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Sample Story #2 : Burger King, revival latino des 90’s et “I Like It” de Cardi B

Sample Story #2 : Burger King, revival latino des 90’s et “I Like It” de Cardi B

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Par Brice Miclet

Publié le

Sur le premier album de la rappeuse Cardi B figure un titre taillé pour les soirées, “I Like It”. Un morceau lourd, redoutable, qui rappelle l’époque où New York était frappé par la fièvre du boogaloo, il y a cinquante ans. Pour retracer l’histoire de ce sample, il faut passer par les pubs de Burger King, par le revival latino des années 1990 et par les pratiques peu reluisantes de certaines maisons de disques.

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Cela fait un peu plus d’un an que le grand public rap a découvert Cardi B. Certes, elle rencontre un succès viral depuis 2013 mais qui n’est rien en comparaison de celui récolté par sa seconde mixtape, “Gangsta Bitch Music Vol.2”. Résultat, son album Invasion of Privacy figurait parmi les plus attendus de ce début d’année 2018. À sa sortie, un titre frappe : “I Like It”, avec Bad Bunny et J Balvin en featuring. Un mélange de musique latine et de trap terrible, qui peuple désormais une volée de DJ sets hip-hop partout dans le monde.

La fièvre du boogaloo

Le tout début du morceau, produit par les beatmakers J White, Invicible, mais surtout par Tainy, grand nom de la prod reggaeton, est composé de deux mesures de musique cubaine, sans que le beat trap n’explose. Enfin, cubaine en apparence seulement. Il s’agit en fait d’un titre de boogaloo, ce genre musical mixant soul music de Chicago, rhythm and blues, cha cha cha et mambo, inventé à New York dans les années 1960.

Ce début de morceau, puis le reste du titre, est un sample de la chanson de boogaloo la plus célèbre : “I Like It Like That” de Pete Rodriguez, sortie en 1967. Sa rythmique, certes, mais surtout son leitmotiv où des choristes répètent en boucle le titre du morceau, en ont fait un succès immédiat, la pièce maîtresse de cette scène musicale naissante.

Pour la petite histoire, Pete Rodriguez venait de signer sur un nouveau label, Alegre Records. Son ancienne maison de disques, Remo, se mord les doigts en voyant l’explosion de son ex-poulain, et réédite, avec beaucoup de malhonnêteté et de sens du business, ses premiers disques avec l’intitulé “Pete Rodriguez, The King of Boogaloo”, alors qu’ils ne contiennent aucune chanson de boogaloo. Pas con.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que dans les années 1960, New York et Los Angeles sont littéralement assaillies de groupes latinos calqués sur le modèle des groupes vocaux de soul music tels que The Temptations, The Isley Brothers ou The Four Tops. Un excellent documentaire sorti en 2016 retrace d’ailleurs l’histoire de cette folie new-yorkaise du boogaloo et de son titre phare.

Au départ, les titres sont chantés en espagnols, puis glissent vers l’anglais en quelques années afin de conquérir un public plus large. Les succès se ramassent à la pelle, mais la fièvre redescend au cours des années 1970, le mouvement étant victime de la mode et de l’arrivée du disco (beaucoup de styles musicaux prendront la déferlante de plein fouet).

Mais c’est sans compter sur la fin des années 1980, qui voit émerger les revivals de beaucoup de musiques ayant perdu les faveurs des radios musicales durant la dernière décennie, telles que le blues et les musiques latines. Le mouvement de la world music a eu son effet, de Paul Simon à Youssou N’Dour, d’Ali Farka Touré à Cesária Évora. Le monde veut de la musique africaine, cubaine, brésilienne… Et il en aura.

Un second souffle

En 1994 naît un groupe composé de musiciens latinos à succès, majoritairement cubains : The Blackout All-Stars. Avec Tito Puente, Tito Nieves et Ray Barretta en fers de lance, la formation est chargée de composer la bande originale de la comédie musicale du film I Like It Like That, du nom de la chanson de Pete Rodriguez. Remise au goût du jour par ce super-groupe, elle sonne bien plus moderne, plus effrénée, mais ne contient pas, à l’humble avis de l’auteur de ces lignes, le groove et l’âme de l’original de 1967.

Il aurait d’ailleurs été certainement plus aisé pour Cardi B et ses beatmakers de sampler cette nouvelle version. Les sonorités sont plus actuelles, les défauts sonores moindres, et le mariage avec un beat trap bien lourd semble plus évident. Mais cela serait presque trop facile. Surtout, c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe (c’est aussi dans de vieux fûts que l’on fait le meilleur whisky, mais ça, c’est une autre histoire).

Le piano crado, les chœurs à la synchronisation hasardeuse de l’enregistrement de Pete Rodriguez confèrent à “I Like It” version 2018 un contraste ultra-efficace, et sont un clin d’œil à la culture des beatmakers bien plus appuyés que la version de The Blackout All-Stars, majoritairement destinée à un auditoire blanc.

Merci Burger King

Au milieu des années 1990, donc, “I Like It Like That” est revenu en force dans la culture populaire américaine, au même titre que “Oye Como Va” de Tito Puente ( sorti en 1963 et remis au goût du jour par Santana en 1971). Mais en 1996, elle connaît une troisième naissance : Burger King utilise la version de The Blackout All-Stars dans l’une de ses publicités, propulsant à nouveau le titre sur la scène mondiale. Les retombées sont énormes, tant pour les musiciens que pour la chaîne de malbouffe.

Ce qu’il y a de bien dans le titre de Cardi B, c’est que les producteurs ne se sont pas contentés de sampler une ou deux mesures de la version de Pete Rodriguez et de la mettre en boucle, mais ont pratiqué ce qu’on appelle un lifting. Plusieurs extraits sont échantillonnés, certains avec les chœurs, d’autres avec uniquement le piano d’audible… Certains sont même passés dans des filtres afin de mettre en valeur la voix de la rappeuse et de mieux faire repartir le beat. C’est bien vu, c’est redoutable, et ça rafraîchit la mémoire sur l’histoire du boogaloo, genre dans lequel on vous conseille vivement de vous plonger pour rythmer vos soirées.