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Entretien : comment les femmes nourrissent inlassablement la musique de Manast LL’

Entretien : comment les femmes nourrissent inlassablement la musique de Manast LL’

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Par Naomi Clément

Publié le

Originaire d’Orléans, Manast LL’ distille un rap éthéré et sensuel, inspiré par le hip-hop sudiste et le R’n’B canadien. À l’occasion de la sortie de l’EP Forty Two Stories, qu’il a façonné aux côtés de Jeune Faune et Astrolabe Musique, le rappeur nous a accordé un moment pour discuter de ses influences premières, du rap français et de sa source principale d’inspiration : les femmes.

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Le 25 octobre 2016, au premier soir du Pitchfork Festival Avant-Garde de Paris, Manast LL’ se produit pour la première fois sur la scène sombre du Café de la Danse, à deux pas de la place de la Bastille. Au cœur d’un cortège déchaîné, bien décidé à en découdre avec l’artiste, se dessine la silhouette d’une petite dame qui, malgré les dizaines d’années qui la séparent du reste de l’auditoire, n’hésite pas à se fondre dans les mouvements parfois sauvages de la foule.

Cette femme, que les spectateurs préservent malgré leurs gestes turbulents, n’est autre que la mère de Manast LL’. L’une de ses principales sources d’inspiration. Depuis cinq ans, Florent (de son prénom) distille un rap éthéré et sensuel, au cœur duquel les femmes, qu’elles soient mères, sœurs, cousines ou tout simplement de passage, prennent une importance toute particulière. “Les relations que j’entretiens avec elles m’inspirent énormément”, nous confiera le jeune métis.

Les relations amicales de Manast LL’, elles aussi, nourrissent inlassablement son processus créatif. Il y a les membres de La Ligne Bleue, un collectif des plus complets au sein duquel il côtoie des réalisateurs et des ingés son, mais aussi les producteurs Jeune Faune et Astrolabe Musique (composé de Sandro, Talia B et The V), avec lesquels il vient de dévoiler Forty Two Stories, un EP de cinq morceaux, qui succède au très bon Known as Sookah, grâce auquel Manast LL’ nous présente un nouveau chapitre de sa vie. Une vie rythmée par la fraternité, les voyages, et l’amour. Rencontre.

“Le rap français ne me fait pas plus kiffer que ça”

Konbini | Pour mieux comprendre ta musique, j’aimerais retourner en arrière. Qu’est-ce que tu écoutais quand tu étais gosse ?

Manast LL’ | C’est assez divers, car ça dépendait vraiment des personnes avec lesquelles je traînais. Quand j’étais petit, j’écoutais surtout ce que ma mère écoutait : du Ray Charles, du Louis Armstrong, beaucoup de Tina Turner, Joe Cocker, Murray Head… Avec mon père, c’était plutôt des sons africains. Ma mère est française, originaire de Lille, et mon père est congolais, originaire de Brazzaville.

Mais c’est mon grand frère qui m’a initié au rap. Il écoutait beaucoup de sons West Coast, du Warren G, du Nate Dogg, du Tupac, son artiste préféré… Il aimait beaucoup Tyrese aussi, et Nelly. D’ailleurs, Nellyville [le deuxième album de Nelly sorti en 2002, sur lequel on retrouve le très bon “Hot in Herre”, ndlr] était l’album que j’écoutais en boucle sur notre chaîne hi-fi.

Et le rap français dans tout ça ?

J’en ai écouté un peu, mon frère avait des CD d’Ideal J et de La Rumeur, mais ça ne m’a jamais intéressé. Aujourd’hui, maintenant que j’ai pris du recul et que j’évolue dans le milieu de la musique, je n’écoute plus la musique de la même façon, du coup je respecte vachement le rap français qu’il y avait à cette époque. Mais ça ne me fait pas plus kiffer que ça.

Moi ce qui me faisait vraiment kiffer, c’est ce que j’ai commencé à écouter par moi-même quand j’avais 11 ou 12 ans, c’est-à-dire énormément de rap sudiste : Mike Jones, Slim Thug, Three 6 Mafia, Lil Wayne… Je pense que ça faisait partie de mon style de vie de l’époque. J’étais au collège, je faisais du basket, j’avais des tresses, je portais des baggys, de longs jerseys… ça faisait sens que j’écoute cette musique-là. Les mondes du hip-hop et du basket ont toujours été très liés.

“Je rêvais de faire des vidéos comme Chingy”

Quand as-tu commencé à faire de la musique ?

Au collège. Mais au début je n’écrivais pas, je prenais simplement des textes de morceaux que j’avais bien aimés, et je les chantais sur d’autres instrus. Je devais enregistrer des trucs sur Audacity avec mon micro de webcam et mon Windows, mais ça ne sortait pas de ma chambre.

En fait, la musique a toujours été là. Je rêvais de faire des clips comme Chingy quand j’avais 13 ans [rires]. Mais j’ai commencé à m’y mettre sérieusement au lycée. J’ai toujours été quelqu’un d’assez timide, ou en tout cas de réservé, et le fait de faire de la musique m’a permis de me donner une certaine assurance.

Comment décrirais-tu ta musique ?

C’est difficile à dire… Ça sonne comme du rap, ou du R’n’B, c’est assez influencé par ce qui se fait actuellement à Toronto… donc on pourrait dire que c’est du rap/R’n’B alternatif, si on devait vraiment mettre un mot dessus.

