Prix Nobel : le beau discours de Patrick Modiano devant l’Académie

Prix Nobel : le beau discours de Patrick Modiano devant l’Académie

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Par Eléonore Prieur

Publié le

Curieuse activité solitaire que celle d’écrire (…) Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. Et alors, la tentation est grande de revenir en arrière et de vous engager dans un autre chemin. Il ne faut pas succomber à cette tentation mais suivre la même route.
C’est un peu comme d’être au volant d’une voiture, la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité. Vous n’avez pas le choix, vous ne pouvez pas faire marche arrière, vous devez continuer d’avancer en vous disant que la route finira bien par être plus stable et que le brouillard se dissipera…

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“Un enfant de la guerre”

Dans une autre partie de son discours, il évoque sa naissance au lendemain de la guerre, et l’emprunte qu’elle a laissé sur son enfance :

Je suis comme toutes celles et ceux nés en 1945, un enfant de la guerre, et plus précisément, puisque je suis né à Paris, un enfant qui a dû sa naissance au Paris de l’Occupation. Les personnes qui ont vécu dans ce Paris-là ont voulu très vite l’oublier, ou bien ne se souvenir que de détails quotidiens, de ceux qui donnaient l’illusion qu’après tout la vie de chaque jour n’avait pas été si différente de celle qu’ils menaient en temps normal.
Un mauvais rêve et aussi un vague remords d’avoir été en quelque sorte des survivants. Et lorsque leurs enfants les interrogeaient plus tard sur cette période et sur ce Paris-là, leurs réponses étaient évasives. Ou bien ils gardaient le silence comme s’ils voulaient rayer de leur mémoire ces années sombres et nous cacher quelque chose. Mais devant les silences de nos parents, nous avons tout deviné, comme si nous l’avions vécu.


Patrick Modiano a également exploré le rapport entre le lecteur et l’auteur. Selon l’écrivain, il ne faut pas brusquer la lecture, pour que l’on puisse rentrer dans le livre à son rythme :

Oui, le lecteur en sait plus long sur un livre que son auteur lui-même. Il se passe, entre un roman et son lecteur, un phénomène analogue à celui du développement des photos, tel qu’on le pratiquait avant l’ère du numérique. Au moment de son tirage dans la chambre noire, la photo devenait peu à peu visible. A mesure que l’on avance dans la lecture d’un roman, il se déroule le même processus chimique.
Mais pour qu’il existe un tel accord entre l’auteur et son lecteur, il est nécessaire que le romancier ne force jamais son lecteur – au sens où l’on dit d’un chanteur qu’il force sa voix – mais l’entraîne imperceptiblement et lui laisse une marge suffisante pour que le livre l’imprègne peu à peu, et cela par un art qui ressemble à l’acupuncture où il suffit de piquer l’aiguille à un endroit très précis et le flux se propage dans le système nerveux.

L’écrivain recevra son prix des mains du roi de Suède mercredi 10 décembre. Comme tous les autres lauréats, il se verra remettre un diplôme et une médaille.
Article co-écrit avec Fanny Hubert.