À la rencontre des hommes qui arrêtent le porno et la masturbation

À la rencontre des hommes qui arrêtent le porno et la masturbation

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Par Lydia Morrish

Publié le

Des hommes sur Internet cherchent à s’entraider pour arrêter le porno et la masturbation compulsive et se reconnecter avec leurs affects. On dit bonne chance.

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L’amour et la vie sexuelle ont complètement évolué au XXIe siècle. Ce qui a changé ? L’omniprésence du porno sur Internet, les applis de rencontre, la masturbation féminine de moins en moins taboue, tout comme l’intérêt pour le plaisir féminin. Une sorte de nouvelle libération sexuelle. Si c’est une bonne nouvelle pour beaucoup d’entre nous, chez certains, cette liberté sexuelle s’est transformée en esclavage.

De nombreux jeunes hommes d’aujourd’hui sont accros au porno. Si en soi le porno n’est pas une mauvaise chose — un porno centré sur le plaisir et réaliste peut servir d’inspiration — l’addiction peut être éprouvante.

On connaît les dégâts du porno sur la vie sexuelle. La masturbation peut être bonne pour la santé mentale et physique, mais à un niveau trop poussé, c’est l’inverse qui se produit. L’obsession du porno peut conduire à divers problèmes sexuels, comme des troubles de l’érection,
une perte de libido, ou un retard à l’éjaculation. Une communauté sur Internet essaie de changer la donne en prônant l’unité et l’abstinence au porno, ainsi que le sevrage de la masturbation.

NoFap est la solution trouvée par Internet à l’addiction au porno. Le nom du site est tiré du terme argotique anglais “to fap”, qui veut dire “se branler”. D’après le modérateur de la communauté, ses membres (appelés “Fapstronautes”) s’entraident dans leurs sevrages “temporaires” du porno et de la masturbation.

Le groupe se propose d’aider les hommes (et les femmes, même si elles sont moins nombreuses) dont l’addiction au porno a une mauvaise incidence sur leur vie. Ils sont encouragés à répondre par l’abstinence. Le groupe n’est ni religieux ni anti-porno, il tente juste d’aider des personnes atteintes d’une addiction.

Dans le groupe, on pratique la “fapstinence” ou le “rebooting” : on arrête le porno et la branlette et on se soutient mutuellement. Personne n’est obligé d’arrêter de se masturber, mais une pause est recommandée, afin de retrouver un rapport au sexe plus sain. Alexander Rhodes, le fondateur du site, est revenu pour nous sur sa propre expérience :

“La première fois que j’ai vu du porno hardcore, j’avais 11 ans. J’étais sur un site de jeux vidéo et il y a eu une pub en pop-up pour une vidéo de viol simulé. J’ai vu que la femme de la pub avait l’air nue et, comme tout adolescent plein d’hormones, j’ai voulu en voir plus.”

À l’âge de 14 ans, Alexander se masturbe 14 fois par jour et passe sa vie à regarder du porno. “C’est à peu près tout ce que je faisais de mes vacances d’été, raconte-t-il. Je ne faisais jamais rien, je consommais du porno sur Internet tous les jours. Ça ne peut pas avoir un bon effet sur toi de ne pas utiliser correctement ton énergie.”

À l’âge de 19 ans, son addiction au porno produit chez Alexander des troubles de l’érection. “Ça veut dire que tu ne peux pas le faire avec un partenaire humain”, explique-t-il. Il ajoute :

“Mon cerveau associait l’activité sexuelle avec des pixels sur un écran plutôt qu’à une rencontre avec un vrai humain. Quand j’avais une copine, mon cerveau ne savait pas quoi faire. Mes neurones étaient programmés pour associer l’orgasme au porno et non aux êtres humains.”

Alexander Rhodes raconte que le porno s’est mis à affecter tous les domaines de sa vie, y compris ses relations et son travail. “Je ne me sentais pas équipé pour affronter les problèmes et je me demandais ce qui clochait”, nous confie-t-il.