Ce que j’aime dans la musique, c’est qu’elle me fait voyager. Donc je pense, ou plutôt j’espère, que ma musique est une musique qui te fera voyager, qui te transportera dans des moods très différents.

Tu parlais de la scène de Toronto à l’instant. Qui sont les artistes qui t’inspirent le plus aujourd’hui pour créer ?

C’est hyper vaste ! J’écoute tellement d’artistes ! Mais pour t’en citer quelques-uns, récemment j’ai écouté l’album de Kamaiyah en boucle, qui m’a vraiment touché. Il y a eu la mixtape de Cousin Stizz aussi, Monda, les albums de Childish Gambino, de Kid Cudi… Et en ce moment , j’écoute pas mal celui des Migos aussi. Je pense que je pioche un peu dans tout ça pour créer ma musique.

“Ma musique n’est pas qu’un caprice d’enfant”

Et quels sont les thèmes qui t’inspirent pour écrire ?

Les femmes et les voyages ! Et en répondant à tes questions, je me rends compte que c’est logique : quand je regardais les clips dont on parlait tout à l’heure, je voyageais vraiment à travers eux. Et puis de façon générale, j’adore voyager. Si je ne pouvais faire que ça, je le ferais.

Et en ce qui concerne les femmes… Je pense que ma philosophie par rapport aux femmes n’est pas encore totalement aboutie, parce que je suis encore jeune. Mais les relations que j’entretiens avec elles m’inspirent beaucoup. Ça s’explique sûrement par le fait que j’ai grandi éduqué par ma mère, qui est très importante pour moi, et que j’ai été entouré par ses sœurs, par mes cousines… ça fait beaucoup de femmes autour de moi [rires]. Je trouve que la femme a une place vraiment, vraiment importante pour l’homme.

J’ai cru comprendre que ta maman te soutenait beaucoup. Qu’est-ce qu’elle pense de ta musique ?

Elle m’a toujours soutenu, elle m’a toujours dit de faire ce que j’avais envie de faire. Après, bien sûr, il y a eu des périodes différentes. Aujourd’hui, elle me soutient plus que jamais car elle se rend compte que c’est réel, que ma musique n’est pas qu’un caprice d’enfant.

On est très similaires avec ma mère. Elle a arrêté l’école à 17 ans, elle est partie de chez elle à 18 – elle était sur la route avec une troupe de théâtre…  elle a énormément bougé durant sa jeunesse. Donc on est un peu dans le même état d’esprit. Elle a compris que ce n’était pas en interdisant son gosse de faire des choses qu’elle le ferait grandir.

Le 24 février, tu as sorti l’EP Forty Two Stories aux côtés de Jeune Faune et Astrolabe Musique, composé de Sandro, Talia B et The V. Comment est né ce projet collaboratif ?

À la base, on s’est dit qu’on avait envie de sortir des sons sur lesquels on serait tous les cinq à bosser. Il n’y avait pas encore cette idée d’EP, on voulait juste droper des sons sur SoundCloud. Mais au fur et à mesure, notamment au cours des années 2015 et 2016, pendant lesquelles j’ai principalement bossé avec Astrolabe Musique et Jeune Faune, je me suis rendu compte que j’avais juste besoin d’eux pour créer.

Donc à l’été 2016, on s’est posés dix jours à Saint-Étienne pour bosser. On était chez le père de Vincent [The V, ndlr], Bato, un peintre et sculpteur. Sa maison est entièrement décorée de ses œuvres, c’était super inspirant d’être dans un environnement comme celui-ci.

Et pourquoi “Forty Two Stories” ?

Parce que Saint-Étienne c’est le 42, et qu’on raconte énormément d’histoires sur cet EP.

Quoi comme histoires par exemple ?

C’est que des histoires avec des femmes [rires]. D’ailleurs, pour illustrer les morceaux de cet EP, on a demandé à l’artiste Soim Soim Soim Soim de s’inspirer de photos de filles qu’on nous avait envoyées ou qu’on a pu prendre, et de les revisiter pour en faire des pochettes. D’ailleurs une fois, sa copine a vu passer des photos, et elle lui a fait une réflexion à laquelle il a répondu : “Non mais regarde je travaille là !” [rires]

Mon interlude, la deuxième piste de Forty Two Stories, conte par exemple une romance que j’ai eue avec une fille à Stockholm. Quand j’ai entendu la production pour la première fois, à Saint-Étienne, j’ai tout de suite eu un flash de mon histoire avec cette fille, car l’instru est assez mélancolique et que cette histoire ne s’est pas super bien terminée. On est allés au studio, et c’est sorti tout seul, je n’ai quasiment pas eu besoin d’écrire.

Récemment, The Fader a parlé de toi à plusieurs reprises. Qu’est-ce que ça te fait de voir que ce magazine, qui est un peu le garant de la culture hip-hop aux US, encense ta musique ?

Quand tu vois que des médias spécialisés dans ce domaine te valident, t’es content. C’est logique. Ça me donne une vraie sensation de légitimité. Pourvu que ça dure !

L’EP “Forty Two Stories”, sorti le 24 février 2016 sur Kitsuné, est disponible sur Spotify et iTunes.