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Jeunesse sonique : l’adolescence musicale de FKJ

Jeunesse sonique : l’adolescence musicale de FKJ

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(© Juliette Gouret)

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Par Arthur Cios

Publié le

Alors que vient de sortir son sublime premier album, on a retracé avec FKJ les chansons qui ont accompagné l’artiste durant son enfance.

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Les klaxons et bruits de moteur qui résonnent dans les larges artères de la porte de Clignancourt génèrent un vacarme conséquent, foncièrement plein de vie. La Recyclerie, bar alternatif juste en face d’une des sorties du métro, ne déroge pas à la règle. Quand on rejoint Vincent Fenton, plus connu sous le nom de FKJ dans une salle au fond de l’endroit en question, l’ambiance est bien différente. Posé sur un canapé en cuir entre deux plantes vertes, l’artiste français est, comme à son habitude, posé et particulièrement calme.

Nous sommes sa dernière interview de la journée. Et pour le petit génie du label Roche Musique, très discret de manière générale, cela est parfois difficile. Il expliquera par la suite ne pas aimer se mettre trop en avant. Sortie d’un premier album très attendu oblige, le jeune homme joue le jeu et se délivre néanmoins.

Le jus de kiwi français (FKJ signifie “French Kiwi Juice”) est un mystère, un multi-instrumentiste jouant des codes comme pas deux, allant du jazz au hip-hop et à la soul, avec des pointes de house. Et son album, intitulé justement French Kiwi Juice, est une démonstration de force très convaincante.

Connaissant la beauté de sa musique mais très peu son parcours, nous avons souhaité le soumettre à notre Jeunesse sonique. Ce format permet de mieux cerner l’environnement musical dans lequel Vincent a grandi, et ce qui l’a bercé, ce qui l’a construit. Entretien où l’on passe de Django Reinhardt à Dr. Dre sans trop de difficultés.

1. Sans mentir, c’est quoi le premier disque que tu as acheté ?

Dr. Dre, The Chronic 2001. Quand c’est sorti, j’avais 11 ans et c’était le premier CD que j’ai acheté.

T’écoutais beaucoup de rap à l’époque ?

Ouais, beaucoup. Beaucoup d’hip-hop aussi. C’est vraiment une grosse influence pour moi. De 9 à 14 ans, c’était ma grosse période hip-hop.

Ça t’est venu comment ?

Je pense que c’est venu beaucoup de la radio, Skyrock notamment. À l’époque, c’était pas ce que c’est maintenant et je me rappelle que la radio m’a beaucoup influencé. Je me souviens de journées entières où j’attendais un titre, et dès qu’il passait, j’enregistrais. Mais je pouvais attendre des heures. C’était pas comme aujourd’hui où Internet existe.

J’écoutais beaucoup la radio. Skyrock, Radio Béton aussi, qui est une radio de Tours [là où il a grandi, ndlr] qui était hyper diversifiée, qui passait beaucoup de choses. Après, j’ai écouté d’autres radios plus tard, Jazz Radio, puis il y a eu Nova qui est arrivée à Tours… Mais voilà, quand j’étais gamin, c’était Skyrock. On est tous passés par là, non ? [rires]

On est tous passés par là !

Mais à l’époque, c’était bien ! À l’époque, il passait beaucoup de bonnes musiques.

2. Est-ce qu’il y a un truc que tes parents écoutaient, que t’aimais pas et que maintenant t’aimes bien ?

Non, j’ai toujours aimé ce que mes parents écoutaient et je pense que les CD de mes parents sont une plus grande influence encore que la radio. C’est comme ça que j’ai commencé à découvrir plein de choses. Ils écoutaient de la musique des années 1970, du Pink Floyd, du Police, du Queen, du Led Zep, du Gainsbourg et des trucs plus français aussi mais principalement anglophones quand même parce que mon père est néo-zélandais. Après, il y avait pas mal de disques de jazz qui traînaient, du Django Reinhardt, des Coltrane, des Miles Davis, que j’écoutais aussi. Ils avaient vraiment beaucoup de CD.

C’est eux qui t’ont un peu donné cette passion pour la musique ?

Je pense que le fait qu’il y ait cette collection de CD a été en réalité mon premier pas là-dedans, effectivement. C’était ça, c’étaient les albums de mon père surtout. Après j’ai commencé à en faire…

T’as fait de la guitare dès tes 11-12 ans, non ?

