S.Pri Noir se révèle grâce à son Masque Blanc, un premier album réussi

S.Pri Noir se révèle grâce à son Masque Blanc, un premier album réussi

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Par Sophie Laroche

Publié le

Après avoir marqué les esprits grâce aux couplets efficaces de ses derniers featurings sur les projets de Nekfeu, Sneazzy, Dadju ou encore Lefa, il est temps pour S.Pri Noir de briller en solo. Aujourd’hui, le rappeur parisien sort Masque Blanc, son premier album studio, qu’il a voulu fidèle à son histoire et ses inspirations.

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Sur la pochette de son premier album, Masque Blanc, réalisée par l’incontournable Fifou, S.Pri Noir apparaît de face, fixant l’objectif de l’appareil photo d’un air déterminé. Ce visage, exposé sous des lumières électriques dignes de la science-fiction, les amateurs de rap francophone le connaissent depuis de nombreuses années. Il faut dire que ce premier long projet marque plus un tournant qu’un commencement pour la carrière du rappeur.

Pour rappel, c’est à l’âge de 17 ans que S.Pri Noir a commencé à rapper, fondant avec Still Fresh le label Nouvelle École en 2009. Quelques années plus tard, le jeune homme dévoile une première mixtape ainsi que deux EP, O.S.S: Licence To Kill en 2014 et Le monde ne suffit pas en 2015. Depuis, le rappeur parisien a su rester discret tout en conservant l’attention du public.

Il n’a sorti aucun projet solo pendant cette période, mais il a fait plusieurs feats avec ses potes Nekfeu, Sneazzy et Alpha Wann, une collaboration avec Adidas ou encore une tournée dans toute la France. S.Pri Noir s’est ainsi fait la main sur de nombreux projets, glanant des expériences qui ont enrichi son premier album – qui s’est dessiné sous nos yeux au cours de l’année passée, avec la sortie de plusieurs clips soignés.

Des visuels futuristes, léchés et truffés de références pour des singles qui nous ont offert pas mal d’indices sur la teneur de ce projet mûri pendant trois ans. Le rappeur a gagné en puissance – comme le montrent des bangers étourdissants comme “Highlander” – mais aussi en confiance. Les accents dancehall de titres comme “Baby Gyal” prouvent que le jeune homme n’a pas eu peur d’oser une certaine diversité stylistique, qu’on ne lui aurait pas forcement soupçonné il y a de cela quelques années.

“[Prendre mon temps] m’a permis de tester des trucs différents et d’habituer les gens à me voir sur des formats qui peuvent être, pour certains, diamétralement opposés même si ça ne l’est pas pour moi. Ça permet aussi aux gens de s’habituer à ce que je vais proposer dans l’album”, nous expliquait-il l’année dernière.

L’album est riche : Masque Blanc comporte pas moins de 22 morceaux – ce qui, certes, ne constitue désormais que la moitié d’un album de Maître Gims, mais ça reste un gros projet dans le monde du rap. Le risque d’un album de ce gabarit réside dans l’éventuelle mauvaise digestion de toutes ces informations, mais les trois années d’affinage – enrichies par l’expérience et non le gras de l’imitation – le rendent tout à fait fluide.

On ne s’ennuie pas beaucoup en écoutant ce disque, si ce n’est vers la fin. S.Pri Noir mêle avec habileté les différents univers qui cohabitent dans son album. Avec le flow agile qu’on lui connaît, le rappeur conserve son esprit kickeur (“Nymeria”), mais s’abandonne aussi au chant et aux vibes R’n’B dans un brillant duo avec Haute (“Finesse”), se détend sur des sons à l’ambiance plus chill (“Jeune voyou”, “Papillon”), nous rappelle ses influences américaines (“Middle Finger”, “Michael Jackson”), dancehall (“Baby Gyal”, “Mon Crew”) ou encore salsa (“Chico”), avant de revenir à ses origines africaines avec le magnifique “Seck”, en duo avec la chanteuse sénégalaise Viviane Chidid.

“Le but, c’est d’être écouté par le plus grand nombre”

Dans une interview accordée en 2015, le rappeur expliquait l’ambition de cet album :

Avant, j’avais d’autres critères, j’étais dans d’autres trucs. Mais maintenant j’essaye de faire la même chose, mais en plus accessible. Parce que le but, c’est d’être écouté par le plus grand nombre. Ce n’est pas intéressant d’être capté que par les rappeurs.”

Pour toucher les autres, le jeune Parisien (dont la capacité mélodique s’est fait entendre sur ses précédents featurings) ralentit le rythme et chante de plus en plus. Cela pourrait paraître superficiel à l’heure actuelle, mais S.Pri Noir a réussi à donner du sens à ce mélange d’influences.

Tout d’abord en collaborant avec des artistes aux styles bien différents et desquels il a su tirer le meilleur sans se laisser absorber par leur singularité, comme ses potes Still Fresh, Nekfeu et Nemir (qui pour l’occasion chante en arabe), mais aussi Haute ou encore Viviane Chedid, ancienne choriste de Youssou N’Dour et star de la chanson au Sénégal.

Mais S.Pri Noir a surtout su puiser dans sa propre culture musicale, en revisitant les chants celtiques (“Nymaria”, “Jujitsu”, “Higlander”) qu’il écoutait petit, en utilisant une guitare saturée très 80’s sur “Follow me” (qui rappelle celle de Van Halen, samplée sur son “A380” ), ou encore avec les sonorités acoustiques des cordes africaines dans “Seck”.

La cohérence du “narco poète”

Malgré les influences de ces nombreux styles, c’est avec “Nymeria”, un morceau titanesque particulièrement rap et dense que l’album s’ouvre. Plus qu’une démonstration de force, le titre est une introduction bétonnée qui prépare l’auditeur à tout ce qu’il va entendre par la suite.

Pendant trois minutes, le jeune rappeur mitraille, entrecoupant ses couplets asphyxiants de mélodies aux accents celtiques. Trois minutes durant lesquelles il résume le quotidien d’un jeune homme noir qui a grandi dans les XVIIIe et XXe arrondissements de Paris, entre précarité et ambition dévorante. Un “ouais, c’est notre vie” qui pose les bases de tout le projet, du moins en ce qui concerne les paroles.

“Je préfère dénoncer sur des morceaux sombres et introspectifs, c’est mon domaine de prédilection. Mais je vois aussi la légèreté comme un challenge”, expliquait-il récemment à Modzik.

C’est là tout le rôle de “narco poète” qu’endosse dans cet album S.Pri Noir. Alternant moments graves et instants de légèreté, il raconte les galères de jeunesse, le manque, le racisme et la rage de réussir avec des mots bien pesés, se référant aussi bien aux personnages de fiction auxquels il s’identifie qu’à des événements historiques. Plus mature, le jeune rappeur se permet même de raconter d’autres histoires, comme celle de “La belle est la bête” – abordant la déchéance d’une jeune femme des quartiers – ou encore celle de sa mère (du Sénégal à la France) dans le magnifique “Seck” qui trône au milieu de projet.

Masque Blanc, le premier album solo de S.pri Noir est disponible depuis le 11 mai 2018.