Marion Maréchal-Le Pen démolie avec humour dans un faux journal intime : “Elle va pleurer”

Marion Maréchal-Le Pen démolie avec humour dans un faux journal intime : “Elle va pleurer”

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Par Théo Mercadier

Publié le

Josselin Bordat nous explique comment il a écrit Papy, Tatie et moi : Le Faux carnet secret de Marion Maréchal, dans lequel il raconte avec humour l’enfance et la carrière de la députée FN.

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“Le roi du lol”, c’est ainsi que Le Point a un jour décrit Josselin Bordat. À vrai dire, après avoir passé une heure à se bidonner sur son Papy, Tatie et moi – Le Faux carnet secret de Marion Maréchal (Flammarion), on est bien forcé de lui donner raison.

Bulletin scolaire, lettres d’amour à Éric Zemmour, Snaps à l’Assemblée nationale… les “pièces d’archive” s’enchaînent et dessinent le portrait d’une personnalité radicale et politiquement dangereuse, qu’il est toutefois possible de démonter à grands coups de pelle humoristiques.

Qu’est-ce qui a poussé Josselin Bordat à publier ce livre ? Sans doute une alchimie parfaite entre son passé d’universitaire spécialiste de l’extrême droite à Science-Po et son statut de cofondateur de Brain Magazine. C’est cette expérience du Web qui lui permet aujourd’hui de développer des formats de satire politique nouveaux (le livre est accompagné de vidéos et d’un compte Snapchat dédié), à l’image de ce petit bonbon engagé. Interview.

Konbini | Pour commencer, pourquoi faire un focus sur Marion Maréchal-Le Pen et pas sur sa tante ? 

Josselin Bordat | Parce qu’elle est plus bonne que la plus bonne de tes copines du FN bien sûr. Même Nekfeu la veut. Plus sérieusement : dans la mesure où le Front national ligne Marine Le Pen/Florian Philippot avance depuis quelques années masqué (si ça continue à ce rythme-là, ils auront bientôt un stand de cookies à la fête de l’Huma), et qu’il ne souhaite plus du tout dire ce qu’il pense vraiment, je me suis dit qu’il pourrait être marrant d’écrire un carnet secret de Marion Maréchal, dans lequel elle se lâcherait et dirait tout bas ce que son parti pense tout bas.

Le personnage de Marion est particulièrement adapté pour ça, car c’est l’héritière de la ligne hardcore de papy Jean-Marie et de la part inchangée du parti. Ces gens et ces idées existent, ils n’ont pas disparu du jour au lendemain, comme par magie juste parce que Philippot est hétéro-flexible et chevènementiste (dans cet ordre). Et sans rire, on peut penser que c’est elle, peut-être davantage que Marine, qui peut représenter un danger réel pour le futur : une belle gosse hyper entraînée aux exercices médiatiques et candidate trop kawaii déjà adoubée par tous les Philippe de Villiers, Patrick Buisson et Éric Zemmour qui squattent les ondes H24, ça vous dit pour 2022 ? Moi bof.

Tu as dû lire et regarder des tonnes de trucs sur Marion Maréchal-Le Pen pour sortir ce livre. Comment tu t’es organisé pour le travail de recherche ? Ça t’a coûté sur le plan psychique ?

[Rires] En fait, j’avais déjà commencé à bosser sur elle pour un précédent bouquin, il y a deux ans, qui s’appelait La Politique pour tous. Je dois être la personne au monde qui a maté le plus de photos de Marion Maréchal (après elle, bien sûr). À un moment, j’ai cru que j’allais me mettre à loucher. Le livre se présente comme un bouquin d’humour et comme un journal d’adolescente, mais en fait il reprend absolument tous les aspects du programme spécifique de Marion Maréchal point par point, que ce soit sur les questions sociales, religieuses, économiques, etc.

En y ajoutant, évidemment, un certain nombre de choses qui viennent du corpus de l’extrême droite plus classique, ou de Marine Le Pen, ou même d’Éric Zemmour, puisque je leur invente une histoire d’amour. C’est un bouquin d’humour qui se veut aussi, à son niveau, un bouquin d’intervention politique : faire rire tout en essayant, en toute modestie, de vitrifier systématiquement tous les aspects du programme et de la personnalité publique de la future chef du Rassemblement Bleu-Marion.

Tu fais le pari (assumé) d’écrire dans un style résolument caricatural. C’était obligé ? Elle t’y a obligé ? 

Je vois pas les choses comme ça. La plupart du temps, il suffit de réécrire ce qu’elle dit pour être caricatural, tant certaines de ses déclarations sont drôles en soi. Dans le bouquin, il y a des moments où on force le trait mais c’est toujours pour dire quelque chose. La fonction de la caricature c’est de forcer le trait, pour que ça ressemble presque plus à la réalité que la réalité elle-même.

