Rencontre avec Jonas Carpignano, réalisateur du très réussi A Ciambra

Rencontre avec Jonas Carpignano, réalisateur du très réussi A Ciambra

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(©Haut et Court)

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Par Pauline Mallet

Publié le

A Ciambra, film remarquable sur une communauté rom de Calabre, sort en salles ce 20 septembre. Pour l’occasion nous avons rencontré son jeune réalisateur, Jonas Carpignano.

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Palpitante et puissante, la bande-annonce du film avait déjà tout pour séduire. Présenté lors du dernier Festival de Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, A Ciambra, coproduit par Martin Scorsese, s’inscrit dans la lignée des grands films humanistes. Sorte d’hybride entre le road movie, le drame et le documentaire, le deuxième long-métrage de Jonas Carpignano peut difficilement laisser indifférent.

Poursuivant une réflexion sur l’immigration engagée avec sa première réalisation, Mediterranea (2015), le cinéaste italien, qui est né et a grandi à New York, dresse le portrait d’un individu en marge de la société et plus largement d’une communauté très souvent incomprise, les Roms d’Italie. C’est ainsi que l’on va suivre Pio, un jeune garçon de 14 ans qui vit dans une petite ville de Calabre, à l’ombre de son grand frère qui assume le rôle de soutien de famille grâce à de petits trafics. Lorsque son père et son grand frère sont arrêtés par la police, Pio va devoir sortir de l’enfance et veiller sur sa famille.

Flirtant avec le documentaire, le réalisateur de 33 ans a choisi de travailler avec des acteurs amateurs qui jouent leur propre rôle. Il signe ainsi un film fort, qui est à la fois un récit initiatique et une fresque sociale engagée et bien documentée. Nous avons eu la chance d’échanger quelques idées avec lui.

Konbini | Vous avez la réputation d’être un grand cinéphile. Avez-vous eu des influences particulières sur ce film ?

Jonas Carpignano | Effectivement, j’ai beaucoup d’influences. Je suis un amoureux du cinéma, alors évidemment, on retrouve un peu ce que j’aime et ce que j’admire chez les autres dans mon travail. Depuis tout petit, je suis très inspiré par le cinéma italien. Quand j’étais plus jeune, mon grand-père me montrait les films de Roberto Rossellini, Luchino Visconti, etc. Que des grands noms du cinéma italien !

En grandissant, ces références m’ont accompagné. En particulier, le cinéma documentaire de Vittorio De Seta : il filmait les gens en train de pêcher, de manger, tout simplement en train de vivre. On voyait bien qu’il vivait avec ceux qu’il filmait. C’est son travail qui m’a en majorité inspiré. Cependant, j’ai été aussi influencé par des réalisateurs plus modernes comme Abdellatif Kechiche. J’adore sa manière de filmer et j’admire son engagement au sein d’une communauté.

Avec leur lumière particulière et des acteurs amateurs, vos films se situent à la frontière entre documentaire et fiction. Quel est le but de votre démarche ?

Je pense que c’est principalement ma relation avec les acteurs du film qui rend la frontière entre fiction et documentaire aussi fine. Tous les films prennent un point de vue, dans le mien c’est celui des acteurs. Il ne s’agit pas de savoir si ce point de vue est juste ou non, c’est un point de vue et c’est celui du film. Je ne prétends pas que je détiens la vérité absolue, mais c’est cette vérité en laquelle je crois.

Quand j’ai écrit le scénario, j’ai cherché à savoir si ce que j’écrivais était juste. Juste aux yeux de la communauté à laquelle je m’adressais et vis-à-vis de l’endroit où j’ai tourné. J’ai fait mon film pour eux : Pio et le lieu. J’ai essayé de montrer au public ce que je voyais et donc ce que Pio, lui aussi, voyait. C’est pour cela que mon film possède certaines des caractéristiques d’un documentaire.

Vous parlez beaucoup de la communauté que vous avez filmée, de ce lieu particulier… C’était important pour vous que les membres de cette communauté se retrouvent dans le film ?

La communauté, c’est mon film. Je ne pouvais pas faire un film sur cet endroit, sur ces sujets, en lisant des livres ou des articles. Il fallait que j’y vive. Je n’ai pas lu d’ouvrage sur l’endroit, je n’ai pas fait d’interviews avec les gens de la communauté pour leur demander des informations sur leurs vies, j’ai vécu avec eux : j’ai passé du temps avec eux. J’ai dîné avec eux. J’ai regardé Pio grandir. J’ai essayé de les connaître en les observant. Pour moi, c’est ça le cinéma : quand les liens que nous avons tissés continuent d’exister quand la caméra s’éteint.

A Ciambra est votre second long-métrage et il a été coproduit par Martin Scorsese. Comment l’avez-vous rencontré ?

Pour être parfaitement honnête, c’était assez inattendu. Quand ce travail pour lequel tu t’es donné à fond a le droit à un peu de considération, c’est déjà une émotion très forte. Et là, c’était plus que de la considération. C’était incroyable. C’est toujours génial de savoir qu’un tel artiste a regardé ton travail, et avec beaucoup d’attention.

Travailler avec Martin Scorsese, c’était d’un tout autre niveau. J’ai vu tous ses films, mais je ne m’attendais pas à ce que lui connaisse mon travail. Non seulement, il fait du cinéma, mais il connaît le cinéma, il l’analyse et il sait comment il fonctionne. Il a vraiment joué un rôle de professeur. Il m’a donné des conseils, des notes. Ça a été joué un rôle essentiel, parce que j’ai pu tout mettre en application. Mais il n’a pas été envahissant, j’avais toute la liberté que je voulais et j’ai eu le final cut. Et j’en suis totalement ravi.

Il paraît que votre prochain projet s’inscrit dans la continuité de vos deux premiers films, vous pouvez nous en dire quelques mots ?

Je suis en train d’écrire un troisième long-métrage, qui sera étroitement lié aux deux premiers. Ce sera donc un triptyque. Pour chaque film, je réalise en amont un court-métrage. Cela m’aide à tout préparer, à voir si les idées fonctionnent bien. Je travaille donc actuellement sur un troisième court-métrage. Ce projet s’étendra par la suite à un nouveau film, qui s’appellera Akiara et racontera l’histoire d’une jeune fille.

A Ciambra est à retrouver au cinéma le 20 septembre.