Rencontre : Karim Leklou, le héros du Monde est à toi, guérit le cinéma français

Rencontre : Karim Leklou, le héros du Monde est à toi, guérit le cinéma français

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(© Studio Canal)

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Par Lucille Bion

Publié le

Pièce maîtresse du casting fou de Romain Gavras dans Le Monde est à toi, Karim Leklou nous emmène dans les tréfonds insoupçonnés de la comédie française. Rencontre avec un comédien arrivé tard dans le milieu mais tôt sur le tapis rouge.

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Quand je l’ai vu débarquer à Konbini pendant un match de la coupe du monde, j’ai compris qu’il prenait sa carrière très au sérieux. Ce jour-là, sous la chaleur caniculaire, Karim Leklou, mordu de foot, a passé son temps à répondre aux questions des journalistes. Tout le monde a décidé de se l’arracher pour Le Monde est à toi, et c’est bien normal.

D’abord parce que la nouvelle comédie détonante de Romain Gavras, dont il est le héros, est ce qui s’est fait de mieux dans le cinéma français depuis quatre ans et le Réalité de Quentin Dupieux. Ensuite parce que c’est la première fois que le comédien de 36 ans rayonne autant devant la caméra alors qu’il a derrière lui 10 ans de carrière et a fait de nombreux films pointus.

Chez Romain Gavras, qui vient de confirmer qu’il était un immense réalisateur français, capable de redorer la comédie, Karim Leklou campe un petit dealer, le temps de monter son biz de Mr. Freeze au Maghreb. Pivotent autour de lui, sa mère excessivement folle (que joue excessivement bien Isabelle Adjani), sa copine michto (Oulayama Amara de Divines), le déjà culte Poutine (une version perchée de Sofian Khammes), un Philippe Katherine qui se la joue Saul Goodman et un Vincent Cassel qui se réinvente toujours.

Propulsé par le bon son de Jamie XX, Sebastian ou “Aimer d’amour” de Boule Noir, Karim Leklou a réussi à trouver sa place au milieu de ces grandes vedettes, auxquelles il arrivera bientôt à la cheville. Retour sur le parcours méticuleux d’une nouvelle gueule en plein essor.

Premier film : César, Oscar et Grand prix du jury à Cannes

Enfant du 78, Karim Leklou est arrivé dans le monde du cinéma sur le tard, il y a dix ans. Il empoche d’abord son bac STT ACC, “un Bac Section Tout Terrain” blague-t-il, avant de poursuivre avec un BTS force de vente en alternance et une formation en Ressources Humaines. Il enchaîne alors les petits jobs en télémarketing, en intérim et chez Quick…

En parallèle, il traîne avec un pote comédien qui lui parle d’un casting sauvage pour le futur carton de Jacques Audiard, Un Prophète. C’est là qu’il rencontre Tahar Rahim, qu’il recroisera dans Réparer les vivants, Grand Central, Les Anarchistes et, plus récemment Joueurs. S’il n’y fait qu’une petite apparition, il peut se targuer d’avoir participé à un film présenté à Cannes en Compétition officielle, distingué de 9 César sur 13 nominations et nommé aux Oscars dans la catégorie du Meilleur film étranger :

“Je me suis retrouvé dans ce film avec un ami, Taha Lemaizi. On a passé plein de castings ensemble, c’est l’un des meilleurs comédiens que je connaisse. Je n’avais que quelques jours de travail sur le tournage mais c’est mon premier rôle rémunéré. Ce qui était cool avec Jacques Audiard, c’est qu’on était tous en train de faire un film ensemble. On ne recevait pas une leçon de cinéma. Je trouvais ça beau. Disons qu’il a une telle passion sur son plateau que ça m’a beaucoup aidé dans la suite de ma carrière. C’était quelque chose qui a encore plus forgé mon désir de faire du cinéma. J’ai vraiment eu de la chance de découvrir le métier sur un tel film. “

Karim Leklou semble persuadé d’en être arrivé là parce qu’il a de la chance. Comme un tic, il n’avait de cesse de le répéter jusqu’à ce que je lui fasse remarquer que la chance, c’est aussi quelque chose qui se provoque.

Regard sur le réel

Il décide donc de s’inscrire aux cours de théâtre le soir, après ses journées de travail. Il acquiert quelques notions de théâtre, fait appel à un agent et se lance dans l’enfer des castings :

“Autant te dire que c’est pas ça qui remplissait mon frigo au début. Par la suite, vers 2011 avec Les Géants et La Source des femmes, j’ai trouvé une régularité dans mon métier et j’ai pu en vivre.”

