Rencontre : avec son premier EP, Royaume ouvre la voie de la grâce

Rencontre : avec son premier EP, Royaume ouvre la voie de la grâce

Image :

© Vittorio Bettini

photo de profil

Par Marie Jaso

Publié le

Le charmant duo parisien dévoile Again, esquisse réussie, et confirme son règne.

À voir aussi sur Konbini

Dans les locaux du label PIAS – sous lequel Royaume enregistre actuellement son premier album – se trouve déjà la moitié du jeune tandem. Fred, alias “Moon Boy”, a l’altruisme des novices mais l’expérience et la culture musicale des plus avertis. Et pour cause : lancé à corps perdu dans la production musicale dès l’obtention de son bac, le Parisien a depuis fait ses armes au sein de l’industrie. “C’est une case défaillante de mon cerveau : si je ne fais pas de musique, elle prend soin de m’obséder”, note-t-il.

Et quand on choisit la musique (ou plutôt “quand elle vous choisit”, selon Moon Boy), mieux vaut être certain que c’est une passion… Car elle peut rapidement se révéler dévorante. “On vient de se séparer de notre manager, donc c’est un peu la folie en ce moment”, explique le producteur débordé, qui n’a pas vu la chanteuse franco-japonaise Yumi, l’autre moitié du duo, depuis deux semaines.

Le prix de la liberté est élevé en investissement personnel, mais qu’importe : lauréat du prix inRocks lab 2016 grâce au titre autoproduit “Blue Asphalt”, le groupe Royaume – qui s’appelle ainsi car “il y a du Queen B en chacun de nous” – conquiert depuis le territoire tant convoité de la scène internationale.

Quelques minutes plus tard, Yumi franchit la porte, désolée et encore fatiguée de sa courte nuit : “Je suis en train d’écrire mon mémoire et je me suis endormie devant mon ordinateur avant d’avoir pu mettre un réveil…” Encore étudiante, la jeune fille de 23 ans au parcours scolaire sans faute (khâgne et hypokhâgne à Henri-IV à Paris) termine sa formation en marketing au Celsa. “C’est pour la forme. Je n’y suis déjà plus”, avoue-t-elle. Et on comprend qu’elle ait déjà la tête ailleurs.

Il y a deux ans, lorsqu’elle rencontre Fred lors d’une soirée, tout s’aligne. Au contact du mélomane invétéré, hyperactif et à la voix grave et puissante, Yumi – qui ne pensait pas faire carrière dans la musique et chantait “pour rire” – comprend que chanter est un vrai métier et s’en sert comme d’un exutoire. “J’ai compris que c’était ma vraie nature, que j’avais simplement mise de côté sous la pression parentale et sociétale.” Après cette prise de conscience, aucun demi-tour possible : Royaume est là pour durer.

Un duo éclectique en quête de risque

Si la facilité nous pousserait à qualifier Royaume de “relève française de The XX”, le compliment sonnerait faux aux oreilles des membres du groupe, honorés, mais dont l’ambition est ailleurs :

“On veut s’éloigner de The XX justement, ou d’artistes comme Lana Del Rey et London Grammar, dont les morceaux se ressemblent énormément. On a envie de faire un album dont les diverses chansons provoquent diverses émotions à l’auditeur, tout en gardant des éléments similaires au niveau de la production, pour conserver une certaine homogénéité.”

S’ils se sont retrouvés sur les mélodies de Ben Khan et Jai Paul, Yumi et Moon Boy définissent difficilement les frontières de leurs influences musicales. “J’écoute ce qui me touche”, confie la chanteuse, peu attentive au genre. Le musicien, outre des goûts très éclectiques, admet avoir une petite préférence pour le hip-hop : “Je trouve les prods plus inventives et modernes, notamment celles de Kanye West. Personne n’ose ici autant que lui.”

Un goût prononcé pour le risque que partagent les deux acolytes, pas contre un peu d’aventure. Lancé aujourd’hui sur une base électropop, Royaume s’imagine déjà hors de sa zone de confort, engagé dans des collaborations avec des rappeurs. Un perpétuel besoin d’évolution, signature des grands artistes. Le groupe affirme :

“Il est nécessaire de prendre ses marques dans sa musique, et ça peut être un long processus. Mais maintenant qu’on a défini notre identité musicale, on peut se permettre de s’amuser un peu. Nos deux derniers titres (qui ne sont pas encore sortis), par exemple, sonnent plus disco.”

Un premier EP placé sous le signe de l’amour

Quand on demande à Royaume ce qui a inspiré Again, la réponse semble évidente : “Ben… L’amour ! [Rires.] C’est quand même ce qu’il y a de plus beau, de plus fort, de plus important dans la vie”, assure Moon Boy. Yumi, la parolière, nuance : 

“C’est problématique parce que j’ai l’impression qu’aucun des textes de l’EP n’échappe à ce thème… Après, il existe plein de formes d’amour. On peut même l’envisager dans son aspect négatif : la haine. Il faut voir l’amour comme un prisme qui permet d’aborder n’importe quel sujet à travers lui.”