Par exemple, si j’imagine dans le livre qu’elle est présidente en 2022, c’est pour désigner le danger, selon moi réel, d’une recomposition de la droite nationale autour d’une candidate jeune et charismatique qui fasse sauter le “plafond de verre” auquel se confronte encore — on l’a vu aux dernières régionales — le FN de Marine Le Pen.

On dit du FN qu’il est LE parti populiste français, or on ne croise pas une seule fois la figure de l’électeur à la lecture du journal. Le FN ne sert-il que lui-même ?

C’est assez logique, puisque Marion Maréchal-Le Pen est par excellence le type même de la politique hors-sol, fruit du népotisme le plus pur : une “petite-fille de” qui a été parachutée à 22 ans [en tant que députée du Vaucluse, ndlr], après à peine 1,3 année de droit, juste parce qu’elle s’appelait Le Pen. Elle a été implantée de manière totalement artificielle en récitant ses éléments de langage, et la sociologie électorale et l’implantation du FN dans la région P.A.C.A. ont fait le reste.

C’est normal que tu ne rencontres pas beaucoup d’électeurs dans le livre, parce qu’elle non plus n’en a pas rencontré des masses. Avec elle, le FN a inventé un nouveau type de parachutage. En général, les politiques sont parachutés géographiquement. Elle, elle l’a été biologiquement.

Imaginons un instant que le livre finisse entre ses mains : elle se tape des barres ou démontre une inaptitude totale à l’autodérision ?

En fait, quand j’écrivais le bouquin je me disais à chaque page : “Si elle sourit en le lisant, t’as raté ton coup“. Il faut qu’elle l’ouvre… et qu’elle pleure, tout simplement. D’ailleurs, elle va pleurer.

Tu la montres assez naïve. Est-ce que ça peut pas desservir l’objet du livre, en la dédiabolisant ?

Je pense justement le contraire. C’est une figure qui jusqu’à présent n’a pas été assez, voire pas du tout, attaquée et moquée. Dans le bouquin, elle n’est pas tout le temps gourde et innocente. À des moments, elle est aussi manipulatrice, menteuse et intelligente. Je pense que c’est un personnage politique qui est à la fois une marionnette (oui, jeu de mot) mais c’est aussi quelqu’un qui incarne des idées réelles.

Le danger qu’il y a autour de Marion Maréchal-Le Pen c’est pas seulement elle — on s’en fout, à la limite, qu’elle soit capable de bien réciter les fiches qu’on lui a préparées. C’est un bouquin qui s’inquiète beaucoup plus de la coalition qui pourrait se former autour d’elle — avec Buisson, Villiers, Valeurs Actuelles — plutôt que de savoir si elle est naïve ou pas.

Justement, à propos de cette fachosphère, tu les incarnes avec une telle justesse qu’on pourrait presque les reconnaître sans que leur nom soit annoncé. Comment t’as fait pour te mettre à ce point dans leur peau ?

Il y a eu un gros boulot de la part de l’illustratrice et maquettiste, qui est vraiment géniale, Laura Acquaviva. Elle a notamment été capable d’inventer les écritures de Marion, de Zemmour, de Robert Ménard… On a voulu qu’il y ait un réalisme photographique dans les documents collés dans le carnet. Au niveau du style, c’est pas très difficile : on est tellement bassiné par la rhétorique lepéniste depuis 40 ans et de Zemmour tous les matins sur toutes les ondes, que j’ai pas trop eu besoin de me forcer. C’est malheureusement, en partie, le style dominant de l’époque.

Pour finir, il y a un truc qui m’a complètement tué dans le livre : c’est le Jeu de la Dinde. Tu peux nous raconter un peu comment tu l’as pondu ? 

Le Jeu de la Dinde est une parodie de jeu de l’oie anti-féministe, qui vient d’une espèce d’effroi. Mon effroi devant le succès médiatique de nouvelles ou anciennes figures comme Eugénie Bastié et autres Élisabeth Lévy. Malgré leurs différences, elles ont des convergences idéologiques objectives avec Marion sur leur vision de la femme.

Je me suis dit que ça serait marrant de les imaginer entre copines, en réunion Tupperware, en train de jouer à ce jeu de leur invention. En gros, c’est le jeu de toutes les dindes réac médiatiques d’aujourd’hui qui n’ont pas compris que si elles ont la possibilité de s’exprimer librement et de raconter absolument n’importe quoi, c’est précisément grâce au combat des féministes qu’elles déshonorent à longueur de pages et d’éditos.

Pour vous faire une petite idée sur le bouquin, voici quelques morceaux choisis :