Parmi les nombreux atouts du comédien, outre son physique, c’est sûrement son âge et son regard sur le monde qui lui ont permis de tirer son épingle du jeu. Capable de parler de la distribution cinématographique comme de la politique culturelle en France et en Europe avec des chiffres précis, Karim Leklou fait partie de ces trop rares comédiens connectés à leur époque, avec du recul sur l’évolution d’une industrie qu’ils tentent d’enrichir.

Finalement, pour lui, le métier d’acteur n’existe qu’au moment du protocolaire clap d’action. Le reste du temps, sa position lui permet d’envisager plusieurs réalités. Médecin, dealer, anarchiste, prisonnier, militaire, fou du village… le Parisien a, malgré lui, multiplié ses visages à l’écran :

“Des fois, le cinéma ça te permet d’être dans des lieux magiques. J’ai besoin d’avoir mon imaginaire qui fonctionne. C’est un espace de rêve, un espace de jeu. Il y a même la notion de ‘jeu’, comme si on était de grands enfants. Même quand les mecs font les sérieux, ça va, c’est du cinéma. (Rires) J’ai la chance à mon âge de m’amuser, d’en vivre. C’est le fait de faire des choix sur des films qu’on aime qui fait qu’on n’est pas blasé.”

L’un de ses meilleurs souvenirs ? Lorsqu’il était chirurgien cardiaque dans Réparer les vivants de Katell Quillévéré. Pour faire face aux notions très techniques, il s’est documenté et a dû mettre en pratique ses connaissances dans un hôpital :

“On a suivi pendant une semaine un service de chirurgie, dans un bloc opératoire. Ce qui était assez ouf, c’est que j’ai assisté au prélèvement d’un mec qui venait de mourir et je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite parce que j’entrais dans une logique de sauver des vies, pas de côtoyer des morts. J’ai adoré voir ça, je crois que c’est le truc qui m’a le plus marqué. À la fin je connaissais le sujet, le schéma du cœur, le déroulement précis de l’opération.”

Le monde fou de Romain Gavras

Le voilà donc, depuis le 15 août, à l’affiche du Monde est à toi, après une première projection exaltante et matinale au festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs. Karim Leklou sentait déjà l’énergie du scénario quand il l’a découvert :

“Romain a eu la gentillesse de me proposer le rôle, après m’avoir vu pour un autre projet, qu’il n’a finalement pas tourné. Je me suis tout de suite marré, j’ai trouvé que c’était une pure comédie. Du pur kiffe pour le spectateur avec, en même temps, une dimension hyper personnelle, notamment sur le lien de la filiation, des rêves d’effrois qui deviennent aujourd’hui étroits. Vivre comme si on était normal dans un monde complètement fou, où tu payes des loyers trois fois trop chers, où la norme du CDI est complètement en train d’exploser. Tu vois tout ça, ça crée une société précaire où les rêves se rétrécissent un peu. C’est pour ça que je me reconnaissais un peu dans le personnage : je ne veux pas un grand rêve, juste un petit espace de tranquillité.”

Sans condition, le comédien donne alors son feu vert au cinéaste. Il fait ses valises et rejoint l’équipe de Romain Gavras. Le tournage dure environ deux mois, entre la France et l’Espagne, à Benidorm, une station balnéaire de la côte Est, sur la Costa Blanca. Là-bas, c’est l’apocalypse, assure-t-il avec un sourire en coin :

“C’est une ville très iconique et intéressante à regarder. C’est un peu les vacances de la déchéance humaine, la défonce du pauvre. Tout est fait pour le tourisme de masse, pour les classes populaires. Mais, tu sais, c’est assez glauque.”

De retour au calme, le comédien se tourne vers ses prochains projets tout en savourant les louanges des critiques, plus clémentes avec le nouveau film de Romain Gavras qu’avec Joueurs, à l’affiche duquel il était également cet été.

Il espère bientôt tourner dans le premier long-métrage d’un jeune réalisateur, Julien Carpentier, en cours de financement. Il aurait l’occasion d’incarner un fleuriste sous l’emprise d’une mère bipolaire. Quoi qu’il arrive, il excellera dans la série Hippocrate. En attendant que les propositions pleuvent.