Leur deuxième single, “Again”, en est l’illustration parfaite. Le refrain accrocheur, qui porte le leitmotiv “If you find love, run away” (“quand tu aimes il faut partir”) emprunté au poème de Blaise Cendrars “Tu es plus belle que le ciel et la mer” (1924), est plus complexe qu’il n’y paraît. Car si l’amour est le fil rouge de son premier EP, Royaume tempère cependant son omniprésence :

“La phrase en question peut évoquer plein de choses. Tout dépend du lecteur : certains imagineront littéralement quelqu’un qui fuit l’amour par peur. Mais pour ceux qui connaissent la vie emplie de voyages de Blaise Cendrars, le fameux “quand tu aimes il faut partir” prend un autre sens. On parle de l’amour de l’aventure, d’évasion. C’est la force des textes métaphoriques.”

Des textes inspirés et imagés

Et les textes métaphoriques, c’est la spécialité de Yumi, “l’une des parolières les plus talentueuses de sa génération”, selon son acolyte. Sur Again, la jeune femme délivre des essais poétiques, personnels et profonds, à plusieurs degrés de lecture.

“Je n’arrive pas encore à raconter d’histoires quand j’écris. C’est introspectif : j’ai toujours besoin de me raccrocher à des souvenirs, des sensations… ‘Miho Beach’, par exemple, est inspirée d’un voyage au Japon, où je suis retournée à la mort de mon grand-père.

Elle résulte d’une combinaison d’émotions ressenties sur cette plage volcanique, habitée selon les croyances par la déesse du vent : c’est une chanson sur le deuil, mais aussi sur la force de la famille et de la nature. C’est un retour aux racines.”

Avant de relativiser : “La langue anglaise permet d’instaurer une certaine distance entre l’auditeur et moi. Écrire en français demande du courage et de la désinhibition : chaque mot devient plus lourd de sens. J’y viendrai peut-être plus tard.”

Incandescentes, les paroles laissent ainsi à chacun la liberté d’y projeter son imagination ou son vécu pour se les approprier et trouver en Royaume ce qu’il a envie ou besoin d’entendre.

“Le féminisme, ça nous parle”

Dans le film The Tree of Life, Terrence Malick affirme qu’il existe deux voies dans la vie : celle de la nature et celle de la grâce. Royaume, lui, a fait son choix : ce sera la seconde. Doctrine “de l’évolution, de l’intelligence, de la bonté, de l’entraide, de l’altruisme” et inspiration de la chanson “Endless Grace” (à paraître sur l’album), cette dernière nourrit l’engagement d’un groupe révolté par l’injustice.

Depuis ses débuts, le duo masculin/féminin s’attelle, à travers sa musique, à dénoncer les inégalités entre les femmes et les hommes et se joue des codes stéréotypés. C’est le cas de la chanson “If We”, hymne féministe sorti bien avant le mouvement #MeToo. Moon Boy revient sur le projet : 

“Pour ce clip, je cherchais des plans de films intéressants avec des nanas seules. Et j’ai galéré comme jamais. Soit elles étaient avec des mecs, soit elles n’étaient pas mises en valeur. Ça m’a mis hors de moi. C’est une inégalité basée sur la simple force physique et ça me rend fou.”

Royaume dénonce les groupes “irrespectueux” qui profitent du label “féministe” très en vogue, mais continuent d’utiliser le corps de la femme dans leurs vidéos à des fins lucratives. Une représentation déplorable qu’il se donne pour mission d’améliorer.

Ainsi, pour la vidéo du titre “Again” (à retrouver plus haut), le duo inverse la tendance en choisissant d’y exposer un homme dénudé, pris au piège des bondages du rituel japonais du shibari (asservissement habituellement réservé aux femmes). Pour cette cause qui leur est chère, Yumi et Moon Boy sont confiants :

“Il y a un énorme travail à faire. Mais c’est un combat visible et important auquel notre génération se doit de participer. Chacun avec ses propres moyens peut contribuer à bousculer les points de vue et faire avancer les choses. Une fois qu’on aura évolué là-dessus, on pourra enfin estimer être sorti de l’âge de pierre.”

Le groupe sera en concert le 9 juin au Pop-up du label (Paris), le 4 août au Ronquières Festival (Belgique) et le 25 août à Rock en Seine (Paris). En attendant son premier album, prévu pour la fin de l’année ou à l’aube de 2019, ne manquez rien de l’actualité du tandem sur Facebook, Twitter et Instagram.