12-13, ouais. C’était de mon côté, avec la guitare de ma sœur, je lui ai pris parce qu’elle ne l’utilisait plus, enfin plus à cette période en tout cas. Donc j’ai commencé en regardant les tablatures qui me faisaient kiffer dans ces albums-là.

Tu te souviens du premier morceau que t’as appris ?

Je crois que c’était pas un morceau, juste deux accords que ma mère m’avait appris : “Voilà, ça c’est un mi mineur, ça un la mineur, tu peux enchaîner les deux.”

Donc t’as commencé sans aucune base de solfège ? Parce que tu joues de plusieurs instruments maintenant ?

Non mais je n’en ai toujours pas. Mais pour la guitare, c’est pas forcément obligatoire. Après ça, mes parents nous ont offert un petit synthé, avec très peu de sons mais c’était pour commencer. Du coup, j’ai transposé la guitare dessus et j’ai appris le piano comme ça. Puis après, j’ai appris tous les autres instruments, la basse parce que je savais jouer de la guitare, le saxophone parce que j’en avait fait quand j’avais 7 ans…

Ah, donc t’as pris des cours plus jeune !

J’en faisais comme on fait du sport en fait, comme tu fais une activité d’enfant, un peu candidement. “Tu veux faire quel instrument ? Oh je sais pas, du saxophone.” Et j’en ai fait mais le rap m’a rattrapé et j’en avais plus rien à foutre. Après un an et demi, ça ne m’intéressait plus du tout. Mais quand je l’ai repris 10 ans plus tard, j’avais encore les bases. Donc c’est pour ça, quand on me demande mon premier instrument, je ne dis pas le saxo parce que c’était pas vraiment une approche musicale, plus une activité de gosse. Et qui du coup est très présente, que j’exploite à fond.

3. Est-ce qu’il y a un album ou un artiste qui t’a donné envie de composer, ou d’écrire ?

Il y en a pas. J’ai jamais été fanatique d’un artiste. C’est vraiment un ensemble de genres et d’artistes. À l’époque où j’ai commencé la guitare, j’écoutais pas les mêmes trucs que j’écoute maintenant donc… Je reprenais du Ben Harper, du Red Hot, du Pink Floyd, du Led Zep.

Maintenant j’en écoute beaucoup moins. J’écoute plutôt ma discographie à moi, celle que je me suis construite et plus celle de mes parents, donc plus de la soul, du funk, du gospel, du hip-hop, puis beaucoup plus tard de la musique électronique.

Au milieu de mon adolescence, j’étais vraiment à fond dans la musique jamaïcaine. J’en ai hérité ma coiffure, tu vois. C’est plein de styles et d’artistes que j’ai mélangé dans ma musique. C’est pour ça qu’il y a autant de références. Certains disent que c’est du jazz, d’autres de la funk, d’autres de la house, d’autres du hip-hop.

Et quand t’as commencé à composer, c’était vers quel époque ?

Mes premiers morceaux ? J’avais 14-15 ans je pense, mais c’était des morceaux à la guitare, des enchaînements de guitare. Après, j’ai demandé à mes parents une mini carte son et un logiciel pour enregistrer tout ça. C’était très simple au départ, deux/trois accords, moi j’étais content, je pensais que j’étais le seul à les avoir enchaînés comme ça.

Et puis plus tard, j’ai eu des mélodies. Et je pense que c’est là que tu commences vraiment à composer, c’est pas quand tu fais des copier-coller de trucs que tu connais mais quand il y a quelque chose en toi, vraiment, qui sort. Ce qui est le cas pour mon album et depuis pas mal de temps, des trucs qui sortent et tu ne sais pas comment ni pourquoi. Quand tu fais des choses qui n’ont souvent rien à voir de la musique. Ça arrive quand t’es en train de conduire en scooter, quand t’es dans l’avion, sous ta douche.

Et ton projet FKJ est né quand ?

Il est né il y a 3-4 ans, quand j’allais sur mes 23 ans. Entre temps, il y a eu plein de choses. À 15 ans, j’ai commencé à composer avec un clavier en plus, à séquencer des rythmes sur logiciel, ça c’était pendant mon adolescence. Donc quand j’ai commencé FKJ, j’avais déjà de l’expérience en temps que producteur. Je jouais pas mal d’instruments, en tant que “bedroom producer” sur SoundCloud. Je pense que j’ai senti que j’avais trouvé ma patte avec FKJ, même si la patte change, dans le sens où ce que je faisais au début ne ressemble plus du tout à ce que je fais maintenant.

