Stacy Martin : rencontre avec l’étoile montante du ciné indé

Stacy Martin : rencontre avec l’étoile montante du ciné indé

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Par Louis Lepron

Publié le

Lars von Trier, mannequinat et terrorisme : on a rencontré Stacy Martin à l’occasion de la sortie du film Taj Mahal.

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Stacy Martin est là. Droite, le regard perçant, un léger accent anglais lorsqu’elle parle français, un léger accent français lorsqu’elle parle anglais. Une mère anglaise, un père français, un passage par le Japon, voilà pour le mélange culturel.

L’actrice, découverte dans Nymphomaniac de Lars von Trier, est aujourd’hui à l’affiche de son troisième film, une production française réalisée par Nicolas Saada, Taj Mahal. L’histoire vraie d’une jeune fille, Louise, qui se retrouve coincée dans une attaque terroriste. On est à Bombay, dans un hôtel de luxe, en novembre 2008. L’attentat, qui aura ciblé une dizaine d’endroits dans la ville indienne, a causé la mort de 188 personnes. Un évènement qui fait évidemment écho aux attentats de Paris du 13 novembre.

Mais nous sommes le 4 novembre. Rien ne s’est encore passé, l’insouciance rode. On est à l’Hotel de l’Abbaye et Stacy Martin est à la recherche de vieilles cassettes qu’utilisaient les journalistes de la BBC pour enregistrer leurs interviews. C’est en tout cas de cette manière que débute l’entretien : “J’en ai trouvé sur eBay mais c’est le prix d’une semaine de courses”.

Comme elle me l’avouera à la fin de l’interview,  Stacy Martin peut dire des “choses bizarres”. Peut-être parce qu’à 24 ans, l’actrice a eu plusieurs vies. Une première, vers l’âge de sept ans, au Japon, avec un passeport siglé du terme “Alien” : “Ça m’a donné l’impression que je ne ferai jamais partie de ce pays”. De cette expérience, elle en retire une ouverture au monde, aux cultures et un “sens de l’exploration”.

Une deuxième à Londres à l’aube de l’adolescence. Elle plonge dans le monde du mannequinat, “un boulot à côté” pour financer ses études, son emménagement dans la capitale britannique et ses cours de cinéma :

Même si j’ai pu en profiter, même si j’ai pu voyager, même si je pouvais économiser, ça n’a toujours été pour moi qu’une fonction. Je respecte les mannequins qui veulent faire leur trou parce que c’est un milieu plus compétitif que le cinéma. C’est plus dur, c’est plus rapide. Un mannequin, c’est un jour ici, un jour là : je suis un peu plus lente que ça en réalité (rires).

Une troisième vie au cinéma

Sa troisième vie s’incarne, paradoxalement, dans le septième art. Un beau jour, elle décide de tout quitter pour des cours de cinéma. Le mannequinat ? Terminé. Place aux caméras et aux rôles, sur lesquels elle entend avoir plus de contrôle, car une photo, on ne peut “[s’]en détacher, c’est moins personnel”. D’un film, il peut être de son “propre ressort, il y a la vie qui est là”. Le véritable déclic est une offre, et pas des moindres, qu’elle reçoit en 2012 : un rôle dans un film de Lars von Trier, un certain Nymphomaniac. 

Quand il me l’a donné, c’est là où je me suis dit que je pouvais me faire confiance.

La pression ? Aucune, vraiment aucune :

J’avais tellement envie de le faire, de jouer le scénario. Il était logique que je dise oui. Tout était très clair avant que je commence : j’ai travaillé le scénario pendant trois semaines. Sur le plateau, je n’ai pas réalisé ce qui m’arrivait. C’était la première fois que je posais un pied dans un tel endroit, je n’avais pas de références, et je pense que c’était une bonne chose. J’avais tellement envie de faire ce film que ma vie s’est arrêtée.

Stacy Martin en oublie même de prévenir ses amis. Un mois sans nouvelles. Elle leur annonce, comme si c’était une évidence, qu’elle travaille pour Lars von Trier, un réalisateur dont elle avait vu L’Hôpital et ses fantômes trois semaines avant que la proposition ne lui parvienne. Elle me précise : “Quand on dit oui à un rôle qui demande énormément, il faut donner énormément”. Logique.

Sur le plateau, la confiance avec le cinéaste danois est forte : 

Il écrit des rôles féminins extrêmement complexes, pas forcément aimables, parfois forts. Beaucoup de gens ont du mal à voir une femme qui a des problèmes ou qui n’est pas parfaite alors qu’il y a des millions de films avec des hommes qui sont horribles, et ça ça passe.

