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“Une grande majorité des rappeurs sont des auteurs” : rencontre avec le magnétique Gaël Faye

“Une grande majorité des rappeurs sont des auteurs” : rencontre avec le magnétique Gaël Faye

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Par Sophie Laroche

Publié le

Avec le succès de son roman Petit Pays, Gaël Faye a connu une sollicitation médiatique et une reconnaissance populaire intense qui ont presque fait oublier son identité de fils du hip-hop pourtant si essentielle. À l’occasion de la sortie de son Ep Rythmes et botanique, on a rencontré le magnétique rappeur pour parler de musique, de littérature et de politique.

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© Rachid Majdoub

Rencontrer Gaël Faye est une expérience assez fidèle à ce à quoi on peut s’attendre en écoutant ses morceaux. Engagé et généreux, l’homme est aussi dense dans sa parole que dans ses textes. À l’écouter répondre à mes questions, j’acquière la conviction que je pourrais aborder n’importe quel sujet, il trouverait toujours de quoi disserter, de façon juste et réfléchie, conscient du poids et de l’impact des mots.

Des mots, qui sont l’essence de son œuvre, et qu’il manie si bien qu’ils lui ont permis d’atteindre la consécration littéraire avec le prix Goncourt des lycéens, décerné à son premier roman Petit Pays, publié chez Grasset. Un succès inattendu qui a porté son talent à la vue mais aussi à l’ouïe de tous. Car, il ne faut pas oublier que Gaël Faye est avant tout un rappeur. Un musicien issu de la pure tradition hip-hop dans tout ce qu’elle engage de poésie et de révolte.

Une identité qu’il réaffirme avec son nouvel EP Rythmes et botanique, construit entre la fougue électrique des instrumentales et l’intelligence subtile de sa plume. Un projet qui rompt avec la nostalgie et l’acoustique de son premier album solo Pili Pili sur un croissant au beurre. Pour l’occasion, on a discuté de rap, de littérature et de politique avec cet homme qui a eu mille vies entre le Burundi, le Rwanda, l’Angleterre et la France et qui, paradoxalement arbore un visage lumineux et sans âge.

“Irruption”, le premier extrait de Rythmes et botanique se fait très actuel et révolté alors que Pili Pili sur un croissant au beurre se voulait plus biographique et tourné vers le passé. Est-ce que cela donne le ton de ce futur EP ?

Oui je trouve. Il n’y a plus la question de la nostalgie ou du sodad. Pili pili sur un croissant au beurre était l’album d’un exilé. Entre temps, je suis parti m’installer au Rwanda. Ce n’est pas le Burundi où j’ai grandi mais c’est dans la région. J’ai aussi fait une rupture qui était importante pour moi avec cette écriture de l’exil. Car j’essaye de combattre toute forme de posture ou de position. Dès que l’on fait quelque chose, il faut détruire ce quelque chose pour se réinventer. C’est l’ambition avec Rythmes et botanique.

C’était aussi l’idée d’aller vers une musique plus électronique, plus nerveuse, moins acoustique. S’il y a une chose que je n’aime pas du tout, c’est l’étiquette de slammeur qu’on me collait parfois. J’ai toujours dit que c’était du hip-hop, du rap. Je pense que c’est dû à cet univers très acoustique. Il s’agissait donc peut-être d’une réaffirmation de mes premier temps dans cette musique. C’est comme si j’arrivais avec Rythmes et botanique à faire cohabiter mon expérience de musique acoustique ; avec des musiciens de jazz et des musiques africaines et cette culture des machines et du sample. 

Tes textes sont aussi plus révoltés.

Je l’ai toujours été. Avant, j’avais un groupe Milk, Coffee & Sugar, et quand on écoute un titre comme “Allumez les briquets”, on comprend qu’on chantait pas sur un mode “pâquerettes”. Il y a toujours eu ça. Je pense que ce qui rend le côté brutal, c’est que ces derniers mois, il s’est formé l’image d’un écrivain romancier avec un livre sur l’enfance. Il y a aussi la superposition entre la musique froide et le texte monté en puissance auxquels se rajoutent une intensité dans l’interprétation et le visuel clip en noir et blanc qui est assez épileptique. Cependant, il n’y a pas de violence dans les images. C’est plutôt l’énergie qui est plus urgente. Dans Pili pili sur un croissant au beurre, il y a avait “Charivari” ou “Fils du hip-hop” qui ont aussi cette énergie-là mais comme il y a un vrai batteur et une vraie basse, ça ronronne un peu plus, les machines du morceau donnent un côté plus froid. Il suffit d’imaginer une grosse rythmique, ce serait la même énergie que pour Irruption.

