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Philippe Druillet, le Français qui a inspiré George Lucas et Star Wars

Philippe Druillet, le Français qui a inspiré George Lucas et Star Wars

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Par Arnaud Pagès

Publié le

Alors que Le Réveil de la Force s’apprête à se dévoiler sur nos écrans, nous avons rencontré l’auteur de bande dessinée Philippe Druillet. À l’ombre de son atelier parisien, il nous a parlé de Star Wars et de sa relation avec George Lucas.

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À l’aube des années 70, un ovni percute de plein fouet le monde paisible de la bande dessinée francophone. Il s’appelle Philippe Druillet. Nourri à la lecture de Lovecraft et des écrivains américains de science-fiction, le Français développe un univers peuplé de myriades de vaisseaux spatiaux et de légions menaçantes faites de monstres galactiques.

Très vite considéré comme une légende vivante, l’artiste va alors avoir une influence majeure pour toute une génération en quête de nouvelles images, et pour un certain George Lucas. Le réalisateur américain n’a d’ailleurs jamais caché son immense admiration pour Philippe Druillet, dont il s’est inspiré pour la création des univers tourmentés de Star Wars. Les deux hommes se connaissent, s’apprécient et ont collaboré ensemble à plusieurs reprises.

Konbini | Qui est Philippe Druillet ?

Philippe Druillet | Je suis né dans une famille pauvre et il me fallait trouver un moyen de sortir d’une destinée qui était évidente : finir à l’usine. Mais par un miracle étrange, j’étais obsédé par la connaissance, par l’art, par le fantastique et je me suis enfui à travers ça. Et puis il y a eu des rencontres avec des écrivains, des artistes, des films.

Mais je crois que ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pas de hasard. Pourquoi tu tombes sur le meilleur bouquin de Lovecraft quand tu as 16 ans ? Pourquoi tu tombes sur des passeurs, pas n’importe lesquels : les bons ? Quand tu cherches quelque chose, cette chose se provoque, elle se présente à toi.

J’étais fils de concierge, donc je vivais dans un univers totalement privé de culture et j’aurais pu rester comme ça. Mais j’étais un obsédé de culture, d’art, de peinture et je me suis fais mes humanités moi-même. J’avais un appétit féroce de connaissances et de beauté des choses ! Donc quelque part, il y a un truc que tu ne contrôles pas. Pour autant je ne crois pas à la réincarnation. Mais grâce à toutes ces rencontres, j’ai inventé un monde qui moi-même me dépasse totalement.

Avec le recul, quand je regarde mes albums aujourd’hui, je me dis que je suis complètement dingo. Jimmy Hendrix disait qu’il venait de la planète Mars, quelque part, moi aussi. […] Quand je dessine, c’est comme si j’ouvrais une porte, je rentre dans mon univers. Et après quand j’ai fini de bosser, je referme cette porte et je redeviens un mec à peu près normal.

“Pour moi une page de B.D, c’est un écran de cinéma”

Il y a un lien très fort entre tes bandes dessinées et le cinéma…

Pour moi une page de B.D., c’est un écran de cinéma. Et je décide comme un metteur en scène de construire mon truc. Mes images ne sont que les morceaux d’un plan. C’est comme si je cadrais ma caméra sur un décor et que ça débordait de chaque côté.

Les États-Unis, c’est un marché énorme, il y a 300 millions de personnes. La France c’est autre chose. Mais on a amené une culture, un truc qui était nouveau, et qui a influencé la bande dessinée américaine ainsi que le cinéma. La mise en page pour moi, c’est la cassure. Mon travail, ça a été de déstructurer la mise en page classique, de mettre en place une structure narrative qui peut bouger, qui soit interactive. C’était un nouveau langage, une nouvelle ouverture.

Je faisais partie de la génération 70 où la B.D., le cinéma et la musique étaient étroitement liés. On a recréé un monde. Je n’ai jamais fait de cinéma car je n’ai jamais trouvé les bonnes collaborations. En 1987, John Landis était intéressé de faire un film avec moi.

Il avait pris rendez-vous avec le représentant français à Los Angeles… qui n’est jamais venu le rencontrer. Ça, aux États-Unis, ça ne passe pas. Tu le fais une fois mais pas deux. Après j’ai essayé de monter des projets de films en France mais je suis à chaque fois tombé sur des gens aussi adorables qu’amateurs – dont certains se sont barrés avec la caisse !

Si tu devais esquisser un pont entre ton univers et celui de Star Wars, il ressemblerait à quoi ?

Ce que je fais est beaucoup plus européen. Après, en ce qui concerne Star Wars, il ne faut pas oublier que l’Amérique est faite de gens qui venaient pour beaucoup d’Europe. Ils ont ramené leur héritage culturel. Donc toutes les mythologies européennes se sont trouvées transposées là-bas.

