départ, à la fin de la séquence, lorsque le Joker révèle ses informations, Christian le lâche et puis, comme s’il changeait d’avis, il lui met un coup de pied dans la tête en sortant. On a fini par couper ce dernier coup, ça semblait un peu trop colérique pour Batman finalement.
Et en fait, au-delà de ça, j’aime la manière dont Christian l’a joué : quand il lâche le Joker, il réalise la futilité de ce qu’il vient de faire. On le voit dans ses yeux. Comment combattre quelqu’un qui ne s’épanouit que dans le conflit ? Ça nous laisse sur une fin très ouverte.