Une autre différence, cette fois tu parles au nom du “nous”, de l’altérité.

C’est une envie que j’ai d’avoir un jeu collectif. Il y a par exemple une chanson comme” Tôt le matin” qui se présente en forme de manifeste. On a l’impression que je m’adresse à quelqu’un, même si je m’adresse à moi. Alors que Pili pili sur un croissant au beurre était plus une voix intérieure, des chroniques autobiographiques. Je l’imaginais presque comme un journal intime musical.

Le clip d'”Irruption” est en noir et blanc. C’est intéressant car en écoutant ta musique, je trouve que les couleurs sont très perceptibles et le contraste important entre l’Afrique et la France.

Je le ressens aussi comme ça dans ma propre vie. J’ai l’impression que mon enfance au Burundi était très lumineuse. Même aujourd’hui, au Rwanda, à 5 heures du matin le soleil est déjà levé, les gens sont dans la rue. À mon arrivée en France, c’était comme une lumière qui se tamisait. L’hiver, il fait nuit quand on se lève et quand on rentre. Même visuellement, il y a de ça. Dans le clip “Je pars”, on avait travaillé là-dessus. Il y avait un trajet comme ça, je pars, je quitte ce monde qui ne me va pas. On commence dans un décor urbain plutôt européen, puis ça termine dans une cour quelque part en Afrique. Il y a plus de lumière, plus de couleurs car je le ressens aussi comme ça visuellement. Après, ce n’est pas ce cliché type “En Europe, les gens sont maussades et en Afrique les gens sont joyeux”. Par exemple, je trouve que New York est une ville très lumineuse aussi.

“Quand on a toutes ces armes de la culture, de la philosophie et qu’on voit à quel point on est dans des pays où les gens ne sont pas à la hauteur de tous ces idéaux, il y a toujours un agacement.”

Au delà du visuel, il y a aussi un côté assez imagé. Tu évoques le racisme dans ton expérience en France, notamment dans le morceau “Je pars”.

Il y  a aussi du racisme en Afrique. Cependant, le racisme dont je suis victime au Burundi et au Rwanda, c’est ce type de racisme qui ne dégrade pas ma dignité. Comme tu es blanc, tu es plus riche donc on va te faire payer plus cher. C’est un racisme différent d’ici où quand t’es bronzé, il y a toute cette idéologie qui vient du racisme du XVIIIe ou XIXe développant l’idée que tu es inférieur. La réception est différente. Ça saoule de payer plus cher chez le coiffeur à Kigali car je suis blanc mais ma dignité n’est pas dégradée comme quand on me refuse l’entrée d’un restaurant en France. J’en parle car cela m’est arrivé une fois avec ma mère en Normandie. Le restaurateur n’a pas voulu qu’on rentre dans son restaurant. On a fait un scandale et le restaurateur nous a dit en partant “Rentrez dans votre pays”. À ce moment, on a l’impression qu’on nous enlève notre humanité.

Pourtant je suis un enfant de la culture française plus que de la culture rwandaise ou burundaise. Même là-bas ; j’étais plus baigné par la littérature française et par la culture populaire occidentale. Quand on a conscience de ça, quand on a toute ces armes de la culture, de la philosophie et qu’on voit à quel point on est dans des pays où les gens ne sont pas à la hauteur de tous ces idéaux, il y a toujours un agacement. Il existe une forme de paresse parce qu’on est dans un pays où il y a de l’opulence. D’ailleurs je l’écris dans Petit Pays. Le personnage de Gabriel dit à la fin : “Je vis depuis des années dans un pays qui possède tant de bibliothèques que plus personne ne les remarque.” Là, on se demande comment on peut si peu réfléchir, être aussi raciste, aussi intolérant alors qu’on a tout ce savoir à notre disposition. J’excuse peut-être plus facilement des paysans rwandais ou burundais car ils vivent souvent dans une certaine ignorance. Souvent il ne savent pas lire ni écrire. Ils n’ont pas eu accès aux livres. Ils vivent dans la misère. Mais pour moi, quand t’es Parisien, tu n’as pas le droit d’être raciste car on est dans une ville qui s’est construite sur cette culture, sur ce mélange.