La discussion dérive alors sur les inégalités salariales dans le milieu du septième art :

C’est ridicule. Ça devrait être illégal. Je ne comprends pas pourquoi on est payé en fonction du genre. Après, les rôles principaux ou secondaires, d’accord, mais parfois il est très difficile de se dire qu’une telle situation perdure, parce que ce n’est tellement pas dans mon vocabulaire et ma pensée.

L’expérience avec Lars von Trier est la première pierre de la troisième vie de Stacy Martin. Le réalisateur lui donne une vision basée sur la liberté. L’actrice a justement travaillé avec une méthode en phase avec la façon de travailler du Danois. Pas celle de “l’actor studio”, mais celle que l’on appelle la “technique de Meisner” :

C’est très spontané, très  immédiat, toujours à propos de l’autre, jamais à propos de soi. J’ai fait beaucoup de stages et de cours un peu partout, et c’était le seul endroit à ce moment-là qui me passionnait et qui me faisait dire : “maintenant j’apprends”.

Lars von Trier lui demande d’oublier la caméra, de la “pousser”. Un après-midi, Stacy Martin répète avec les acteurs. Sans prévenir, ils entendent un “action !”. “What ?”. Le cinéaste veut prendre des réactions sur le vif, entend inculquer à ses acteurs une chose : la caméra n’entretient aucune supériorité avec ses sujets.

Taj Mahal et la terreur

Deux ans plus tard, l’actrice est le premier rôle de Taj Mahal. Derrière la caméra, Nicolas Saada. Cet ancien critique des Cahiers du cinéma, passé de l’autre côté de la barrière en 2009 avec Espion(s), est tombé par hasard sur l’histoire de la fille d’un proche. Lors des attentats de novembre 2008, elle était coincée dans sa chambre d’hôtel à Bombay.

Le tournage se fait en Inde. Stacy Martin rencontre un “contact fort, animal” : “Les gens, les sons, les couleurs, j’ai eu un choc culturel, mais j’ai adoré ça, j’avais besoin de ressentir”. Et de me préciser : Pour le film, c’était nécessaire de chercher : Louise essaie d’avoir une expérience”. Stacy veut incarner mais pas imiter.

Elle plonge dans le scénario, après avoir rencontré celle dont elle allait revêtir la peur :

Elle était tellement ouverte et calme par rapport au processus du film. Je lui ai dit qu’elle pouvait venir sur le plateau pour me conseiller sur des choses que je devais faire ou pas. Elle a refusé et m’a juste précisé : “Merci de faire ce film, de vouloir raconter mon histoire”. Ça m’a donné énormément de liberté, d’assurance et de responsabilité créative. “Quelqu’un a envie que je fasse ça”.

Elle poursuit :

Ce qui l’a choquée, c’était que le scénario était au plus proche de ce qu’elle avait vécu, au niveau des sensations. Si je l’ai rencontrée, c’était pour la voir, voir comment elle était, et lui dire que je n’étais pas là pour prendre son histoire et en faire un “Stacy Martin Show”. J’étais là pour être une éponge. À chaque fois que je la voyais, c’était plus pour m’imbiber d’elle, de ses expressions, que de lui demander : “C’était comment ?”.

Pour jouer Louise, elle décide de voyager en sens inverse, de partir de l’après-attentats pour retrouver le fil : “Qu’est-ce qui l’a fait voyager ? C’est cette question que je me suis posée”.

“J’ai dû travailler avec le son”

Pour Stacy Martin, dans le cadre d’un sujet aussi sensible, l’idée est de ne pas travailler avec un résultat mais avec la découverte. Découvrir peu à peu l’émotion, la spontanéité face à des bruits, des explosions : “Elle est dans une chambre, toute seule, face à des terroristes : quelles sont les étapes, qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne voulais pas savoir, je devais être dans le flou”.

Les sons ont ainsi eu une importance capitale lors du tournage :

Vu que je n’ai pas de partenaire, j’ai dû travailler avec le son. Il faut trouver quelque chose qui va nous faire réagir. Donc le son est très important. Pour toutes les conversations au téléphone, j’avais à l’oreillette une personne qui me donnait les réponses au micro. Et pour les bruits, les explosions, il y en avait aussi. Ça aurait été difficile sinon.

Pour Stacy Martin, Taj Mahal est une pièce du puzzle de sa carrière : Il y a plein de bouts à trouver, ils sont tous liés mais tous différents et importants”. Les prochaines pièces, elle ne veut pas les prévoir. D’abord parce que c’est dur. Ensuite parce qu’elle n’est pas maître de son avenir. Pour autant, elle entend contrôler une chose : ceux avec qui elle travaille.

J’ai aujourd’hui beaucoup de chance, je peux choisir, je peux en profiter. Plus je fais attention maintenant, plus facile ce sera dans le futur. 

Crédits images et gif : Gaïa Oisatsana