On s’est baladé dans Montreuil avec TripleGo, le duo sombre du rap français

On s’est baladé dans Montreuil avec TripleGo, le duo sombre du rap français

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Par Sophie Laroche

Publié le

Si on ne peut prédire de quoi 2020 sera fait, on sait d’ores et déjà que 2017 ne se fera pas sans lui. Porté par la vague cloud qui a déferlé sur la France, le groupe a récemment atteint les rivages de la reconnaissance. À l’occasion de la sortie de sa dernière mixtape, 2020, on a rencontré le duo TripleGo, avec qui on a discuté de Montreuil, de pureté et surtout d’obscurité.

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(© Sophie Laroche/Konbini)

S’il y a bien un élément qui imprègne l’œuvre des deux mecs de TripleGo, c’est leur ville : Montreuil. Cette commune de Seine-Saint-Denis comptant plus de 100 000 habitants a vu naître, tâtonner puis s’épanouir une scène rap foisonnante dans laquelle le duo s’inscrit et perdure. Nés à Montreuil, Sanguee et MoMoSpazz y ont fait tous leurs premiers pas, entre le Haut-Montreuil et Croix de Chavaux, à l’époque où la ville n’était pas encore à la mode.

Aujourd’hui, comme preuve d’une fidélité sans faille, ils continuent de l’arpenter, traînant leur spleen et rodant leur art sur son béton en pleine mutation. Les deux artistes lui dédient même plusieurs morceaux, comme “Montreuil Sous” ou le très récent “Cali” dans lequel ils comparent leur commune à la ville colombienne du même nom, connue pour son cartel de trafiquants. Un titre qui figure dans leur dernier projet, 2020, une mixtape au goût doux-amer qui mélange obscurité du fond et légèreté de la forme dans un rap cloud qu’ils exerçaient bien avant la popularisation du genre par PNL.

Pour en parler avec eux, on s’est donc rendus à Montreuil où les deux rappeurs de 25 ans nous ont accueillis, puis guidés à travers les rues qu’ils connaissent par cœur, jusqu’au parc des Beaumonts qui offre une vue imprenable sur la ville et Paris. Sur le chemin, on a discuté de leur release party, qui s’est déroulée cinq jour auparavant. Les deux hommes m’ont confié la satisfaction qu’ils ont éprouvé à pouvoir partager et célébrer avec leurs fans ce nouveau projet. Une nouvelle étape dans leur carrière dont on a discuté, avec le dernier album de The Weeknd en fond, à côté d’une chicha sauvage allumée par une jeune maman, comme si le cloud et les atmosphères vaporeuses ne les quittaient jamais, même à 15 heures dans un parc, un après-midi d’avril.

Une histoire de potogos

On le devine assez rapidement, l’amitié est un élément important pour ce duo qui s’est construit musicalement autour de rencontres, décrites d’abord comme humaines avant d’être professionnelles. Se connaissant depuis la sixième, Sanguee (le rappeur) et MoMoSpazz (le producteur) forment officiellement le groupe en 2009 – une formation qui sort du lot, dans la mesure où les groupes constitués d’un rappeur et d’un producteur sont assez rares.

Il y a ensuite eu Freaky Bagel, le producteur de leur morceau “New Balance”. Le beatmaker les contacte en 2014 pour leur proposer d’enregistrer dans son studio. S’enchaînent ensuite trois projets : Eau Calme (2014), Putana (2014) et Eau Max (2016). Une rencontre décisive qui marque la professionnalisation du groupe et qui leur permettra de signer chez Jihelcee Records en 2017.

(© Sophie Laroche/Konbini)

Sombre et pur

Ces huit années de collaboration entre le rappeur et le producteur expliquent sûrement la cohérence du projet TripleGo depuis ses débuts. En effet, d’Eau Calme au récent 2020, la musique a évolué mais conserve une même ligne directrice et une impulsion propre au groupe. Ainsi, là où beaucoup d’artistes se cherchent et éprouvent des difficultés à trouver une identité musicale, TripleGo impose immédiatement la sienne, construite autour des productions ambiant et psychédéliques de MoMoSpazz, et du rap lent et grave de Sanguee.

Produite la nuit, la musique de TripleGo s’écoute surtout le soir – à l’heure où seules les lumières des écrans et des néons éclairent les environs. Il faut alors être prêt à renoncer à la réalité pour se laisser porter dans l’univers sombre et enfumé du groupe, où règne un rap anesthésié et transcendant qui accompagne les hallucinations nocturnes plus qu’il n’ambiance les soirées. Face à ce son titillant l’imaginaire, il n’est pas si étonnant d’entendre MoMoSpazz citer les jeux vidéo comme l’une de ses principales inspirations :

“J’ai toujours été marqué par les jeux vidéo japonais. Depuis que je suis jeune, j’ai toujours été sensible à des sons profonds et épiques. En grandissant, j’ai cherché à élargir ça à la musique.

J’aime autant le côté épique de Coldplay que celui de Justice. C’est ce qui m’a fait kiffer, ce qui m’inspirait de ouf et je n’ai pas changé.”

La musique du duo est teintée d’une multitude d’influences qui vont bien au-delà des sentiers battus du hip-hop. MoMoSpazz et Sanguee affectionnent les raps hollandais, marocain et américain (Kanye West, Kid Cudi, The Weeknd, Future), l’électro de la French Touch, mais aussi les musiques libanaise et égyptienne des années 1960. Une fois digérée, l’association de ces influences à la sauce TripleGo est “sombre et pure” comme ils l’affirment dans leur morceau “Ppp”.