Des pixels plus que des gens

Après avoir discuté sur des forums avec des hommes aux problèmes similaires et s’être renseigné sur les études concernant la testostérone et l’anatomie masculine, Alexander s’est rendu compte que beaucoup de ses problèmes étaient probablement liés à sa surconsommation de porno. C’est ainsi que NoFap naquit en 2011 :

“Je me demandais : qu’est-ce qui pourrait se passer si j’arrêtais une semaine ou un mois ? Est-ce que ma vie serait meilleure, est-ce que mes relations avec les autres seraient meilleures ? Est-ce que j’aurais plus de motivation et d’autodiscipline ? Voilà ce que je soupçonnais à l’époque, mais c’est vraiment ce qui s’est produit et tellement plus encore.

On remarque tous de profonds changements. Des gars qui ne pouvaient pas avoir une érection depuis des années en ont eu à nouveau. Des mecs qui avaient des problèmes dans leurs relations relançaient leurs couples tout à coup. C’était dingue. Tous ces retours positifs ont fait tache d’huile et ça s’est transformé en ce que vous connaissez, soit le premier réseau de sevrage du porno sur Internet.”

Si la communauté de NoFap est essentiellement masculine, elle comprend tout de même quelques membres féminins qui cherchent de l’aide pour leur addiction au porno. Mais étonnamment, d’après Alexander Rhodes, la moitié des visites sur le site sont le fait de femmes — des copines inquiètes, des amies et des curieuses qui cherchent à en savoir plus.

De l’habitude au blocage

De nombreux membres de la communauté sont très avenants et racontent comment ils ont soigné leur addiction. Travis (“travis1234567” sur la branche délocalisée du site sur Reddit), étudiant en première année de fac, a souffert de troubles érectiles liés au porno. Il explique qu’il a découvert le porno vers 13-14 ans en regardant des vidéos érotiques sur YouTube : 

“Je me souviens que j’ai eu honte de regarder du porno, mais malgré ce sentiment, j’ai continué à en regarder parce que ça me donnait un shoot d’adrénaline incroyable et que ça m’aidait à oublier tous mes autres problèmes.

Quand je suis arrivé au lycée, c’est rapidement devenu évident que tous mes camarades masculins regardaient du porno. Tous mes potes faisaient des blagues dessus, parlaient de leurs pornstars préférées. J’ai rapidement perdu ce sentiment de honte. À l’âge de 16 ans, c’était devenu l’une de mes habitudes, comme jouer au basket ou aller au bahut.”

Travis regrette la banalisation du porno parmi les jeunes hommes. Il explique qu’on attendait de lui, en tant que mec, qu’il regarde du porno. Les autres mecs de sa fraternité à la fac s’envoyaient tous des photos pornos pour qu’ils se réveillent avec une photo de meuf à poil le matin. Mais Travis est rapidement devenu accro, ce qui a fait chuter son désir de rencontrer des filles. À l’inverse des spectateurs modérés, certains peuvent perdre leur désir pour les relations charnelles et le projet d’une vie sexuelle épanouie s’éloigne quand s’immiscent les troubles de l’érection.

Post-porno

D’après la sexologue Emily Morse, le porno relève le seuil d’excitation, “ce qui signifie qu’un homme a besoin de stimuli plus intenses pour être excité”. Ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les hommes qui regardent beaucoup de porno perdent leur envie de sexe en chair et en os. Comme Travis le raconte :

“Pour de nombreux mecs et pour moi, le porno devient une substitution aux femmes. Je ne m’en étais jamais rendu compte jusqu’à ce que j’arrête le porno. Mais c’est évident à présent que le porno m’a coupé tout désir de rencontrer des filles ou d’aller plus loin. Pourquoi chercher des filles et risquer de s’humilier quand on peut regarder des vidéos pornos et se sentir bien ?”

Alexander Rhodes confirme :

“La pornographie détourne notre sexualité. C’est une partie essentielle de notre essence d’être humain, et on s’en détourne en consommant des super stimuli qui n’existent pas dans la nature.”

De plus en plus de personnes s’ajoutent à la liste des critiques de la pornographie, y compris Pamela Anderson, qui a écrit pour le Wall Street Journal un article contre les films porno, parlant de la culture porno contemporaine comme d’un problème de santé publique. Si ses arguments sont un peu extrêmes, il est vrai que le porno mainstream nous offre une alternative à une vie sexuelle, à laquelle on préfère, comme elle le dit, “un bref frisson masturbatoire”.