Tu penses que la situation empire ?

Je ne sais pas. Je me dis d’un côté que l’on aime parler de ce qui ne fonctionne pas et de ce qui fait peur mais peut-être que le reste est plus présent, plus fort. Je crois qu’il y a déjà un archaïsme. Ce qui me fait peur, c’est l’impulsion des gens et la paresse. On est dans des modes de vie qui nous rendent paresseux et qui diminuent la réflexion car celle-ci demande du silence et du temps et c’est ce qui nous manque à tous. Déjà dans une vie d’artiste, on court alors qu’on devrait prendre le temps. Je le vois dans le rap avec des mecs qui sortent deux albums par an. Je ne sais pas si leurs chansons sont juste dans l’époque où si elles s’inscrivent dans le temps. Cette façon de faire participe à cet enlisement dans une urgence qui nous empêche de digérer l’époque.

Dans cette réflexion, tu es assez inspiré par les luttes américaines ?

Ça m’influence beaucoup parce qu’adolescent, j’étais dans une crise identitaire car j’avais l’impression d’être noir. Je me retrouvais donc beaucoup plus dans les questions de luttes des Noirs américains que dans celle des Noirs en France. Je trouve qu’ici cette histoire est tue. On ne connaît pas l’histoire des migrations antillaises ou africaines en France, ni des philosophes, écrivains ou musiciens noirs. Les Américains ont la faculté de créer du mythe tout de suite. Angela Davis, Malcom X, Martin Luther King, ça me faisait rêver alors j’ai puisé dans cette histoire-là. Je crois qu’il faut créer les mythes surtout en tant qu’artiste car cela nous permet d’avancer. C’est dommage que les artistes deviennent comptables comme les politiques. Pourtant ce qui compte, ce n’est pas qu’un album se vende, mais qu’il résiste au temps, qu’il dise une vérité essentielle.

Dans Pili Pili sur une croissant au beurre, tu as fait appel à plusieurs artistes d’origines différentes pour chanter en plusieurs langues. C’est important ce métissage même dans ta musique ?

En même temps, ces gens-là me racontent un peu. Ce sont des gens qui sont mes amis, qui m’ont influencé donc il y a toujours un sens. Quand j’invite Bonga, qui a fait beaucoup politiquement et artistiquement, qui représente la Lusophonie, l’Angola, le Cap Vert, ça fait partie de mon environnement, c’est un hip-hop créole et je me sens créole. Je me sens appartenir à cette école du monde dans laquelle je crois que les continents n’existent plus, que les nations n’existent plus. C’est les relations qui créent notre identité. Chacun est un îlot qui forme un archipel, un tout. Dans la musique, j’aime bien que ça se passe comme ça car ces îlots parlent de moi.

Un autre constat. Quand on se rend à tes concerts, on constate que le public est aussi divers, qu’il s’agisse de la couleur, des origines ou de l’âge.

Je prends ça comme une victoire. C’est mon idéal de me dire qu’on ne forme qu’un. Quand je chante “Métis” et que je dis “c’est par fusion que nos cultures deviennent indistinctes“, je le pense vraiment. Et quand je demande “Est-ce que ce soir l’humanité est debout sur un socle ?” en concert, c’est la réalité. Il n’y a pas que des Rwandais ou que des Français dans la salle. D’un coup tout le monde est là, c’est presque un exemple. Ça vient confirmer une démarche, une envie, une parole qui est portée donc c’est super. C’est comme la réception du roman ou de Pili Pili sur un croissant au beurre, je trouve un public ici mais aussi au Rwanda et au Burundi. Il y a des artistes qui souffrent de ça, qui ne sont pas écoutés chez eux. J’arrive à rassembler parce que mentalement, je crée ce pays qui est l’A-France, une contraction d’Afrique et de France. Dans ce pays, j’arrive à avoir toutes les composantes des trois pays dont je suis issu, c’est une victoire, je suis vraiment heureux de ça.

“Je reste persuadé qu’une grande majorité des rappeurs sont des auteurs, que dans une punchline, il y a assez de sens pour développer un chapitre, que dans un album, il y a assez de sens pour faire un roman.”

Beaucoup de gens t’écoutent car ils ont lu ton livre Petit Pays, et inversement beaucoup de gens lisent ton livre car ils ont écouté ta musique avant. Penses-tu que le rap peut être un pont vers la littérature et inversement ?

