Petite discussion sur le cinéma d’antan et de maintenant avec Joe Dante

Petite discussion sur le cinéma d’antan et de maintenant avec Joe Dante

Image :

Joe Dante, encore un peu fatigué de son vol (© Fanny Lisbon)

photo de profil

Par Arthur Cios

Publié le

De passage à Paris pour le festival Toute la mémoire du monde à la Cinémathèque française, nous avons discuté du septième art avec le célèbre cinéaste Joe Dante.

À voir aussi sur Konbini

On compte assez peu de cinéastes aussi cinéphiles que le papa des Gremlins. Joe Dante raconte regarder des films dès qu’il le peut. Ce n’est donc pas un hasard de le retrouver au milieu de la programmation du festival Toute la mémoire du monde de la Cinémathèque française, qui honore le travail de restauration permettant de faire perdurer le patrimoine du septième art.

Après avoir soumis le réalisateur à un Supercut (qui sortira dans quelques jours), nous avons pu discuter avec le bonhomme, souriant comme toujours et ce malgré la fatigue du décalage horaire. L’occasion de parler du cinéma d’antan et de maintenant.

Konbini | Si l’on jette un œil à votre sélection pour le festival, on se rend compte qu’il ne s’agit que de films des années 1950…

Joe Dante | C’est ce que l’on m’avait demandé ! En fait, j’ai fait une retrospective à New York où je devais choisir un film en parallèle à chacun des miens, donc il y en avait un certain nombre. Ici, c’était différent puisque je devais en choisir cinq, des années 1950. Ce ne sont pas nécessairement mes préférés, mais il s’agit de très bons films cela étant dit.

On sait que vous êtes cinéphile. Est-ce qu’il y a une ère, une décennie qui vous a marqué ? 

Hum… Mes préférences ne proviennent pas toutes d’une catégorie en particulier. J’aime beaucoup de films des années 1930 – et de toutes les autres décennies en fait. J’ai beaucoup d’affection pour les films des 50’s parce que ce sont ceux de mon enfance, que j’ai vus pour la première fois quand j’étais gamin.

Je dirais que l’époque des années 1930 jusqu’au début des années 1970 était une grande période pour le cinéma. Et après ça, c’est un peu différent. À partir du moment où j’ai commencé donc [rires].

“Je pense qu’on a perdu la simplicité de ce qui faisait une histoire.”

Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qu’il vous manque, qui était présent à l’époque et qui n’est plus là ?

L’engouement des gens. Quand j’étais enfant, c’était un choix de vie que l’on faisait. Il n’y avait pas tant de choses que l’on pouvait faire. Télévision, sport, musique, radio et films, c’est tout. Maintenant, on peut faire des vidéos, jouer au jeux vidéo, et des centaines, des milliers d’autres choses que l’on peut faire, sur son portable ou autre. Les films forment encore une part importante de la vie des gens, mais elle est moins vitale qu’avant.

Vous pensez que cela a un impact sur les films à proprement parler ?

Bien sûr, ça a un impact sur les films qui sont faits et sur la façon dont ils sont réalisés. C’est complètement différent de l’époque où j’ai commencé. La manière dont ils sont financés, la manière dont ils sont filmés, le fait que ce soit maintenant numérique et qu’ils soient autant digitalisés. Il y a beaucoup d’effets spéciaux, bien plus qu’avant.

Mais les films sont censés raconter une histoire. Bien sûr, ce sont des objets faits pour stimuler notre imagination, des spectacles, mais il s’agit surtout selon moi de personnages. De ce que tu ressens à ce niveau-là, quand tu regardes un film. Bien trop d’histoires se noient dans des effets spéciaux, dans des combats affolants, des gens qui se tiennent à une main à un hélicoptère… Je pense que les gens s’ennuient en fait : ils sont tellement agressés par l’image et le son. Je pense qu’on a perdu la simplicité de ce qui faisait une histoire.

Est-ce que cela vous décourage parfois ?

Non, j’adore toujours aller au cinéma, j’adore toujours faire des films. C’est juste que le paysage cinématographique a changé et que le genre de films qui sont faits est différent. De même, les plans sont aussi plus courts. Les spectateurs attendent de fait plus de spectacle, au lieu de s’assoir et d’écouter pour recevoir une histoire. Cette vieille façon de faire, certains cinéastes le font encore. Martin Scorsese vient de le faire avec Silence. Mais ce n’était pas un succès dans le sens où les gens n’ont pas été assez réactifs à ce sujet. Ce qui est dommage je trouve, puisque c’est une manière très noble de vouloir raconter une histoire.

Comment faites-vous pour faire des films de nos jours, sachant tout cela ?

Je pense qu’il faut juste se faire à l’idée que le monde change. Le XXe siècle est fini. Et toute la façon dont on concevait le cinéma a changé – on ne sait pas encore en quoi, parce que cela évolue constamment. Regardez : la réalité virtuelle commence à gagner en importance.

C’est difficile de raconter une histoire avec la VR, parce que si tu ne peux pas retenir l’attention du spectateur et qu’il regarde ses chaussures, alors comment veux-tu faire ? Il y a des solutions évidemment, elles vont être trouvées mais les anciennes méthodes sont effectivement les anciennes méthodes. Je pense qu’elles sont géniales et j’adorerais les préserver mais le monde bouge et il faut le suivre.

J’aurais juste une dernière question, qui se raccroche à ce que l’on a évoqué : La Seconde Guerre de sécession [téléfilm politique de Joe Dante sorti en 1997, qui raconte une guerre civile guignolesque aux États-Unis, ndlr] a un certain écho avec l’actualité du moment…

Oui. Mais même à l’époque où on le faisait, on regardait les journaux et on se disait “Ah tiens, regarde, ce qu’on fait aujourd’hui pour le film est dans le journal”, parce que ces choses se produisaient, toujours. Je pense que personne ne réalisait à l’époque que ce film qui se déroule, je cite, “après-demain”, résonnait autant avec les problèmes politiques du moment.

Du coup, ce qui résonnait déjà comme quelque chose d’actuel à l’époque l’est toujours, surtout en ce qui concerne l’immigration. En outre, ce qui n’était qu’un problème américain à l’époque touche le monde entier maintenant. Je trouve ça incroyable et assez déprimant que le film soit aussi pertinent. Tu te rends compte : il est sorti en 1997 ! C’était il y a si longtemps. Parfois, sauf pour les tailles des télévisions et le fait que les acteurs ont vieilli, on a l’impression qu’il a été fait la semaine dernière.

Est-ce que vous le referiez aujourd’hui ?

Bien sûr. J’adore faire ce genre de films mais nous n’avons pas toujours la chance de pouvoir le faire. Ce n’est plus trop ce genre de films qui se font financer. C’est difficile.