Ryan Coogler : “Les femmes sont plus importantes que les hommes, surtout au Wakanda”

Ryan Coogler : “Les femmes sont plus importantes que les hommes, surtout au Wakanda”

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Marvel Studios’ BLACK PANTHER..L to R: Danai Gurira (Okoye) on set with Director Ryan Coogler..Ph: Matt Kennedy..©Marvel Studios 2018

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Invité au Festival de Cannes dans le cadre d’une masterclass ultra-courue, le cinéaste Ryan Coogler, galvanisé par le succès monstre de Black Panther, est revenu sur son parcours. Konbini était au rendez-vous.

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De nombreux aficionados, forcément déçus, ont dû être refoulés à l’entrée. Jeudi 10 mai à 16 heures, il y avait en effet foule devant la salle Buñuel, au Palais des Festivals et des Congrès du Festival de Cannes, pour assister à une rencontre exceptionnelle avec Ryan Coogler, jeune cinéaste de 31 ans qui a tutoyé cette année le ciel hollywoodien en réalisant Black Panther, désormais 9e plus gros succès mondial de tous les temps.

Dans la salle s’étaient agglutinés des journalistes, des festivaliers, des élèves (surexcités) de différents lycées, des professionnels et quelques personnalités. Aïssa Maïga, sur la Croisette pour donner de la voix à son livre collectif Noire n’est pas mon métier, et Raoul Peck, auteur entre autres du poignant documentaire I am not your negro, étaient également présents. Mais pas que. Le public n’en a clairement pas cru ses yeux en découvrant qu’Abel Makonnen Tesfaye, alias The Weeknd, squattait discrètement le premier rang.

Après une brève introduction sur scène de Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, Ryan Coogler a fait son entrée sous des applaudissements nourris, ponctués de quelques “Wakanda Forever” auxquels il a répondu avec les bras en croix, référence au signe d’allégeance dispensé à l’endroit du roi T’Challah dans Black Panther.

Souriant, alerte et avec un accent à couper au couteau, le metteur en scène a lâché, avec une petite émotion dans la voix : “La première fois que je suis sorti de mon pays, c’était pour venir à Cannes.” C’était précisément en 2013, parenthèse de toutes les promesses. Après avoir triomphé en janvier de la même année à Sundance (Grand Prix du jury et Prix du public) avec Fruitvale Station, l’intéressé était venu présenter quelques mois plus tard ce drame inspiré d’une histoire vraie au Certain Regard, où il avait reçu le prix de l’avenir.

À l’écran, il mettait en scène celui qui allait devenir l’acteur de ses trois longs-métrages : Michael B. Jordan. “Nous nous sommes rencontrés dans un Starbucks d’Auckland, en Californie, et le courant est directement passé entre nous”, s’est-il souvenu. A priori, ils partageraient des trajectoires communes, des souvenirs similaires et une jeunesse avoisinante.

Enfant, Ryan Coogler adore déjà le cinéma. Son père – “la personne avec qui j’ai eu la plus belle relation dans ma vie avant de rencontrer ma femme [rires]” – lui fait découvrir, à 6 ans, Malcolm X de Spike Lee et Boyz N the Hood de John Singleton. Sa mère, elle, raffole du Fugitif d’Andrew Davis avec Harrison Ford. “La Cité de dieu a été le premier film étranger que j’ai découvert”, a-t-il confié, avant de déclarer, comme de nombreuses stars de ciné américaines, son amour pour Un prophète de Jacques Audiard et pour La Haine de Mathieu Kassovitz.

À 31 ans, Ryan Coogler fait en tout cas partie des cinéastes les plus en vue du cinéma contemporain. Ces trois films – Fruitvale Station, Creed et Black Panther – ont pour dénominateur commun des héros décentrés, en perdition car privés de figure paternelle. “C’était inconscient de ma part”, s’est-il défendu avant de glisser, comme s’il s’agissait d’une révélation, que la plupart de ses amis n’avaient pas de papas.

Les femmes – et les mères – comptent par ailleurs tout autant au sein de sa filmo. “Elles sont plus importantes que les hommes, surtout dans le royaume de Wakanda” : autant dire que la salle a vivement applaudi. À ce propos, il n’hésite jamais à s’entourer d’elles sur les plateaux, à l’instar des chef op Rachel Morrison (Fruitvale Station et Black Panther) et Maryse Alberti (Creed) ou de sa monteuse attitrée et très talentueuse Claudia Castello. Mais durant cette rencontre cannoise événementielle, c’est surtout de Black Panther dont Ryan Coogler a parlé.

“Il y a des choses sacrées dans l’art”

Pour préparer ce blockbuster désormais culte, l’intéressé s’est plongé dans les James Bond : “Surtout Casino Royale, qui est mon préféré.” Le Parrain a été une référence importante puisqu’il voulait que son projet revête un air de film de crime organisé. “Je n’osais pas le dire pour ne pas qu’on me prenne pour un fou [rires]. Il y a des choses sacrées dans l’art, comme Le Parrain. Et elles le sont pour de bonnes raisons.”

Également au menu des inspirations ? Samsara et Baraka, les sublimes films documentaires de Ron Fricke qui racontent la beauté et les horreurs du monde, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako pour ce qu’il dit de l’Afrique et pour sa “sensationnelle musique”,  L’Étreinte du serpent de Ciro Guerra pour son sous-texte colonial… Ryan Coogler s’est également rendu en Afrique pour la première fois : en Afrique du Sud, au Lesotho et au Kenya, où il a été notamment reçu par les proches de Lupita Nyong’o.

Ces images, ces œuvres et ces destinations l’ont ainsi aidé à bâtir sa vision du royaume de Wakanda. “On parle ici d’afro-futurisme. Il fallait que je trouve un moyen de fusionner le passé, le présent et le futur pour créer une intemporalité. Wakanda est une utopie pour les autres mais un rêve pour nous, un lieu où on peut réaliser son potentiel à fond.” Ryan Coogler aime aussi à évoquer les origines africaines plurielles de l’ensemble du casting de Black Panther et se montre vivement intéressé par les destinées de T’Challah et Killmonger, deux jeunes hommes entre deux mondes, qui peinent à situer leur place.

La sienne, Coogler l’a en tout cas trouvée. Et il espère que le plébiscite accordé à son blockbuster marvélien changera les choses, ou y contribuera. “J’aimerais que ceux qui viennent après moi trouvent le business dans un meilleur état que celui dans lequel je l’ai trouvé. […] C’était comme ça avec le basket-ball, le baseball… Les gens avaient peur que personne ne vienne au stade s’il y avait de plus en plus d’athlètes noirs.” ll n’y a aucune raison que le cinéma n’en prenne pas de la graine.