Sample Story #21 : quand le rap rend hommage à Godzilla

Sample Story #21 : quand le rap rend hommage à Godzilla

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Sur l’affiche de Godzilla, le monstre est beaucoup plus haut que la Transamerica Pyramid (260 mètres) de San Francisco

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Par Brice Miclet

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Depuis 1954, la majorité des musiques de films américains ou japonais mettant en scène le célèbre monstre Godzilla contiennent le titre “Main Title”, composé par Akira Ifukube. Tout comme Pharoahe Monch ou Grems avant lui, le rappeur Disiz en a samplé la version de 1992 sur son tout dernier album, Disizilla, sorti il y a une semaine, s’inscrivant alors dans une tradition rap vieille de vingt ans.

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Disiz n’en a pas fini de nous étonner. Avec son nouvel album Disizilla, l’un de ses meilleurs depuis belle lurette, le rappeur d’Évry a publié son douzième projet en dix-huit années. Une productivité bluffante qui nous rappelle que même si sa discographie est inégale, elle reste toujours osée, singulière. Cette fois, il place son nouvel effort sous le signe de l’un des mythes les plus tenaces du cinéma mondial : celui de Godzilla.

Un monstre plus bienveillant qu’on ne le croit

Dans la digne tradition des kaïju, créatures mystiques issues du folklore japonais, Godzilla est double : à la fois menaçant pour l’homme, c’est aussi l’incarnation de la nature qui se rééquilibre d’elle-même en chassant un intrus destructeur (en témoigne le dernier film estampillé USA en 2014), création accidentelle de l’homme liée au nucléaire, finalement réparatrice.

Sa première apparition au cinéma survient en 1954, neuf ans après les traumatismes d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais pour accompagner un tel monstre, créé par le producteur de films Tomoyuki Tanaka, il faut la musique adéquate. C’est là qu’Akira Ifukube entre en scène. Compositeur de musiques de films depuis 1947, il écrit toutes les pistes du long-métrage. La plus célèbre, celle qui habille l’arrivée de Godzilla dans la ville de Tokyo, se nomme “Main Title”.

Suite à l’immense succès de ce premier film, les variantes nippones ou américaines sur grand écran vont exploser. Godzilla se bat désormais contre d’autres créatures (King Kong vs Godzilla en 1962, Mothra vs Godzilla en 1964, Godzilla vs Gigan en 1972, Godzilla vs King Ghidorah en 1991…). On en décompte aujourd’hui une quarantaine.

De 1954 à 1995, donc, Akira Ifukube s’occupe des bandes originales des productions japonaises produites par la société de production Tōhō. Et à chaque fois, il intègre “Main Title” à la tracklist. Certes, le morceau varie, est réarrangé, réécrit, mais il conserve son aspect menaçant, lourd. L’un des tout derniers films sur lequel travaillera Akira Ifukube se nomme Godzilla vs Mothra (un remake de celui de 1964) qui sort en 1992. “Main Title” y figure encore.

Pharoahe Monch, l’homme qui ouvre la brèche

C’est cette version qui donnera le morceau “Mastodonte”, extrait du dernier album de Disiz, sorti la semaine dernière. La mélodie angoissante du début est bien là, ainsi que les quatre notes martiales, celles qui habillent une bonne partie du titre. L’un des temps forts de l’album, à n’en pas douter, malgré sa courte durée, deux minutes seulement.

Ironie du sort, une autre piste de l’album, placé sous le signe du pays du Soleil-Levant, est baptisée “Hiroshima”, en référence au bombardement nucléaire ayant inspiré la légende de Godzilla. Sauf que Disiz n’est pas tout à fait le premier à sampler “Main Title”. Avant lui, et en tout premier lieu, il y a eu Pharoahe Monch et son classique du rap américain du début des années 2000, “Simon Says”.

Ayant commencé sa carrière dans l’excellent groupe Organized Konfusion avec Prince Po, Pharoahe Monch se lance en solo en 1997 et sort son premier album deux ans plus tard, Internal Affairs. “Simon Says” en est le single phare, doté d’un clip complètement barjot dans lequel le rappeur débarque dans un désert proche de l’univers de Mad Max et électrise une foule déchaînée sur sa rythmique tirée du “Main Title” de 1992.

Un carton qui n’échappe pas à Tōhō, société de production créatrice et détentrice des droits des films Godzilla, et donc des bandes originales d’Akira Ifukube. Le procès ne tarde pas, et Pharoahe Monch, qui a composé l’instru de “Simon Says” mais n’a pas demandé l’autorisation pour ce sample, perd la bataille. “J’ai perdu des tonnes d’argent, déclarera-t-il quelques années plus tard. Mais bon, j’aurais pu m’acheter un bateau avec cette thune et me crasher avec.” Belle philosophie.

Toujours la même recette

Il est courant que des samples ayant engendré des tubes rap soient réutilisés dans la foulée par d’autres artistes. Sauf qu’au vu du procès remporté par Tōhō, il faut attendre 2007 pour que des musiciens de premier rang ne s’y attellent à nouveau. Certes, il y a eu quelques exemples plus confidentiels entre-temps, mais c’est réellement le duo français Justice qui rouvre les vannes, avec leur titre “Genesis”, extrait de leur premier album Cross.

Côté français, le rappeur Grems en fera la matière principale de l’un de ses plus gros coups de force : le titre effréné et sacrément taré “Rencontre avec un ballon”, en 2010.

Par la suite, le DJ RP Boo ou encore la rappeuse Rapsody sampleront “Main Title”, toujours dans une recherche de noirceur, toujours avec cette montée folle de quatre notes.

Le dernier exemple notable en date nous vient de l’excellent Joell Ortiz, qui réutilise la recette miracle sur son morceau “Talk Dat” en 2017, en featuring avec Fred The Godson. Les références au Japon pullulent dans cette track. D’ailleurs, le clip est tourné à Tokyo, première ville victime des errances destructrices de Godzilla.

Akira Ifukube est décédé en 2006, mais son impact sur la musique de films japonaise est énorme. Alors oui, c’est son travail sur la franchise Godzilla qui reste dans les mémoires, mais les bandes originales d’Invasion Planète X, de Latitude Zéro ou encore de Dogora, The Space Monster qu’il a composées sont incontournables.