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Avec son R’n’B envoûtant, Ray BLK se fait la voix des Londoniennes de sa génération

Avec son R’n’B envoûtant, Ray BLK se fait la voix des Londoniennes de sa génération

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Par Naomi Clément

Publié le

Galvanisée par le triomphe de la grime, cette chanteuse et rappeuse de 23 ans incarne aujourd’hui l’un des espoirs les plus prometteurs de la scène britannique. Après avoir collaboré avec Stormzy et Gorillaz, elle travaille aujourd’hui sur son premier album solo. Rencontre.

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Il n’existe que très peu de différences entre la vraie Ray BLK, et l’image que celle-ci véhicule à travers sa musique. Depuis la sortie de son single “5050” fin 2015, cette jeune Anglaise n’a cessé de nous immiscer dans son intime quotidien, de nous ouvrir les portes de son doux royaume. Sur “My Hood”, le titre phare de son mini album Durt, qui fait état d’une palette sonique croisant garage, grime et R’n’B des 90’s, elle nous fait vivre au rythme de sa banlieue du Sud londonien, nous conviant entre autres à partager le fameux poulet frit de Chez Morley :

“La seule différence entre la Ray BLK que vous voyez dans les clips et celle que vous voyez aujourd’hui, c’est que j’essaie actuellement de réduire ma consommation de poulet frit, commente-t-elle dans un rire. Mais à part ça, tout ce dont je parle, tout ce que je montre à travers mes chansons fait partie intégrante de mon quotidien. Et je suis très heureuse de pouvoir montrer des choses personnelles à travers ma musique.”

Élevée à Londres mais née au Nigeria, qu’elle quitte à l’âge de 4 ans, Ray BLK se prend très tôt de passion pour la musique, bercée par la programmation éclectique de MTV et le gospel chéri par sa mère. Adolescente, elle fait partie d’un groupe monté au côté du chanteur et producteur MNEK, son ami d’enfance. “J’ai toujours voulu faire de la musique, ce qui est assez étrange quand on y pense…, dit-elle en pensant tout haut. Ouais, ça me fait bizarre de savoir qu’à 6 ou 7 ans, j’étais déjà obsédée par ça ! Mais le fait de chanter et d’écrire mes propres chansons m’a toujours rendue heureuse, depuis toute petite. Du coup, je m’inscrivais à des tonnes de concours auxquels ma mère m’emmenait tous les week-ends. Elle se réveillait super tôt le matin et me conduisait à toutes ces auditions qui se situaient souvent à des kilomètres de chez nous, et c’était comme ça toutes les semaines… elle m’a toujours soutenue.”

De Charles Dickens à Chimamanda Ngozi Adichie

Influencée par l’aura de grandes chanteuses comme Lauryn Hill, Whitney Houston ou Amy Winehouse, mais aussi par le travail de l’écrivain nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, Rita Ekwere (de son vrai nom) façonne aujourd’hui un R’n’B puissant et engagé, qui célèbre assidûment les femmes. Son premier EP Havisham, sorti sur son propre label en 2015, est directement inspiré par Miss Havisham, personnage central dans Les Grandes Espérances, roman de Charles Dickens publié en 1861. Quant à ses clips, ils nous plongent constamment dans l’ambiance chaleureuse des salons de coiffure du Sud de Londres, où les filles de son quartier ont l’habitude de se donner rendez-vous :

“Les meufs que vous voyez dans mes clips sont mes vraies amies, que je harcèle à chaque fois au téléphone en mode : ‘S’il vous plaît, venez tourner dans mon clip !’ [rires] D’ailleurs, il n’y a quasiment que des filles à mes concerts… L’autre jour, mon tour manager m’a sérieusement demandé si je comptais des hommes dans mon entourage [rires]Mais je n’ai pas volontairement choisi de mettre en avant les femmes à travers ma musique : c’est simplement mon quotidien, je suis entourée de meufs ! Je me sens plus forte à leurs côtés, elles me rendent plus fortes. Et je crois que c’est réciproque.”