“Avec George Lucas, nous avons des points communs. Nous sommes des collectionneurs et nous avons tous les deux grandi à la campagne”

Star Wars c’est à la fois du Wagner, les contes d’Andersen et plein d’autres choses qui viennent d’ Europe…. Ce sont les mythes éternels. C’est la guerre de Troie. Les Américains ont réactualisé tout ça et on partage avec eux toute cette culture.

Avec George Lucas, nous avons des points communs. Nous sommes des collectionneurs et nous avons tous les deux grandi à la campagne. Là où tu t’ennuies, forcément, mais c’est aussi une très bonne chose pour la création et l’imaginaire. On a aussi l’obsession de certains écrivains. On a cette similitude de curiosité sur les choses et c’est un mec très cultivé qui connaît bien l’ésotérisme.

Il y a deux visions dans Star Wars : la vision graphique et esthétique, et puis il y a ce qui se passe derrière. Et ça on en parle de plus en plus. J’ai entendu à la radio que les psychanalystes se mettaient à décortiquer Star Wars. Et maintenant on se rend compte qu’il y autre chose derrière les images. C’est la même chose pour mon travail. Il y a entre nous deux cette communauté de pensées à travers un support différent, moi la B.D. et lui le cinéma. Il y a une similitude dans la recherche, dans le boulot qui est très commune.

George Lucas a préfacé deux de tes albums et tu as fait des œuvres pour Star Wars. Ça s’est fait dans quel contexte ?

Star Wars est une réussite colossale sur le plan planétaire et c’est aussi un merchandising fabuleux. Le premier dessin qu’il m’a demandé, je l’ai retrouvé sous forme de vignettes sans même que je sois au courant. Mais ça ne vient pas de lui. C’est un type extrêmement honnête. Ils en avaient vendu des milliers et je n’avais pas touché un centime… Mais j’ai fermé ma gueule. Parce que tu as la structure Star Wars, et puis tu as Lucas. Il y a des choses qui lui échappent.

Lors de la dernière commande qu’il m’a faite, on m’a dit que je demandais trop d’argent. J’avais une dame très sympa au téléphone et je lui ai dit de dire à l’équipe de Lucasfilm que j’étais français : baguette de pain, béret basque, camembert ok, mais que j’avais besoin d’argent comme tout le monde. Le dessin était à 15 000 euros. Ce qui est correcte.

Mes côtes sont plus élevées. Et l’équipe me dit que c’est un honneur de travailler pour Star Wars ! Finalement, Lucas a arrangé le coup et il est intervenu personnellement. “Vous payez Druillet, point barre.” Et je leur ai fait un super truc. Quand tu es dans une usine à gaz comme Lucasfilm, tu ne peux pas tout contrôler. C’est juste impossible.

La grosse différence entre George Lucas et toi, c’est que lui bosse avec une équipe de 500 personnes et que toi, tu bosses seul.

Là je viens de préfacer un bouquin sur Star Wars. Il y a eu une équipe pour analyser la préface et la valider. Bon, ils étaient ravis, c’était vraiment du Druillet. Mais même pour une préface, ils mettent des gens pour s’assurer que tout est ok et ça passe par un vrai process de validation. Lucas l’a ensuite eu entre les mains et j’ai su qu’il était très content. C’est Lucasfilm en premier qui vérifie absolument tout. Ils fonctionnent complètement à l’américaine.

Après, je dirais que George Lucas a construit sa propre famille et sa propre maison et qu’il n’a pas voulu les lâcher. Et le public l’a suivi. C’est pour ça qu’il ne s’est pas trop diversifié et s’est focalisé sur l’exploitation des différentes facettes de Star Wars. Ça c’est une différence entre nous car de mon côté, j’ai exploré plein de pistes différentes. Lui s’est beaucoup concentré sur le merchandising.

“Il fallait absolument que George Lucas rajoute de la dramaturgie et de nouveaux personnages pour que l’univers de Star Wars soit encore plus puissant”

En tant qu’influence de George Lucas, j’aimerais avoir ton avis sur l’évolution de la saga entre la première et la seconde trilogie…

C’est la question piège car je ne les ai pas revus depuis longtemps. Ce que je sais, c’est que la transformation n’en est pas une. C’est une évolution logique dans son discours. Lucas a compris qu’il devait y avoir une évolution. C’est-à-dire augmenter la complexité de la construction.

Il ne pouvait pas continuer, même si sa base était puissante, avec le nombre de personnages qu’il avait au départ. Il fallait absolument que George Lucas rajoute de la dramaturgie et de nouveaux personnages pour que l’univers de Star Wars soit encore plus puissant, en s’amplifiant et en se construisant davantage. C’était tout à fait logique.

“Mon Star Wars serait un Star Wars moins lisse et plus sauvage avec un petit côté Mad Max.”

Druillet qui réalise un Star Wars, c’est possible ?

Mon Star Wars serait un Star Wars moins lisse et plus sauvage avec un petit côté Mad Max. Sur un projet comme ça, on te confie un héritage. Il faut que tu puisses t’enrichir de tout ce qui a été construit avant pour amener quelque chose en plus. Mais ça veut dire que tu as un poids de 20 000 tonnes sur les épaules et qu’il faut que tu rentres dans un système qui a fait le succès de la saga.

