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Saul Williams : “Le hip-hop est l’arme du peuple !”

Saul Williams : “Le hip-hop est l’arme du peuple !”

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Par Arnaud Pagès

Publié le

Avec Martyr Loser King, ce diamant du hip-hop signe un
retour remarquable dans les bacs. Entretien avec Saul Williams, artiste aux multiples talents, activiste, poète, écrivain, acteur et rappeur.

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Cela faisait quatre ans que Saul Williams ne nous avait pas gratifiés d’un nouvel opus. Depuis 2011 et Volcanic Sunlight, sans doute son disque le moins convaincant. Martyr Loser King, disponible depuis fin février, vient nous rassurer : Saul Williams n’a rien perdu de sa fougue créatrice. Toujours aussi engagé dans la dénonciation des injustices de ce monde, Williams nous livre un album intense et subversif ou le message politique est sublimé par une musique hybride aux influences toujours plus étendues

Certains musiciens sont des architectes. Saul Williams s’est appliqué à construire, morceau après morceau, album après album, une Babel musicale dans laquelle le hip-hop fréquente le punk, l’électronique, la dance et les rythmes du monde, faisant voler en éclat les barrières entre les sons, les stéréotypes. Martyr Loser King est une nouvelle démonstration du talent de Saul Williams : un mélange de liberté, d’audace et d’innovation, loin des dogmes et des étiquettes.

Cette liberté créative que Saul Williams s’accorde fait de lui l’un des artistes les plus intéressants de la scène américaine. Parce qu’il ne cherche pas à rentrer dans une case. Quitte à vendre moins de disques. Il préfère laisser le soin aux autres de répéter toujours et encore les mêmes recettes. Saul Williams est un artiste libre. Et c’est rare. Trop rare.

Konbini | Martyr Loser King est ton premier album depuis quatre ans, qu’as-tu fais pendant tout ce temps ?

Saul Williams | J’ai travaillé sur quatre films, j’ai écrit deux livres et un roman graphique. J’ai fait beaucoup de concerts. Quatre ans entre deux albums, c’est une durée normale pour moi. J’ai l’habitude de prendre mon temps et de faire les choses bien.

Musicalement, ce nouvel album explore encore beaucoup plus de pistes que les précédents. D’où te vient cette attirance pour toutes ces musiques différentes ?

J’ai grandi à New York. C’est une ville musicalement très riche. Il y a le hip-hop, le punk, le jazz… Mais j’ai également beaucoup voyagé en gardant mes oreilles ouvertes en permanence, donc je me suis nourri de beaucoup de choses. Quand j’étais adolescent, j’ai habité au Brésil et j’ai découvert la musique de là-bas, notamment les percussions, ainsi que la samba et la bossa nova.

J’ai appris, à travers mes voyages et mes expériences, à découvrir et à explorer différents styles musicaux. Je me suis fait des amis partout dans le monde qui m’ont fais découvrir des choses nouvelles et m’ont ouvert de nouvelles perspectives. En grandissant, j’ai été inspiré par la scène alternative. J’ai été inspiré par une vision du monde faite d’identités et de tribus différentes. C’est cette vision du monde que j’ai toujours ensuite essayer de développer dans ma musique. Au fur et à mesure que j’ai pris conscience de tout cela, je l’ai traduit en musique. C’est pour cette raison qu’elle est très variée et qu’elle intègre beaucoup d’influences.

“Dans le hip-hop, personne n’a jamais dit qu’on ne pouvait sampler que du James Brown jusqu’à la fin des temps”

Tu penses que tu fais toujours du hip-hop ?

Le hip-hop, c’est exactement cela. C’est du sampling. C’est une musique qui intègre toutes les musiques. Si tu samples James Brown, c’est que tu écoutes du James Brown. Si tu samples Led Zeppelin, c’est que tu écoutes du Led Zeppelin. C’est un média qui peut tout intégrer et tout transformer. En art contemporain, on parlerait de technique mixte. Run DMC faisait du hard rock, Public Enemy s’inspirait du noise rock, Gangstarr utilisait des samples de jazz, le Wu-Tang se servait de musiques de films. Dans le hip-hop, personne n’a jamais dit qu’on ne pouvait sampler que du James Brown jusqu’à la fin des temps.

Quand j’ai fait mon second album, je me suis servi de samples de punk. J’ai toujours écouté beaucoup de musiques différentes en gardant une oreille sur tout ce que je pouvais sampler. Ça fait partie de la culture hip-hop. Le hip hop c’est avant tout du collage. Mélanger les musiques et les samples : punk, heavy metal, disco, jazz, classique.

Le problème, c’est qu’il y a des gens qui ont une définition étroite du hip-hop. Ce n’est pas la mienne. Je suis définitivement hip-hop ! Tous les groupes commerciaux utilisent les mêmes recettes, faciles à mettre dans les bacs, faciles à vendre. C’est le problème des étiquettes. J’ai été inspiré par des artistes trip-hop, comme Tricky, par exemple. Est-ce que ça veut dire que je suis un musicien trip-hop ? La vérité, c’est que je suis un mélange de beaucoup de choses. J’ai commencé ma carrière en faisant du rap, mais mes références et mes influences viennent d’un peu partout.

Tu fais beaucoup de choses différentes : musique, cinéma, poésie… Comment trouves-tu le temps pour tout ?

