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Dear White People, une satire du racisme sous l’ère Obama

Dear White People, une satire du racisme sous l’ère Obama

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Par Constance Bloch

Publié le

Ce mercredi 25 mars sort en salles la savoureuse comédie Dear White People, qui raconte les tensions entre étudiants blancs et noirs sur le campus d’une université américaine. Une histoire tirée de l’expérience personnelle du réalisateur Justin Simien, que nous avons rencontré.

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Il n’était pas chose aisée de réaliser un film sur les relations contemporaines entre noirs et blancs aux États-Unis, sous l’ère Obama. C’est pourtant ce qu’a réussi à faire Justin Simien dans son premier long métrage qui remporte un large succès outre-Atlantique.

Prix spécial du jury au festival de Sundance de l’année dernière, Dear White People est une comédie satirique qui parle avec humour et beaucoup de franchise des liens et des conflits entre deux groupes d’individus à la couleur de peau différente au sein d’un campus universitaire. Le film choral suit les histoires de quatre étudiants noirs Sam, Coco, Troy et Lionel, qui se retrouvent confrontés à un milieu majoritairement composé de gens blancs.

Sam, la forte tête, est la voix d’une radio polémique sur laquelle elle prodigue des conseils à ses camarades à la peau claire : “Chers amis blancs, le nombre d’amis noirs qu’il faut avoir pour ne pas être considéré raciste vient d’être élevé à deux.” Coco est prête à tout pour devenir célèbre, et rêve d’être la star d’une téléréalité. De son côté, Troy semble être l’apollon sans histoires du campus, mais est en proie à de nombreux doutes, et enfin Lionel est gay, et a du mal à s’affirmer en tant que tel.

Choc de cultures

Tout au long du film, Justin Simien joue avec les caricatures et clichés raciaux pour mieux les détourner. Même si parfois on assiste à des situations que l’on aurait du mal à envisager, force est de constater que le réalisateur sait de quoi il parle. En effet, il s’est inspiré de sa propre expérience à l’université pour écrire Dear White People

J’ai toujours eu du mal à trouver ma place“, nous raconte le réalisateur dans un sourire. “Je pense que mon arrivée à l’université a été un vrai choc culturel, car j’ai été élevé à Houston au Texas, qui est une très grande ville. Au lycée, j’étais dans une section d’art où il y avait plein de gens différents, pas seulement par leur couleur, mais aussi par leur orientation sexuelle ou la diversité de leurs idées.” Et d’ajouter :

On était constamment en train d’explorer de nouvelles idées, on faisait du théâtre, de la comédie musicale… Alors passer de cet environnement culturel à celui d’une fac d’Orange County en Californie, ça m’a fait un choc.

Tiré à quatre épingles et un large sourire aux lèvres, le réalisateur de 32 ans nous fait sentir tout le long de notre entretien qu’il est heureux d’être là pour défendre son premier long métrage. “J’ai toujours voulu devenir cinéaste. Mais le lycée a été le déclic, quand j’ai commencé à étudier les œuvres de Bob Fosse, Sidney Lumet, Ingmar Bergman, Federico Fellini et tous les grands artistes, cinéastes et penseurs. C’est là que j’ai découvert quel genre de cinéaste je voulais être“, nous confie-t-il. Un cinéaste engagé, donc.

Ce projet, Justin Simien a mis du temps à en accoucher. Après ses études et avant d’entamer sa carrière de réalisateur, il a passé près de huit ans de l’autre côté de la barrière, à faire de la publicité et du marketing pour le cinéma. Tout cela, dans une stratégie bien précise : apprivoiser le milieu d’un autre angle.

J’ai fait mon premier stage dans la pub en sortant de l’école, car j’ai pensé que si je voulais faire un film d’art, dans une veine un peu indé, je devais apprendre comment faire pour les vendre au public. À cette époque, Focus Features prenait des histoires de gens en marge et les transformait en énorme succès commerciaux, comme Brokeback Mountain.

Je voulais comprendre comment ils faisaient ça. Le stage est devenu un job, et le job une carrière de huit ans. J’étais plutôt bon dans ce que je faisais, donc j’ai continué. Mais le soir et le week-end, je travaillais sur mes propres projets.

Une histoire personnelle

Le premier jet de ce qui deviendra Dear White People remonte à fin 2007. Au départ, il s’agissait surtout pour Justin Simien de compiler de nombreuses anecdotes et situations qui lui étaient arrivées, et que l’on retrouve d’ailleurs pour la plupart dans le film. Il raconte :

Pas mal de fois, les gens touchaient mes cheveux sans me demander, ou supposaient que je ne voulais pas participer à telle ou telle activité car j’étais afro-américain. Mais en parallèle, ils disaient que j’étais “blanc” car je m’exprimais d’une certaine façon, et que j’écoutais un certain type de musique. Donc le sentiment de n’appartenir à aucun groupe est une chose que j’ai expérimentée toute ma vie.