Tout est hyper charté. Et tu as une pression formidable. Tu es responsable de beaucoup d’argent. C’est la guerre, ce n’est plus de l’art. Tu tournes et tu as des tas de problèmes tout le temps. Ça peut être la météo, un mec qui pique sa crise ou un acteur malade… Les mecs qui financent te mettent la pression car chaque minute coûte très cher ! Pour tourner un film, il faut une certaine capacité physique. C’est très dur. Quand tu as 60 personnes autour de toi sur un plateau, tu as intérêt à savoir ce que tu veux.

J’admire vraiment Jean-Pierre Jeunet. Quand il a tourné un Alien aux États-Unis [le film Alien: Resurrection sorti en 1997, ndlr], il avait une mitraillette dans le dos en permanence. Il faut une force mentale, créative et physique terrible ! Au cinéma tu as toujours le côté présentation et publicité sur le film, tout est super, les mecs sont géniaux, le metteur en scène et les acteurs sont très sympas et puis quand tu grattes un peu tu t’aperçois que les mecs qui ont bossé sur le film ont dû se battre en permanence !

Lucas est arrivé à la maîtrise absolu, et au pouvoir absolu de son art. Donc personne ne l’embête sur un plateau. Après, c’est un coup de poker permanent. Tu peux mettre des milliards sur un film qui ne va rien rapporter, et des fois il y a très peu de budget et c’est un carton ! Je connais bien le monde du cinéma, je déjeune souvent avec des producteurs, et quand tu les entends parler ce n’est pas du tout ce qui est écrit dans la presse !

Aujourd’hui, la culture s’est beaucoup uniformisée. On est dans le politiquement correct, c’est-à-dire une sorte de fascisme mou. Et ça c’est très inquiétant. Mais il y a encore de la création et aussi beaucoup de talent. Aux États-Unis c’est pareil. Après moi, je suis à un stade où j’ai une liberté totale.

En quoi Star Wars a influencé Druillet ?

Il n’y a pas d’influence. J’adore Star Wars bien sûr, et ce n’est pas prétentieux de ma part, je suis très humble quand je dis ça. Mais je n’ai pas été influencé par Star Wars.

Et qu’est-ce que Star Wars a pris chez Druillet ?

Druillet a beaucoup apporté à Star Wars. Il y a en définitive des échanges artistiques, c’est surtout ça. J’ai démarré comme tout le monde en me servant de mes prédécesseurs. George Lucas a trouvé chez moi des choses qui lui correspondaient. Je trouve ça très bien. Dans Les 6 voyages de Lone Sloane [un album de Philippe Druillet sorti en 1972, ndlr], il y a une image d’un vaisseau titanesque qui a évoqué chez lui l’image de vaisseaux qui faisaient des dizaines de kilomètres de long. Ça fait partie du jeu créatif. Moi je vois des images chez certains dessinateurs, je trouve l’idée intéressante et je la transforme. C’est un jeu d’influence.

“George Lucas, c’est vraiment le Shakespeare moderne”

Est-ce que tu pourrais apporter une contribution graphique à un prochain Star Wars, au niveau des décors, des costumes ?

Quelque part, c’est déjà indirectement le cas. Mais bien sûr, je serais très heureux de pouvoir bosser en direct avec eux. Il y a quelque chose à faire. On te donne un héritage, donc tu dois continuer le truc. Mais tu peux amener une autre vision. Star Wars a besoin de se renouveler constamment, mais tout est charté donc c’est difficile d’amener quelque chose qui sort du cadre. Et dès que ça ne marche pas, tu dégages. C’est impitoyable. Lucas a réussi ce que peu ont réussi. C’est vraiment le Shakespeare moderne.

Et si tu confiais à un réalisateur le projet de faire un film ?

Mais je suis tout à fait d’accord ! Je serais ravi que George Lucas fasse une adaptation de Salammbô [une trilogie inspirée par le roman éponyme de Gustave Flaubert créée par Philippe Druillet en 1980, et dans laquelle apparaît le personnage Lone Sloane, ndlr]. Le cinéma, c’est ce qui manque pour parachever mon travail. J’ai reçu au moins 40 coups de fils au sujet du dernier Mad Max, tout le monde me demandait si c’était moi qui l’avait réalisé !

Et justement, si c’était toi qui avais été aux commandes de l’épisode 7 ?

C’est un peu difficile de répondre car je n’ai pas accès au scénario. Disons que tu as une telle base de données, que tu peux faire sauter la baraque. Il y a tous les ingrédients. Tu fais une apothéose, tu fais du Wagner carrément ! Mon épisode préféré c’est L’Empire Contre Attaque. Donc mon Star Wars 7 ressemblerait un peu à celui-là. En insistant sur le côté ésotérique amené par Yoda.