Tout dépend de la manière dont l’on gère son temps. Et de l’inspiration. Par exemple, si je travaille sur un film sur Miles Davis, j’écoute forcément de la musique. Et du coup, ça me donne des idées pour ma musique à moi et je me mets à bosser dessus en parallèle. Après, que je travaille sur un film, un morceau ou un livre, le plus important c’est d’arriver à connecter les choses, à connecter les mots. Bien sûr, tout ce qui m’entoure m’inspire aussi. Ma famille, mes amis, l’actualité…

Même maintenant, en parlant avec toi, il me vient des idées. Ça peut être quand j’écoute de la musique dans ma cour, quand je regarde un oiseau s’envoler, quand je bois une tasse de café, quand je regarde les couleurs de la mer. Quand tu regardes un film, il y a de la musique. L’inspiration est partout, il faut la saisir et assembler les morceaux. Les disciplines sont séparées pour des raisons commerciales, mais pour moi elles interagissent, ça forme un tout.

“La meilleure façon de parler de Martyr Loser King est de presser le bouton play et d’écouter l’album”

Si tu travaillais dans un magasin de disques et que tu devais vendre ce nouvel album, comment parlerais-tu de ta musique aux gens ?

C’est une question intéressante. Je ne dirais rien du tout. Je mettrais le disque, pour que la musique parle d’elle-même !  Ça définit très bien Martyr Loser King. Je n’aurais rien à dire, juste à laisser les gens l’écouter. J’essaye de communiquer l’essence même de ma musique sur cet album. Il y a de longues introductions au début des morceaux pendant lesquelles il n’y a pas de paroles parce que je voulais que les gens ressentent la musique et que ce soit émotionnellement intense, et surtout pas cérébral : qu’ils ne se concentrent pas tout de suite sur les paroles. C’est une façon pour moi de m’exprimer autrement que par le langage.

On dirait qu’il y a un message à l’intérieur même du titre de ton album. Martyr Loser King, ça veut dire quoi exactement ?

Martyr Loser King, c’est le pseudonyme d’un hacker. J’ai créé ce personnage en référence à des artistes comme Banksy, tous ceux qui font toutes sortes d’actions créatives subversives dans notre société. Je voulais que ce soit un nom qui puisse être un tag. Je voulais un titre qui soit un symbole de rébellion et de subversion !

“Ce qui était cool quand je vivais à Paris, c’est que j’écoutais de la musique française tout le temps”

La musique française est-elle pour toi une source d’inspiration ?

Définitivement oui ; pas seulement la musique française, mais la musique francophone dans son ensemble. Ce qui était cool quand je vivais à Paris c’est que j’écoutais de la musique française tout le temps. Ma plus grosse source d’inspiration a été Serge Gainsbourg. Mais j’écoute aussi beaucoup de hip-hop français et toute la French Touch.  À Los Angeles, il y a un disquaire qui a tout un rayon spécialisé en groupes français, ce qui me permet de me tenir au courant de ce qui se passe ici musicalement.

Toi qui a vécu à Paris, quelle a été ta réaction par rapport aux attentats de novembre dernier ?

Ce type d’attaque terroriste s’est déjà produit chez nous. Ces attaques arrivent partout dans le monde. Les gens ont peur, mais la vraie question c’est de savoir comment cette peur est instrumentalisée. Comment les gouvernements utilisent-ils cette peur ? Nous avions beaucoup d’amis à Paris et ce qui s’est passé le 13 novembre nous a beaucoup affectés. Avec ma femme, nous connaissions des gens qui travaillaient au Petit Cambodge et au Bataclan et nous nous sommes sentis directement attaqués.

Je n’ai pas envie de parler du terrorisme. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment ce genre de choses peuvent se produire. Cela vient directement des gouvernements. Les politiques étrangères de ces gouvernements, et en particulier celle des États-Unis, sont responsables de ce type d’action. Nous devons trouver le moyen pour que ces gouvernements ne puissent plus générer du terrorisme, de la peur et de l’extrémisme.

“Vous avez Marine Le Pen et nous on a Donald Trump !  Il faut faire très attention aux gens qui basent leur politique sur la peur”

La musique peut-elle aider à résoudre les problèmes de ce monde ?

La culture est à peu près la seule arme que le peuple possède. La musique a du pouvoir, c’est l’arme de la culture ; les drones et les flingues, ce sont les armes du gouvernement et la peur celle des terroristes. Le hip-hop est l’arme du peuple. Et c’est valable pour la musique au sens large. C’est un moyen pour que les gens puissent se connecter et se mobiliser. C’est une force de changement et elle peut réellement aider à faire bouger les choses.

Ce sont bientôt les élections américaines. Est-ce que, selon toi, Obama a fait du bon boulot ?

C’est trop simple de parler de bon boulot ou de mauvais boulot. L’élection de Barack Obama a marqué symboliquement un grand changement aux États-Unis. Mais dans la réalité, Guantanamo est toujours ouvert, il y a toujours des policiers qui tuent des innocents, il y a toujours beaucoup de problèmes… C’est mieux que Bush, mais il aurait pu aller plus loin.

En tout cas il y a eu des avancées, notamment en ce qui concerne la couverture maladie. Avec ces nouvelles élections qui arrivent, nous avons des candidats extrêmes avec Donald Trump et Bernie Sanders. Je souhaite profondément que le système puisse être changé. Il y a beaucoup de choses à améliorer aux États-Unis et dans le monde. Mais le vrai changement, ce sont les gens qui peuvent l’amener.

Bernie peut inspirer les gens et leur donner envie de changer les choses, mais il n’aura jamais le pouvoir nécessaire pour tout faire. Aucun président n’a le pouvoir qui serait nécessaire. Est ce que je pense que Bernie Sanders peut forcer la main au changement ? Oui, je le pense. Nous avons besoin de quelqu’un qui nous fasse regarder dans la bonne direction. C’est un problème auquel la France est confrontée également, vous avez Marine Le Pen et nous on a Donald Trump ! Il faut faire très attention aux gens qui basent leur politique sur la peur. Ils sont dangereux.