Retour sur la vie de Jalal Mansur Nuriddin, le grand-père du hip-hop

Retour sur la vie de Jalal Mansur Nuriddin, le grand-père du hip-hop

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Jalal Mansur Nuriddin of the Last Poets is photographed during an interview at Celluloid Records, London, 12 September 1984. (Photo by David Corio/Redferns)

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Par Henri Margueritte

Publié le

Jalal Mansur Nuriddin est décédé le 4 juin 2018 à l’âge de 73 ans.

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Le nom de Jalal Mansur Nuriddin ne vous est peut-être pas familier, mais son impact sur la culture hip-hop est sans précédent. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des connaisseurs le surnomment le “grand-père du hip-hop”. Dans le Harlem de la fin des années 1960, il faisait partie des jeunes poètes afro-américains qui venaient écrire dans un atelier nommé “The East Wind”.

C’est le 19 mai 1968 – le jour de l’anniversaire de Malcom X – que les choses s’accélèrent. Trois poètes de “The East Wind” décident d’unir leurs rimes et de les réciter sur des percussions minimalistes. Le reste, on vous la raconte dans le récit non exhaustif d’un homme et de son groupe qui, durant les quarante dernières années, ont posé les fondements de ce que l’on appelle aujourd’hui le rap.

Premières rimes en prison

Si Jalal Mansur Nuriddin en est arrivé là, c’est surtout grâce à la rue. C’est ce qu’il explique dans son interview pour Zigzag Magazine : “Je n’ai jamais vraiment fini mon parcours scolaire. J’ai été éduqué dans la rue. La seule école que j’ai finie était la ‘streetologie’. Et j’ai eu un doctorat en ‘streetologie’.”

Au début des années 1960, il est envoyé en prison parce qu’il refuse d’aller combattre au Vietnam. C’est durant ce séjour carcéral qu’il va forger son goût pour l’écriture et la rime. Il explique :

“Les textes écrits en prison étaient mes racines en ce qui concerne le rap. On appelait ça un ‘spiel’. ‘I was born in the jungle with a gun in my hand… I’m bad, I’m the jungle man’ : c’est mon spiel, mec ! C’était comme se forcer à développer son ego dans une scène de complexe d’infériorité. Expliquer ses vertus, fondamentalement.”

Une fois sorti de prison, Jalal Mansur Nuriddin choisi “Alafia Pudim” comme pseudo et décide de s’installer à Harlem.

Black Power en toile de fond

Le quartier d’Harlem à New York est un haut lieu de la culture afro-américaine. Ce n’est donc pas un hasard si c’est ici que s’est installé l’atelier de poètes “The East Wind”. Considéré comme le berceau de ceux qui deviendront The Last Poets, l’atelier est vite devenu un tremplin pour Alafia Pudim (qui gardera ce nom pour les quatre premiers albums des Last Poets) et sa bande.

En 1968, sur fond de ségrégation raciale et de mouvements black-conscients, le poète Little Willie Copaseely fuit l’Apartheid de son Afrique du Sud natale pour trouver refuge à New York. Un jour, un poème qu’il a écrit arrive aux oreilles des poètes d’East Wind :

“C’est la dernière ère des essais et poèmes, et les armes et fusils prendront leur place, ainsi donc, nous sommes les derniers poètes de cette ère.”

Ces quelques vers ont tellement inspiré les membres de l’atelier d’Harlem que huit d’entre eux ont décidé de créer un collectif de poètes intitulé “The Last Poets”. Dans la Boiler Room qui leur est consacrée, Abiodun Oyewole explique avoir voulu créer une poésie collective. En 1970, ils ne sont plus que trois, Omar Ben Hassan, Abiodun Oyewole et Alafia Pudim, et sortent leur premier album.

Un projet rendu possible grâce à la rencontre entre le groupe et le producteur Alan Douglas, qui travaillait à l’époque avec Jimi Hendrix ou encore Eric Clapton. Rencontre qui, à la fin des années 1960, avait donné lieu à une jam session épique entre Alafia Pudim et Jimi Hendrix.

Hustlers Convention, l’album précurseur du gangsta rap

Après avoir sorti deux albums couronnés de succès en 1970 et 1971 avec The Last Poets, Jalal Mansur Nuriddin décide de se lancer en solo. Sous le pseudo de Lightnin’ Rod, il sort en 1973 l’album Husters Convention qui s’avérera, avec le temps, être l’album précurseur du gangsta rap.

Dans son premier projet perso, Lightnin’ Rod contait la vie des hustlers du quotidien, les jeunes qui sont condamnés à travailler d’arrache-pied pour sortir du ghetto. Il expliquait à IamHiphop Magazine :

“Il s’agit de deux personnages, qui se sauvent par tous les moyens nécessaires. Ce n’était pas comme s’ils avaient étudié à Harvard, vous savez qu’en venant du ghetto, ils faisaient déjà face à la discrimination. Ils devaient faire preuve d’intelligence, sans enfreindre la loi sinon ils allaient en prison. Vous pouvez vous démener avec droiture et honnêteté, vous n’avez qu’à pratiquer.”

Au-delà de ce thème qui était véritablement novateur pour l’époque, le succès et l’influence que cet album a eus sur les générations suivantes sont sans équivoque.

Samplé, re-samplé, re-re-samplé

Si on s’accorde à dire que The Last Poets et Jalal Mansur Nuriddin ont marqué l’histoire de la musique contemporaine, c’est parce que leurs paroles et mélodies ont été reprises un nombre de fois incalculable. Par les Red Hot Chili Peppers, Tupac ou encore Biggie, A Tribe Called Quest, Lionel Richie et Gucci Mane.

Pour les plus curieux, allez checker la liste complète des samples tirés du premier album des Last Poets. De même pour Lightnin’ Rod avec son album Hustlers Convention. Avec la disparition de Jalal Mansur Nuriddin, le hip-hop et plus généralement la musique perdent l’un de ses artisans les plus influents de l’histoire contemporaine. Vive le rap.