Bien qu’il n’ait pas ressenti de honte au pic de son addiction, Travis pense que “l’on devrait avoir honte de regarder du porno, mais que malheureusement, la société nous incite à faire l’inverse”.

Lorsqu’on lui demande si regarder une saine dose de porno peut être une bonne chose, Alexander Rhodes appuie le point de vue :

“Je ne répondrai jamais oui. Mais je ne veux pas diaboliser non plus. Je ne pense pas que le porno soit sain, mais il y a bien sûr des choses bien pires.”

Même s’il pense que deux adultes doivent avoir le droit de créer du porno, il estime que le porno féministe — comme les XConfessions d’Erika Lust ou Make Love Not Porn de Cindy Gallop — n’est pas sans danger non plus :

“Que tu regardes du porno mainstream ou un porno réalisé par Erika Lust ou Cindy Gallop, ça reste du porno, et ça programme ton cerveau à préférer les pixels aux gens en chair et en os. Je ne considère donc pas que ce soit plus sain d’en consommer, même si tout l’aspect production est moins craignos.

Des hommes peuvent très bien reprogrammer leurs cerveaux pour préférer le porno aux vrais gens, que celui-ci soit produit par des féministes ou non. Il y a quand même des effets secondaires négatifs.”

Malgré cela, Alexander Rhodes n’est pas favorable à l’interdiction du porno. Pour lui, il est plus important de faire de la prévention autour de cette problématique, notamment dès le plus jeune âge.

Après l’addiction

Malgré son addiction, Travis ne s’est rendu compte des dégâts du porno qu’après avoir arrêté. “L’addiction au porno sur Internet, c’est un vrai problème, écrit il. Ça te rend aveugle et ça te déconnecte de ce qui est important dans la vie. C’est une habitude dangereuse qu’il faut éviter.”

Mais, grâce à l’aide de la communauté NoFap, Travis a réussi à se libérer de son addiction : “Une fois que tu arrêtes, c’est comme si tu découvrais un nouveau monde qui s’offre à toi.”

Sa vie a drastiquement changé. Sa libido est plus normale, il se sent plus à l’aise avec des inconnus. “J’avais un peu d’appréhension avant, mais maintenant je peux avoir une conversation avec des gens que je ne connais pas sans problème”, affirme-t-il. Il déclare également être plus productif dans la vie depuis qu’il ne regarde plus de porno en permanence, et mieux travailler à l’université.

D’après Travis, la communauté NoFap lui a été d’une grande aide dans sa guérison : “Savoir que d’autres mecs ont les mêmes problèmes que toi, ça fait que tu te sens moins pathétique, tu as moins la honte. Je suis vraiment heureux d’avoir eu tous ces autres mecs à mes côtés qui cherchaient à se soigner aussi.”

Avec l’aide de NoFap — qui encourage, rappelons-le une abstinence totale en matière d’onanisme — Travis ne se masturbe plus. Cela fait 80 jours qu’il ne regarde plus de porno et il compte bien continuer. Si le groupe recommande une période de 90 jours pour se reprogrammer, les modérateurs du groupe encouragent les membres à se passer de masturbation aussi longtemps qu’ils le peuvent chaque mois.

Alexander Rhodes explique à Konbini que, bien que son équipe mette au défi les participants, chaque individu a une façon et une période de sevrage différente pour se reprogrammer et guérir :

“Il ne faut pas donner de faux espoirs. Ça dépend vraiment des personnes. Pour certains, leur vie change en un mois. D’autres, surtout les mecs les plus âgés, n’ont pas besoin d’autant de temps.

Mais les ados qui ont commencé très jeunes mettent plus longtemps à s’en remettre. Pour certains, il leur a fallu trois ans pour bander à nouveau. Le problème ne peut qu’empirer, mais on a beaucoup d’espoir.”

Si l’addiction au porno reste un sujet tabou, NoFap a eu le courage de se foutre des étiquettes et d’aider la vie de ceux qui souffrent de la surexposition au porno. Le combat de NoFap pour la santé mentale des jeunes ne doit pas être regardé de haut. Tout le monde gagne à ce que les jeunes aient une vision saine des relations sexuelles.

Pour plus d’infos sur l’addiction au porno, n’hésitez pas à visiter NoFap.

À lire -> Témoignage : dans l’enfer d’un addict de la masturbation