“La culture noire n’accepte pas encore vraiment les gays et les lesbiennes”

Désireuse de représenter toutes les femmes, la jeune chanteuse a récemment partagé “Chill Out”, dont le clip met en lumière la communauté noire et transsexuelle, encore trop souvent persécutée de par le monde. “Lorsque je l’ai écrit, ‘Chill Out’ m’est apparu comme un hymne qui encourageait les femmes à vivre librement la vie qu’elles souhaitaient mener, nous confie-t-elle. Quelque temps plus tard, je suis tombée sur ce documentaire de Vice qui retrace le quotidien des Gully Queens en Jamaïque. Et j’ai été horrifiée, car jusque-là, je ne m’étais pas rendu compte de ce que pouvaient vivre les personnes gays et trans en dehors de pays comme l’Angleterre, la France ou les États-Unis, où les mentalités ont beaucoup évolué.” Et de poursuivre :

“Il m’a alors paru important de parler haut et fort au nom de ces personnes, dont on ne parle jamais. Et puisque ce ‘Chill Out’ s’adressait aux femmes en général, il fallait aussi qu’il encourage ces femmes-là, qui n’existent pas qu’en Jamaïque mais aussi dans de nombreux pays d’Afrique, et même d’Occident. De façon générale, la culture noire n’accepte pas encore vraiment les gays et les lesbiennes.”

“Je ressens une forme de pression constante de la part des jeunes générations”

Quelques semaines après avoir dévoilé cette puissante vidéo, Ray BLK nous offrait “Patience”, un titre envoûtant, à travers lequel elle critiquait le désir de reconnaissance immédiat de la jeune génération, dopée aux réseaux sociaux comme Instagram. “Que se passe-t-il chez les nouveaux venus ?, s’interroge-t-elle dès les premières notes du morceau. Ces temps-ci, tout le monde veut être connu, ne pas étudier et apparaître directement sur la A-list. Ils échangent leur dignité contre des hits.” À ce sujet, elle commente :

“Comme nous tous, je ressens une forme de pression constante de la part des jeunes générations, qui ont grandi à travers les réseaux sociaux. Quand tu regardes la vie de ces jeunes sur Instagram, tu ne vois que le bon côté des choses : tout le monde est en vacances à l’autre bout du monde, sur un yacht, en train de bouffer la meilleure food du monde [rires]. Donc forcément, tu te dis que toi aussi, tu devrais faire ça, et que si tu n’y arrives pas, c’est que tu n’en fais pas assez. J’ai écrit ‘Patience’ pour nous rappeler que nous avons tous en tête un objectif, et qu’il est tout à fait normal de prendre notre temps pour l’atteindre. Il est inutile de se faire du mal.”

“Tout vient à point à qui sait attendre” : pourrait donc être la devise phare de Ray BLK, dont le nom de scène n’est d’ailleurs pas anodin. “Je voulais que mon nom porte en lui un message, qu’il dise quelque chose de moi, décrypte-t-elle. Le mot ‘Ray’ est tiré de mon nom de famille ‘Ekwere’, d’origine nigériane (et dont la dernière syllabe se prononcé -ray). Quant aux lettres -BLK, elles signifient ‘Bilding Living Knowing’, une devise que je veux me rappeler à moi, mais aussi aux personnes qui m’écoutent. ‘Building’, c’est construire les fondations d’une carrière, de ce que tu veux atteindre dans la vie en travaillant dur ; ‘Living’, parce que je pense qu’il est important de profiter pleinement de la vie ; et ‘knowing’ car je pense qu’il fait selon moi toujours continuer à apprendre, et ce peu importe l’âge.”

“Gorillaz a tellement fait pour la musique britannique !”

Cette sagesse évidente, qu’elle estime tirer de l’éducation nigériane “basée sue le respect de soi-même et des autres” inculquée par sa mère, est l’un des nombreux éléments qui expliquent pourquoi Ray BLK est aujourd’hui l’un des talents les plus prometteurs de la scène R’n’B britannique. En plus de préparer l’arrivée de son tout premier album, la jeune chanteuse figure sur la liste des collaborateurs de Humanz, le cinquième album de Gorillaz, sorti ce vendredi 28 avril.

“Je traînais dans leur studio quand Jamie Hewlett était en train d’écouter une version de l’album, et j’ai lancé un truc du genre : ‘Du coup, je chante sur quel morceau moi ?’, relate-t-elle. J’ai vraiment lancé ça comme une blague, et il m’a répondu très sérieusement : ‘Ok, je vais en parler à Damon’. Damon a écouté ma musique et quelques jours plus tard, j’étais avec eux en studio en train d’enregistrer.” Peinant encore quelque peu à réaliser la situation, Ray BLK conclut :

“C’est vraiment important pour moi car Gorillaz a tellement fait pour la musique britannique ! Et je ne vous parle même pas de ma mère, qui est très, très fière. Chaque jour, elle me répète : ‘Tu sais, j’ai toujours cru en toi. Ça valait le coup de se réveiller à 8 heures tous les week-ends pour te conduire à ces auditions !’ [rires]

Durt, le dernier projet de Ray BLK, est disponible sur iTunes et Spotify.