T’avais l’impression d’aller dans quel direction quand t’as démarré ce projet justement ?

Je m’étais un peu dit que la musique que j’aimais faire, c’est la musique qui me plaisait. C’est con mais voilà, quand je trouvais qu’un morceau était beau, c’est ce que je voulais faire. Je voulais pas un morceau qui tape, qui danse, un truc mononote. J’aimais bien les belles mélodies, c’était ça que je voulais faire comme musique. Et c’était vers ça que je voulais me diriger pour FKJ, du groove, du beau groove. Mais le groove a toujours été quelque chose que j’aime beaucoup. Quand les gens me demandent ce que je fais, je leur dis que je fais du groove. C’est plus simple.

4. Est-ce que t’avais un “guilty pleasure” quand t’étais au collège/lycée ?

Je pense pas non. Je crois que j’ai toujours assumé… Bah, un truc moins musical que j’écoutais beaucoup quand j’étais ado, c’était du dancehall, ce que beaucoup de gens détestent. Moi, je trouve qu’il y avait un truc rythmique très cool, que j’assume totalement et que tu peux retrouver dans ma musique d’ailleurs. Tu regardes les rythmiques de mes musiques, c’est toujours “pom pom pom, blanc, pom pom pom, blanc”. Et ça c’est du dancehall, c’est pas du binaire. Et c’est quasiment toujours la même chose.

C’est marrant toutes ces influences mais tu ne t’es jamais dit que tu voulais faire un morceau uniquement de jazz ou de soul ou d’un autre style ?

Non, non, non. J’aime pas, je trouve ça chiant de se donner des lignes directrices. Si t’écoutes l’album, tu vois qu’il n’y a pas du tout de style, chaque morceau est d’un style différent, même si le groove reste. Toujours le groove. Mais non, moi ça me fait kiffer de faire ce que j’ai envie de faire le jour J. Genre, ce jour-là, je vais faire ça, le lendemain, je sais pas, je suis triste et je fais autre chose.

Il a mis combien de temps à se faire, cet album ?

Je sais pas, le dernier EP est sorti il y a 2 ans et demi donc voilà. J’ai commencé à bosser dessus à ce moment-là.

Tu fais partie de ce genre d’artistes qui compose une soixantaine de morceaux pour en sélectionner 10.

Ouais, ouais, j’ai dû en faire une centaine et j’ai vraiment choisi mes 12 petites histoires préférées de ces deux dernières années. J’ai gardé quelques trucs pour mon prochain album, que j’ai déjà commencé et y en a beaucoup que je ne vais jamais sortir, mais c’est pas grave.

T’es prolifique en fait.

Ouais, c’est plutôt que j’aime pas rester trop longtemps sur un morceau. Ça devient trop de travail, c’est plus kiffant. Ce qui est génial, c’est d’en composer plein, tous les jours. Pour ceux-là dans l’album, j’y ai passé du temps, et c’était chiant. Parce que pour l’album, il faut être perfectionniste, j’aime bien quand tout est au poil.

Donc en fait, c’est plus sur la post-prod que j’ai passé beaucoup de temps, sinon pour la conception, j’essayais d’y passer le moins de temps possible. Ce qui me prend beaucoup de temps, c’est qu’il faut qu’il sonne comme je veux. Qu’il soit puissant, qu’on entende toutes les fréquences. Quand je le commence, j’essaye de le finir dans la structure le jour-même où je l’ai commencé.

Il y a trucs que j’ai trouvé hyper cool et assez audacieux, c’est d’avoir repris “Lying Together” et d’avoir fait un prélude. Donc tu t’es replongé dans un morceau que t’as fait il y a 3 ans, en bossant à retrouver ce même son, cette même voix…

Je voulais absolument mettre ce morceau sur un support, parce que c’est un peu le morceau qui a démarré tout. Et du coup, il compte vraiment. Et il était sur aucun support, il était sur aucun EP, aucun vinyle, c’était un morceau comme ça. Et là, je me disais que ça faisait sens de le mettre sur l’album mais je voulais mettre un petit plus dessus. C’est un titre que j’ai toujours remixé en live de 1000 manières différentes, donc j’ai voulu le remixer en studio pour l’album.

Je repense à ce que tu disais tout à l’heure sur le fait de tout faire, d’infuser tes influences, etc. Mais si je ne me trompe pas, c’est très récent que tu chantes sur tes compositions, non ?