Je suis content de ce qui est arrivé avec ce roman. S’il peut faire taire les discours du style : “le rap est une sous-culture d’analphabètes” en se retrouvant dans la liste de grands prix littéraires, c’est tant mieux. Je reste persuadé qu’une grande majorité des rappeurs sont des auteurs, que dans une punchline, il y a assez de sens pour développer un chapitre, que dans un album, il y a assez de sens pour faire un roman. C’est simplement que nous-mêmes, les gens du rap, on s’est aussi mis des barrières, se disant que la littérature est une culture élitiste. Il faut qu’on brise encore ce type de barrières comme on en a déjà brisé beaucoup. Le hip-hop s’est vraiment ouvert, la culture hip-hop aujourd’hui est partout. Il faut continuer de s’affirmer, les gens écoutent du rap pour la musique, pour l’énergie, mais aussi pour les paroles.

Quelle est la différence entre écrire un album et écrire un livre ?

Le roman, c’est une expérience solitaire bien qu’à un moment tu discutes avec l’éditeur mais ça reste quand même solitaire. Faut savoir rester assis. La musique c’est très collectif, on a pas idée à quel point. Il y a beaucoup de discussions, c’est plus immédiat. Sur le processus de création, il faut du souffle pour faire un album.

Ça peut mettre autant de temps…

Même plus. Pour moi, un album s’arrête le dernier jour de la dernière date de la tournée. C’est pas quand on sort de studio. Alors que le roman s’arrête à la fin de l’écriture. J’ai trouvé que lors des rencontres en librairie, On ne vit pas vraiment son roman. On est un peu un VRP du roman. C’est pour ça que j’ai voulu faire des lectures musicales, j’avais besoin de vivre le roman. La musique, c’est ça. Quand je suis sur scène, je retrouve l’énergie de chacun des titres, le mood dans lequel j’étais au moment où je les écrivais.

Dans Petit Pays, le personnage principal est Gaby, un jeune franco-rwandais vivant au Burundi. Quelle est la différence principale entre Gaël et Gaby ?

Ce qu’on a en commun : le métissage. Il est franco-rwandais et a grandi au Burundi. Cela me permet de rentrer dans toutes les histoires. S’il n’avait été que rwandais, ça aurait été plus compliqué : l’histoire de l’exil, rentrer dans le milieu des expatriés, parler de la France. S’il avait été que français, ça aurait été compliqué de parler de Tutsi, de cette famille. Ça me permettait d’avoir des portes d’entrée sur tout ça. Après, on a vécu la même situation politique à la même période. J’ai eu cette enfance heureuse comme lui, puis le coup d’état, la peur qui arrive, les identités qui se forment. Moi aussi, c’était à cette période-là que j’ai appris que j’étais Tutsi, que j’étais métisse. Et puis, il y a eu l’exil. Donc ça, c’est ce qu’on partage. Les péripéties, ça ne m’est pas arrivé. Gaby a eu une lucidité que je n’ai pas eu, il voit les choses se former et il les analyse. Moi j’ai juste eu la peur, j’ai vu des choses mais je ne les ai pas analysées. Le mots “génocide”, c’est bien plus tard que je l’ai prononcé. À l’époque, on disait “la crise”, “les événements”. J’ai donné à cet enfant ma lucidité d’adulte, c’est pour ça que c’est un personnage de roman.

“Quand j’avais peur, j’écrivais. Je me protégeais avec ça, je m’enfonçais dans mes écrits.”

Gaby utilise les livres comme une protection. As-tu le même rapport que lui aux livres ?

Lui se protège avec les livres, moi c’est plus l’écriture. Quand j’avais peur, j’écrivais. Je me protégeais avec ça, je m’enfonçais dans mes écrits comme lui s’enfonce dans ses livres. 

Pourtant la littérature compte. Tu cites Prévert et Césaire dans “Irruption”.

Prévert, c’est particulier, ça me fait penser à mon enfance. Il n’y avait pas de livres à la maison, il y avait Paroles de Jacques Prévert et les poèmes. Mon père aimait les réciter à table, du coup on les apprenait par cœur avec ma sœur.

“Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j’ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J’aime celui qui m’aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n’est pas le même
Que j’aime à chaque fois
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi”

La poésie du titi parisien de Prévert me renvoie à mon enfance africaine alors que Césaire, avec Cahier d’un retour au pays natal me renvoie à mon adolescence parisienne. C’est la poésie de l’engagement, de l’identité de l’affirmation, de la négritude.

“Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… »

Ça, c’est l’adolescence, la révolte, le combat. Lorsque dans “Irruption” je dis “Aux armes miraculeuses on a lu Césaire et Prévert – On viendra vous faire la guerre avec la parole poudrière”, c’est pas pour la rime. C’est vraiment qu’il y a eu les deux. C’est cette balance, cette manière de dire “c’est ça être Français”.

Il y a aussi Balavoine et Brassens.

J’ai beaucoup d’admiration pour Balavoine. À Ivry, la première fois que j’ai chanté “Irruption”, la sœur de Balavoine était là, elle est venue me voir à la fin pour me dire : “Vous auriez été un grand ami de Daniel.” C’est génial, c’était un chanteur populaire. Quand on le voit face à Mitterrand, le prévenir qu’il n’a pas respecté la jeunesse et qu’elle va s’énerver, ça avait de la gueule.

Penses-tu que le rap, qui avait ce rôle de contestation, a perdu cette vocation ?

Il y a tellement de genres de rap, on ne peut pas en parler au singulier. Il y a des démarches si différentes, entre moi et les petits jeunes d’aujourd’hui, des façons très différentes d’envisager la musique. Des types vont s’attacher aux clips, au nombre de likes, je préfère ne pas avoir énormément de clics, et remplir des salles. Le truc c’est que le rap c’est souvent, contrairement aux autres styles musicaux, assez amnésique. On a pas de déférence pour les anciens et je viens de la culture de la déférence. Beaucoup commencent à rapper sans même écouter ce qui existait avant. C’est aussi ça qui permet à cette culture de se renouveler tout le temps, elle ne s’arrête jamais, elle est pas non plus bloquée par ses archaïsmes. C’est assez bourgeois d’attendre la validation des paires. C’est encore ce truc d’équilibre à trouver. Bien qu’il y ait cette énergie là ; je pense qu’il faut aussi un peu de respect.

Dans le rap tu as eu un parcours assez particulier, entrecoupé par un séjour à Londres, peux-tu nous le retracer ?

J’ai commencé le rap à 15 ans dans une MJC des Yvelines. À 16 ans, j’ai signé sur un label de rap qui s’appelait Squad Sky. On faisait beaucoup de studio, de mixtapes, de compils. On avait un stand aux puces de Clignancourt. Je faisait mes freestyles aux clients avant qu’ils achètent mes CD. C’est là que j’ai rencontré tout le rap français. J’ai participé à de super projets, il y avait mes idoles : Arsenik, Lunatic, etc. Après j’ai commencé à amorcer l’idée d’un album solo qui serait autobiographique, j’avais déjà écrit “A-France”. J’ai confié à mon producteur de l’époque que les beatmakers qu’on avait n’étaient pas bons, que les instru étaient cheap. On était à des années-lumière des productions américaines qu’on écoutait : The Roots…. J’étais super frustré puis j’ai rencontré des gens qui m’ont parlé de soirées slam où tu rappes à cappella tes textes.

C’était en 2004, j’ai vraiment fréquenté le milieu underground, j’avais l’impression d’être à la naissance d’un truc très fort puis après je suis parti à Londres travailler dans la finance. Je revenais souvent. Là-bas, je sortais du bureau en costume cravate, j’allais a Brixton, il y avait un studio où j’enregistrais avec des rastas, je faisais des maquettes. C’était ma passion, mais d’en vivre je n’y croyais pas. Ce n’était pas sérieux. En plus, pour la famille, c’est pas des métiers. Comme dans la chanson de La Rumeur “Blessé dans mon ego”. Puis au bout de 2 ans, je me suis dit que je n’allais pas dilapider mon temps de vie à faire des trucs sans saveurs. Je voyais quelques copains comme Souleymane Diamanka, 129H ou Grand Corps malade sortir des projets. Je me disais que c’était des mecs qui avaient osé et je me suis dis : “Tu vas avoir des regrets si tu n’essayes pas.”

Un pari qui s’est avéré gagnant pour Gaël Faye. Son EP Rythmes et botanique est sorti le 14 avril. Il se produira cet été dans de nombreux festivals. Les détails de la tournée sont à retrouver ici.

Crédits. Nous tenons à remercier l’hôtel Le Pigalle qui nous a permis de réaliser cet entretien et de capturer quelques clichés.