“La vie est sombre. Nous on est sombres. Nos émotions sont sombres. L’époque est sombre. L’environnement est sombre, tout est sombre”, insiste MoMoSpazz.

C’est donc avec une palette de couleurs bien mélancoliques que le groupe dépeint un récit obscur, violent et romantique – reprenant à plusieurs reprises le motif de la lame et de son tranchant. Le duo a d’ailleurs misé sur un poignard, tenu par une main à l’allure diabolique, sur un fond noir, pour illustrer la pochette de sa mixtape. Un choix qui constitue peut-être le meilleur résumé du travail de TripleGo, selon Sanguee :

“C‘est le couteau de l’amour. C’est une symbolique de ouf. C’est s’aimer à s’en tuer. C’est les sentiments avant tout.”

Le culte de l’authenticité

“Les sentiments avant tout”, est sûrement l’un des adages qui correspond le mieux au groupe. En effet, ceux qui décrivent leur musique comme une “musique émotionnelle de la street”, prennent à cœur l’idée d’authenticité.

“Tous les rappeurs que j’ai kiffés sont des rappeurs pour qui il y avait des liens forts entre leur rap et leur vie. Sans parler que des rappeurs, il y a plein d’artistes dont les plus belles œuvres sont inspirées de faits réels. Si t’es pas réel, tu ne peux pas être bon dans ce que tu fais”, affirme Sanguee.

“La musique sert à toucher les gens, de n’importe quelle manière, que ce soit pour faire la fête ou faire cogiter les gens. Faut être vrai, sinon ça se remarque”, confirme MoMoSpazz.

Ainsi, si le psychédélisme des productions nous fait souvent quitter la Terre, le travail d’écriture nous rattache à son béton. Sanguee rappe sa réalité, celle qu’il “préfère”, et elle n’est pas toute rose :

“Il n’y a que notre vie qui nous inspire. Et notre environnement fait partie de notre vie. Ça donne envie de mettre ça en image dans la tête des gens et montrer notre réalité.”

Une réalité obscure (“Je me noie dans l’ivresse quand la réalité m’agresse”, balance-t-il dans “50”) qu’il choisit parfois de rapper en arabe (“Sahara”, “Casablanca” et “New Balance”) pendant des couplets entiers, tranchant encore une fois avec la majorité du rap français qui en emprunte seulement des morceaux de vocabulaire. Une façon de revisiter ses origines marocaines ainsi que ses influences et de faire valoir une musique émotionnelle et authentique.

La réalité de TripleGo c’est aussi Montreuil, qui fait partie intégrante du groupe et constitue assurément sa principale inspiration. “Montreuil, c’est une trop grande part de nous. N‘importe qui a envie de revendiquer sa principale inspiration“, souligne MoMoSpazz. “C’est pour que nos potogos sachent d’où on vient. On leur montre où on a grandi. Ça peut aider les gens à comprendre d’où vient l’obscurité”, confirme Sanguee.

En évoquant Montreuil, les deux amis me décrivent une ville cosmopolite, où il existe mille et une façons de grandir et de se construire, selon ses quartiers. Pour MoMoSpazz et Sanguee, la ville leur a appris à éviter les pièges et à être créatifs pour s’en sortir. Elle leur a aussi permis de nouer de solides liens d’amitié avec ceux qu’ils nomment leurs “potogos”. Ainsi, au moment d’enregistrer “Cali”, le seul featuring de la mixtape, le duo invite leur pote Prince Waly, nouvelle figure emblématique de la scène rap locale.

Montreuil sublimée

Imprégnant leur musique, Montreuil se voit aussi sublimée dans leurs clips. Souvent filmée de nuit, la ville est le décor de plusieurs de leurs vidéos. “La nuit, elle est trop belle Montreuil. C’est une bête de femme, elle est authentique, elle est charmante, elle est vicelarde. C’est une sacrée maîtresse“, déclare MoMoSpazz. 

Dans ses clips très esthétiques, le duo joue sur l’audace des mises en scène, aussi contemplatives que leur musique, mais aussi sur le travail des couleurs, qui oscillent en permanence entre l’obscurité ambiante et les lumières acidulées des néons. Des visuels pour la plupart réalisés par Kevin Elamrani-Lince – qui a déjà œuvré pour AlkpoteMZ, The Pirouettes ou Jorrdee – et qui rappellent les travaux de Gaspard Noé ou de Nicolas Winding Refn, deux inspirations cinématographiques du duo.

“Kevin a une vraie sensibilité artistique qu’on n’a pas eu avec d’autres personnes. C’est un véritable artiste et c’est enrichissant de travailler avec lui. C’est un génie”, affirme Sanguee. 

À la question : “Comment vous imaginez-vous en 2020 ?“, ils me répondent “en vie et en paix”. Si la réponse semble apaisée et sobre, ils prennent quand même le soin de rajouter qu’ils appréhendent l’avenir de manière assez sombre. On revient donc toujours à cette obscurité qui habite le groupe et imprègne ses productions. Une obscurité qui tranche avec le contexte ensoleillée de cette interview. Mais comme ils me l’expliquent si bien, les deux musiciens constituent eux-mêmes un véritable contraste.

La mixtape 2020 est sortie le 20 mars. Elle disponible et téléchargeable gratuitement sur le site de TripleGo.