En fait, j’ai toujours un peu chanté en scred. J’ai dû chanter mon premier morceau quand j’avais 16-17 ans, et je l’ai toujours fait sans l’assumer vraiment parce que je me suis toujours dit que je n’étais pas assez bon. Mais quand j’ai commencé à chanter ces morceaux à mon entourage, ils m’ont un peu poussé en me disant que je devrais l’assumer, mettre cette petite touche, la montrer. Parce que si je le faisais, c’est que j’aimais ça quelque part.

Et du coup, j’ai commencé par sortir un morceau où je chantais il y a un an et depuis, je n’ai plus trop de problèmes à m’assumer. Je chante sur sept morceaux, et il y en a douze donc tu vois. Et tous les morceaux qui viennent pour le prochain album sont chantés, tous. Mais c’est cool, parce que j’ai toujours eu des petites mélodies lyriques dans ma tête, j’ai toujours imaginé des chanteurs sur ce que j’ai fait, et maintenant, au lieu de demander à quelqu’un d’autre de chanter la mélodie que tu as dans la tête, ce qui n’est pas très intéressant, il vaut mieux le faire soi-même, si tu y arrives.

5. Est-ce que tu as un disque que tu écoutais tout le temps gamin et que t’écoutes encore très souvent ?

The Chronic 2001, à nouveau. On l’écoutait encore sur le tournage de mon clip dimanche dernier, alors que c’est le premier que j’ai acheté. IAM, L’École du micro d’argent, peut-être le troisième album que j’ai acheté. J’écoute toujours les Pink Floyd à fond alors que c’est un des premiers trucs que j’ai découvert, Dark Side of The Moon fait partie de mes albums préférés.

Pareil pour les Motown, Marvin Gaye, Let’s Get It On, c’est un album que j’écoute tout le temps. J’écoute beaucoup de vieux trucs maintenant que j’y pense [rires]. Al Green, Herbie Hancock, James Brown. Beaucoup de jazz aussi.

J’ai l’impression en tout cas que ce qui ressort de ce tu me dis depuis tout à l’heure, le rap a toujours été très important pour toi. Tu n’as jamais eu envie de faire des productions de rap ?

Si, si, carrément. Même pas forcément de rap, pour des chanteurs ou chanteuses, si, à fond ! C’est prévu pour après mon album, je commence à avoir pas mal d’artistes avec qui je suis entré en production. Ça me fait kiffer, parce que ça permet de continuer à vivre de la musique sans forcément te mettre en avant et je trouve ça cool. J’ai pas forcément envie d’être au premier plan, j’aime bien être dans l’ombre. Ça va se faire, je commence déjà. Surprise, je veux pas dire les noms. [rires]

6. Est-ce que tu as un souvenir musical lié à un voyage ?

Le truc, c’est que j’ai beaucoup voyagé parce que mes parents adoraient ça, donc depuis que j’ai 4 ans, on faisait deux pays par an. À 20 ans, j’avais déjà visité une trentaine de pays. Je pense que ça m’a vachement influencé aussi, dans la musique et tout ça, ça donne des idées. Tu vois plein des choses, t’en prends plein les yeux, c’est inspirant.

On va dire que le premier voyage dont je me souviens vraiment, j’avais six ans, et que j’allais voir pour la première fois ma famille en Nouvelle-Zélande et en Australie. C’était aussi la première fois que j’ai rencontré mon oncle qui a un studio en Australie. Je pense qu’il a une bonne part dans le fait que je fasse de la musique aujourd’hui parce que je dormais dans son studio, c’était “ma chambre”. Il fallait héberger toute la famille, on était 5 et donc j’allais dans ce studio.

Je me rappelle qu’une fois, on était toute la famille dans le studio et que je tapais sur la batterie, mon oncle était à la guitare et on faisait “We Will Rock You” de Queen. Classique pas original.

Ton oncle a eu un impact sur ta formation musicale, sur FKJ ?

Je n’y allais pas souvent, on va dire tous les trois ans et on passait une semaine chez lui. Mais il a carrément une dizaine de guitares, des machines partout. Il m’a vraiment influencé. Le tout premier morceau que j’ai enregistré, c’était sur son enregistreur à cassette, quand j’avais 14 ans. Et après j’ai chopé du matériel pour bosser chez moi. Ouais, c’était une cassette.

Tu l’as encore ?

Ouais, elle est chez mes parents. J’aimerais trop la réécouter. Je m’en rappelle mais elle était pas folle. C’était le tout début.