Le jour où Michael Jackson est devenu le roi du moonwalk

Le jour où Michael Jackson est devenu le roi du moonwalk

photo de profil

Par Théo Chapuis

Publié le

1. Une cérémonie attendue

Début 1983. Le légendaire label Motown, essoufflé par les années, cherche à retrouver sa cote d’antan et décide de provoquer une cérémonie pour l’anniversaire de ses 25 ans. Au programme, de nombreux artistes désormais indépendants venus rendre hommage en chansons à la maison de disques de Berry Gordy. Le plateau s’annonce somptueux : Stevie Wonder, Diana Ross, Marvin Gaye, mais également une réunion des Jackson Five avec leur frère Jermaine (resté chez Motown pendant que la fratrie déménageait chez CBS en 1975).
Les droits TV de la soirée sont vendus à NBC et ce gala vanté comme exceptionnel doit être tourné le 25 mars 1983 à Pasadena, en Californie, pour une retransmission à la télévision le 16 mai. Le show a de quoi mettre l’eau à la bouche : en plus des stars citées plus haut, on annonce également la présence de Lionel Richie et des Commodores, d’une réunion des Miracles, de Diana Ross et des Supremes… En tout, la cérémonie rassemblera 34 millions de téléspectateurs.

À voir aussi sur Konbini

2. Deux bons profs tombés dans l’oubli

Or, Michael a quelque chose en tête. Très vite, il demande une place pour un solo afin d’interpréter son second single issu de Thriller, “Billie Jean”. Mais le chanteur s’inquiète que le titre à la basse si ronde ne convienne pas au backing band de Motown et déclare qu’il “ne chopera jamais le groove” (il s’avère qu’il n’aura pas vraiment tort).
Finalement, il accepte et se met en tête de tout miser sur un pas de danse particulier : le backslide. Il s’agit en fait de la version prototype du moonwalk, dont Michael est loin d’être le premier interprète : la première apparition filmée de ce geste compliqué qui fait reculer son auteur tout en lui donnant l’impression d’avancer (ou l’inverse) remonte à une performance de Bill Bailey en 1955 (à voir ici, à la fin de la vidéo). Mais le mouvement a également été interprété par le mime Marceau, Cab Calloway, James Brown et même David Bowie, brièvement, dans une vidéo pour “Aladdin Sane”.
Si Michael Jackson prétendra dans son autobiographie avoir appris ce pas tout seul, simplement en regardant des gamins le pratiquer dans la rue, ce n’est pas très honnête de sa part. En vérité, ce sont deux jeunes danseurs qui lui apprendront : Casper Candidate et Cooley Jaxson. Michael aurait été marqué par le talent de leur performance lors de l’émission Soul Train de 1979, à voir ci-dessous.

La star leur fixe alors rendez-vous et passe cinq heures à discuter avec eux de cet unique mouvement, complètement obsédée par la fluidité de leur exécution. “Je n’arrive pas à le sentir !”, répétera-t-il tout en essayant de le reproduire. Pourtant, il finit bel et bien par maîtriser le mouvement… mais il ne créditera jamais ses deux mentors dans ses mémoires, eux qui ont pourtant passé leur carrière à rendre hommage à Bailey et James Brown. “On a fini invisibles, explique Cooley, mais on n’en a jamais rien dit”.

3. Un contrôle total sur la prestation

Comme Steve Knopper le raconte, Michael Jackson avait tout prévu. Une fois décidée la performance de “Billie Jean”, la production lui laisse un contrôle total sur la chorégraphie et la scénographie. “Personne d’autre ne travaillait avec lui”, raconte Suzee Ikeda, qui faisait le lien entre Motown et les frères Jackson. “Il a expliqué au réalisateur et à toute l’équipe comment il voulait la scène et quel type de lumières il souhaitait. Il leur a dit où mettre la poursuite –’Quand je tiendrai mon doigt comme ça…’ –les dirigeait sur ce qu’il voulait”.
Son assistant Nelson P. Hayes raconte qu’il lui fera répéter 20 fois le simple placement de son chapeau sur scène hors caméra – alors que c’était assez simple à réaliser, en fait.

4. Faire monter la pression

Le grand jour, les Jackson Five sont d’humeur conquérante. Ils livrent une performance endiablée et émouvante : “I Want You Back”, “The Love You Save”, “Never Can Say Goodbye”, “I’ll Be There”… le medley a de quoi convaincre les spectateurs nostalgiques de la formation. Sous les ovations, les Jackson Five quittent la scène mais Michael reste sur les planches.
Il garde le micro en main et entame lentement la transition avant son propre numéro. S’adressant au public en haletant, il débite de courtes phrases et ménage ses effets. La température monte peu à peu :

“Je dois dire que c’était le bon vieux temps. J’aime vraiment ces chansons. Ces instants étaient magiques. Avec tous mes frères. Même Jermaine. Ce sont de bonnes chansons, je les aime beaucoup. Mais j’aime surtout…”

Quelqu’un dans l’assistance n’en peut plus et hurle “Billie Jean !”. Pendant quelques secondes, Michael Jackson tient le public entre ses mains, et il le sait. “Il est Elvis Presley, conscient de son pouvoir”, écrit Steve Knopper. Les yeux plantés dans l’objectif de la caméra, il termine enfin sa phrase : “… les nouvelles chansons”.

5. Gérer comme un roi

Sous un tonnerre d’applaudissements, la batterie démarre et Michael ramasse alors habilement son feutre posé derrière lui. Le reste, c’est du talent à l’état pur, dont les premiers rangs ont sans doute dû recevoir quelques éclaboussures au passage : ses déhanchés maîtrisés électrisent l’audience, qui se lève dès que la basse entame ce riff si célèbre. Bras, jambes, hanches, mains… son corps se joue de la gravité et il n’y a que la médiocre qualité du playback qui viendra entacher cette performance devenue légendaire.
Puis il le fait. Le moonwalk. Et la foule exulte. “Pendant les répétitions, il ne l’avait jamais fait. Il ne l’a fait que pendant le spectacle”, se souvient Russ Terrana. Cet ingénieur du son vétéran de la Motown se trouvait alors dehors, en train de capter le live dans un camion technique hors de l’auditorium. Or, pas besoin de voir pour s’en souvenir, il suffisait d’écouter : il se souvient d’avoir littéralement entendu le public pulser de plaisir : “Mon équipe s’est demandé : “‘Mais qu’est-ce que c’est que ça ?’ On pouvait entendre les spectateurs crier “Aaaaawww !”
Dégustez ça juste ici :

6. Être adoubé par le patron

Le lendemain de la diffusion télé sur NBC, Michael Jackson reçoit un coup de fil de Fred Astaire lui-même. Le vieux danseur (84 ans en 1983) que toute l’Amérique aimait le félicite chaleureusement et lui dit :

“Tu es un sacré danseur. Mon pote, tu les as vraiment foutus sur le cul hier soir ! Toi, tu es un danseur en colère […]”

Michael déclarera plus tard : “C’est le plus beau compliment que j’aie jamais reçu de toute mon existence, mais surtout le seul en lequel j’aie jamais choisi de croire”. Selon la légende, sa première réaction après avoir raccroché le combiné a été de se précipiter aux toilettes pour vomir. Voilà.
Le livre de Steve Knopper, MJ : The Genius of Michael Jackson, est disponible en anglais par ici.