À l’université, lorsque j’évoquais des problèmes ou des discriminations raciales que j’avais subies ou auxquelles j’avais assisté, les gens levaient les yeux au ciel en me disant : “Ce n’est pas vraiment un problème, tu es juste dans la provoc’.” Les gens dénigraient le problème. Le film, à plein de moments, reflète des situations qui me sont vraiment arrivées.

Pour explorer au mieux toutes les thématiques qui lui tiennent à cœur, le réalisateur décide de simplifier le scénario et de ramener les huit personnages principaux d’origine à quatre. Quatre personnages qui doivent chacun faire face à leurs propres difficultés, qui tournent toujours autour de l’identité. Et pas seulement l’identité liée à leur ethnie, mais également à leur sexualité, à leurs relations ou à leur appartenance sociale.

Pour moi, ces quatre héros sont un équilibre entre différents points de vues, et également des personnages sous-représentés dans les films. On voit souvent des personnages blancs ou noirs, mais leurs personnalités sont-elles vraiment creusées ?
On ne voit jamais des personnages à la fois black et gay, et quand il y a des héros comme Troy, beaux, plein de réussite, populaires, ils ne sont jamais compliqués. J’ai cherché à raconter des histoires qui sont souvent absentes des récits ou de notre culture.

Sous l’ère post-Obama

A travers les histoires croisées de ces quatre étudiants très différents les uns des autres, Justin Simien aborde très frontalement la question de la place des Afro-américains dans une ère post-Obama, dans laquelle beaucoup de gens pensent que les problèmes liés au racisme relèvent désormais du passé.
Je pense qu’il y a un déni qui a suivi l’élection de Barack Obama. Les gens pensaient que parce qu’il y avait un homme noir à la tête du pays, il n’y avait plus aucun problème de racisme aux États-Unis”, explique le réalisateur. Et lorsque l’on évoque les évènements de Ferguson qui ont secoué le pays tout entier, c’est avec une tristesse non dissimulée que Justin Simien répond :

C’est triste qu’il faille des tragédies pour que les gens se rendent compte qu’il y a un problème. Il faut arrêter de croire que c’est acquis. J’espère que les Américains n’oublieront pas, qu’il ne faudra plus d’évènements comme ça pour qu’ils se réveillent. Un an, dix ans ou vingt ans… ça va prendre du temps pour qu’il y ait de vrais changements dans notre société.

Le rire comme arme

Pour participer à éveiller les consciences, le réalisateur a donc choisi de faire rire. Un humour satirique et grinçant qui vise à faire passer des messages, et surtout à ce que les spectateurs s’en souviennent. “Je pense que l’humour est une bonne façon de commenter la société“, analyse Justin Simien. “Quand on rit de soi-même, on réalise des choses que l’on aurait peut-être pas cherchées à comprendre autrement.
Il poursuit :

Par exemple, vous connaissez le film Docteur Folamour ? [Oui] Vous connaissez le film Vu du Pont ? [Non]. Exactement. Les deux parlent de la même chose, et sont sortis presque en même temps. Mais l’un est une comédie et l’autre un drame. Je pense que c’est assez puissant.

Si Dear White People prend pour décors les murs d’une grande université américaine, les histoires qu’il raconte auraient pu se dérouler n’importe où. “Winchester est juste un microcosme comme un autre, Winchester est comme un pays, n’importe quel pays avec des gens ambitieux qui essaient de faire leur trou dans la société“, explique le réalisateur. Winchester aurait donc pu être Hollywood ? “Exactement.
Car il faut dire qu’à Hollywood justement, la diversité n’est pas vraiment de mise. Ainsi, depuis le début de la carrière de son film en salle, Justin Simien ne cesse d’être comparé à Spike Lee par les journalistes. Une comparaison flatteuse au premier abord, bien sûr, mais surtout “paresseuse” comme le souligne le réalisateur. “C’est le seul autre réalisateur noir, c’est pour ça (rires). Puis, reprenant un peu de son sérieux : “La comparaison est là car nous sommes noirs, et que nous racontons des histoires à propos de gens noirs.

Il y a encore beaucoup de choses à faire changer, que ce soit devant ou derrière la caméra pour les blacks. Les gens ont fait tout un foin autour de Selma [un film sur Martin Luther King, ndlr] pour les Oscars, mais qui compose l’académie, qui vote ? Des hommes blancs. Donc si on veut que ça change, on a besoin de plus de femmes et de gens de couleur.

Cette première réalisation fait office de manifeste pour un cinéaste ambitieux qui veut que les choses changent, et qui participe à faire évoluer la réflexion collective. “Le cinéma n’est pas le format pour les réponses. C’est celui de la réflexion et des questions.” Et il n’est pas prêt d’arrêter d’en poser, puisqu’il s’apprête à refaire vivre ses Dear Black People sous forme de série télévisée.