Jungle : “Le moment semblait venu de raconter notre vraie vie”

Jungle : “Le moment semblait venu de raconter notre vraie vie”

photo de profil

Par Thibault Prévost

Publié le

Après un premier album formidable, le collectif Jungle revient avec For Ever, un nouvel album proclamé autobiographique. Rencontre.

À voir aussi sur Konbini

En 2013, sans prévenir ou presque, la pop féline de Jungle débarquait dans nos enceintes waterproof à la faveur du bouche-à-oreille algorithmique de YouTube avec un titre, “Busy Earnin”, qui fleurait bon l’hédonisme et les soirées piscine. La suite ? Un album, Jungle, à la prod soignée comme une robe haute couture, des clips lascifs ravalés au fluor et deux ans de tournée planétaire planqués derrière des initiales cryptiques et des nébules artificielles.
Le 14 septembre 2018, James Lloyd-Watson et Tom McFarland, les deux hémisphères londoniens du collectif, révèlent au monde leur second album, For Ever, après trois titres distillés au printemps. En attendant d’avoir la galette dans les oreilles, nous rencontrions en juillet le premier cité pour parler anonymat, célébrité et quête de légitimité artistique.
Konbini | Votre second album, For Ever, sort le 14 septembre. Cette fois-ci, il y a beaucoup d’attentes de la part de la critique et du public. Est-ce que la pression vous a dérangés ?
James Lloyd-Watson | Un petit peu, au début. La seule pression que l’on ressent, elle est par rapport à nous-mêmes. C’est important, en tant qu’artiste, d’essayer continuellement de s’améliorer. On se demande : “Suis-je bon ? Puis-je être encore meilleur ?” C’est plus sain.
Lorsque vous avez éclos, en 2013, vous restiez sous les radars en déguisant vos noms derrière des initiales, et en 2018 on vous voit jouer dans vos clips ! Est-ce que vous avez gagné en confiance, du coup ?
Oui, absolument. C’est une progression naturelle. Sur le premier album, nous étions jeunes, naïfs, peut-être un peu autocentrés, comme tout le monde l’est à 21 ou 22 ans. Mais voir tous ces gens apprécier notre musique, au niveau émotionnel, nous donne suffisamment de confiance pour penser que les histoires qu’on raconte sont légitimes.
Vous vous sentez légitimes ?
Oui. Et notre public a été tellement généreux qu’on se dit qu’on doit lui dévoiler notre personnalité. On se sent plus forts pour raconter nos histoires. Un de nos mantras, dans le groupe, c’est “reste sur Terre”, car nous avons beaucoup de chance d’être là, et peut-être que ça ne durera pas. Et si nous pouvons encourager des gamins à prendre une guitare, un piano ou micro, alors on n’aura pas fait ça pour rien.

Vous avez pu émerger en restant anonymes grâce à Internet et sa viralité, et en même temps ce sont les internautes qui ont enquêté et découvert vos vrais noms. Regrettez-vous cette période d’anonymat ?
On ne la regrette pas. On s’est cachés parce qu’on voulait faire en sorte qu’il n’y ait que la musique. Beaucoup d’artistes aujourd’hui ont un site, un Facebook, un Instagram… mais pas de chansons. Quel est le but ? Il ne s’agit pas seulement d’être célèbre, il s’agit d’être célèbre pour ce que tu fais. Et aujourd’hui, la ligne entre succès et célébrité est très floue.
Mais Internet, c’est génial. Notre musique a traversé la planète en un instant grâce au streaming – par exemple, on a des millions de streams à Mexico – et ça, ça n’aurait jamais été possible il y a vingt ans. Il aurait fallu envoyer les CD et prier pour que certains disquaires les passent, puis les vendent. Nous sommes un produit d’Internet.
Après l’album, ce sont vos performances live, dans lesquelles vous jouiez cachés par un nuage de fumée, qui vous ont fait remarquer. Est-ce que vous allez réutiliser cet artifice, ou abandonner pour de bon le camouflage ?
La scène doit être un espace théâtral. Les lumières, les visuels… pour nous, c’est un tout. Parfois, oui, il faut se dévoiler à son public. Et ça va se produire de plus en plus, car ce second album est beaucoup plus autobiographique. Cette fois-ci, on va vraiment essayer de lier notre public à nos histoires.
En 2014, vous déclariez au Guardian que votre musique était imaginaire. Au printemps, vous expliquiez que “House in LA” était la chanson la plus difficile que vous ayez jamais écrite. Doit-on en conclure que ce prochain album sera plus autobiographique et réaliste ?
Oui, car désormais nous savons que nous possédons une plateforme pour raconter. Dans le premier album, on racontait des rêves sur une musique qui, pour nous, ressemblait à une bande-son de jeu vidéo. On imaginait des lieux fantastiques, imaginaires, où l’on n’avait jamais été.
On s’est beaucoup inspirés de GTA, Hotline Miami, des mondes ouverts où on peut se balader… On n’avait pas beaucoup voyagé à cette époque. Maintenant qu’on a vu ces endroits qu’on imaginait, qu’on a vécu ces expériences culturelles, émotionnelles – avoir des amants, les perdre –, le moment semblait venu de raconter notre vraie vie.

Vous avez également dit récemment que vous vous êtes sentis “pris au piège par le succès du disque”. Pourquoi, et comment vous en êtes-vous extirpés ?
Parce que ça fait peur ! Quand tu regardes en arrière, et que tu te dis que tu es devenu une entité reconnue mondialement… C’est fou. On a démarré de manière si petite, sans jamais penser que tout cela nous arriverait…
Le groupe est devenu trop gros, en quelque sorte ?
Ouais, presque. Il a fallu intégrer, assumer le fait qu’on allait devenir des role model pour certaines personnes. Mais au fond, c’est bien, car ça nous oblige à nous concentrer sur le fait d’être de bonnes personnes, de bons artistes. On essaie de rester honnêtes. Ensuite, la question c’est de comment arriver à garder le cœur sur la main sans que des gens profitent de nous. C’est difficile de réaliser que désormais, potentiellement, tout allait changer. On avait peur que notre sincérité soit attaquée.
D’après vos propos, il semble que vous soyez passés d’une “simple” recherche de son à une quête, plus complexe et profonde, de sens. Qu’est-ce qui a changé dans l’attitude, l’identité du groupe, entre ces deux albums ?
Nous avons beaucoup grandi en tant que groupe, et nous aimons nos histoires. Et sur scène, l’environnement est différent. Avant, on montait sur scène en s’attendant à être critiqués – c’est dingue comme manière de penser ! Si les gens sont là, c’est qu’ils veulent entendre ta musique… L’humain est ainsi fait, on s’évalue toujours à l’aune de l’opinion d’autrui. Comprendre et accepter, enfin, que les gens voulaient nous connaître, a été libérateur pour nous.
En fait, vous avez mené une quête de légitimité. Avec succès.
Exactement, oui.