On a rencontré Jazz Cartier, le petit bijou du rap canadien

On a rencontré Jazz Cartier, le petit bijou du rap canadien

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Par Sophie Laroche

Publié le

À 24 ans, Jazz Cartier est un rappeur canadien qui monte. À coup de trap et de paroles réfléchies, il a su séduire au-delà de son Canada natal jusqu’à se produire au Peacock Society Festival de Paris, le 17 février dernier. À l’occasion de sa tournée et de son futur projet Fleurever, le rappeur revient sur son parcours, ses influences, et sa personnalité multiple.

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Élevé par un beau père diplomate, Jazz Cartier, de son vrai nom Jaye Adams, a beaucoup voyagé durant son enfance. De la Barbade au Koweït en passant par de nombreux États américains, le rappeur a acquis une expérience de globe-trotter précoce qui marquera profondément son rap. S’il ne s’inspire pas directement des sonorités des pays visités, il confie avoir tiré parti de cette expérience pour forger sa culture et sa réflexion musicale, redécouvrant la collection de CD de sa mère dans l’Idaho ou profitant de ses journées sans musique au Koweït pour réfléchir à la sienne.

Au sortir du lycée, et alors qu’il est accepté au prestigieux Columbia College de Chicago, Jazz, fatigué par le dépaysement constant, décide de repartir pour sa ville natale : “Toronto, c’est la maison. C‘est une ville avec laquelle  je ressens une immense connexion spirituelle”, explique-t-il.

De retour sur place, il intègre la scène rap locale et sort trois mixtapes : Losing Elizabeth, Marauding in Paradise et Hotel Paranoia. S’il explique que la scène de downtown Toronto est riche, il y a peu de nouveaux talents qui arrivent s’imposer localement et internationalement. Fort du succès de sa deuxième mixtape, il devient l’homme à suivre et commence à être comparé aux plus grands. Dans son morceau “Talk of the Town”, ce dernier écrit d’ailleurs : “Tout le monde me compare à Drake.” Une comparaison inévitable avec l’artiste emblématique de la ville qui flatte le rappeur.

Gangster mélancolique

Toronto s’impose alors comme le décor principal des textes du rappeur. Un paysage urbain dans lequel évoluent et s’expriment ses personnages. De sa plume schizophrène naissent ainsi Jazz Cartier, qui lui donnera son nom d’artiste, mais aussi son alter ego truand, Jacuzzi Lafleur. Une manière pour lui de livrer plusieurs aspects de sa personnalité mais aussi d’éviter l’ennui :

“J’ai l’impression que cela serait ennuyeux si je parlais des choses à travers un seul médium. Si tu as différentes formes d’expression, tu seras toujours intéressant et c’est comme cela que je vois et que je crée ma musique.”

Au fil des textes et des mixtapes, il alterne entre Jazz et Jacuzzi. Alors que le premier est un personnage romantique et dévoré par l’anxiété qui trouve le repos dans les substances anesthésiantes – “Tellement de pilules dans le placard mais la vie est la plus dure à avaler”, balance-t-il dans “Guardian Angel” –, le second est sa version ultraconfiante et pas très honnête qui lui permet plus de futilité.

“Jacuzzi raconte un autre visage de Jazz qu’il est trop timide pour aborder”, analyse le rappeur.

Entre les deux, “c’est une bataille de tous les instants”. Si Jazz avait le dessus dans sa mixtape Marauding in Paradise, il s’efface dans Hotel Paranoia, sa dernier production.

Entre egotrip et conscience

Si le succès de Marauding in Paradise et ses tournées en Europe ont rendu le rappeur confiant et lui ont permis d’élaborer une écriture plus égotique, le doute continue d’imprégner son travail. De façon plus insidieuse, Jazz Cartier, raconte d’autres angoisses dans Hotel Paranoia :

“Je suis toujours préparé au pire. C’est pourquoi, c’est super important pour moi de laisser mon propre héritage, d’être retenu comme l’un des meilleurs. C’est ce qui me motive tous les jours, m’offre une raison de me réveiller. C’est la raison pour laquelle je suis ici à Paris. C’est un rappel constant à mon objectif.”

Le temps d’un morceau, le rappeur sait aussi surprendre en prenant une position politique. En effet, dans “Black and Misguided”, ce dernier prend du recul sur la situation de la communauté noire, lui qui a longtemps vécu aux États-Unis et qui explique avoir souvent été le seul enfant noir de la classe.

Pour lui, il était important “d’avoir un message” et de montrer qu’il a “un cœur et ne fait pas que parler de lui-même”. Ainsi, conscient du monde dans lequel il évolue, il cherche à montrer et dénoncer les stéréotypes qui pèsent en permanence sur la communauté noire en se demandant “comment peut-on attendre d’une personne qu’elle agisse d’une certaine façon si on la met dans une case avant même de la connaître ?

Des influences multiples

Parmi ses influences musicales, le rappeur cite Biggie, Tupac, Lil’ Wayne, Drake, Big Sean ou encore Outkast et Ludacris. Pourtant, s’il s’agit d’icônes hip-hop, Jazz affirme écouter le plus souvent d’autres styles de musique, ajoutant que s’il savait chanter, il troquerait sûrement le rap pour le R’n’B. 

La musique n’est cependant pas la seule forme artistique qui l’inspire. Ainsi, dans son écriture, Jazz fait références à de nombreux chefs-d’œuvre du cinéma, de la littérature mais aussi de la peinture d’Annie Hall à Fahrenheit 451. 

“La littérature, la peinture, les films et la mode sont super importants. Tout cela inspire la musique et vice-versa. J’ai l’impression que la plupart des rappeurs ne comprennent pas ce concept, ils ne font que rapper. J’essaye de m’inspirer des livres que j’ai aimé lire, des films que j’ai aimé voir ou des villes que j’ai visitées, afin de combiner tout cela dans une chanson. Si quelqu’un n’a jamais lu Fahrenheit 451, mais saisit la référence, il peut faire ses recherches, lire le livre et comprendre les paroles encore mieux, comme s’il s’agissait d’un apprentissage continuel.”

Un apprentissage par les paroles qui lui est cher puisqu’il est le genre de rappeur qui annote ses propres lyrics sur Rap Genius afin d’éclairer ses fans sur le sens de ces dernières et sur les références qu’il emprunte sans pour autant en dire trop et “laisser les gens découvrir par eux-mêmes”.

La suite ?

S’il touche un public de niche, Jazz a le sentiment d’avoir fait assez d’indie et à pour ambition de devenir un “artiste mainstream” avec un “succès mainstream”. Il prépare actuellement un album nommé “Fleurever”, qui sortira sûrement sous forme de mixtape sur Internet – à moins qu’il ne signe sur un label (rien n’est moins sûr, mais le rappeur ne s’est pas vraiment exprimé sur la question).

Et quand on lui demande comment il compte conquérir le monde, il répond : “En plantant des graines et en faisant pousser des fleurs partout sur mon passage.”