Interview : les secrets de l’incroyable BO oscarisée de Black Panther

Interview : les secrets de l’incroyable BO oscarisée de Black Panther

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Par Arthur Cios

Publié le

Une BO unique en son genre qui a remporté une statuette ce dimanche 24 février.

Black Panther n’a pas été un raz-de-marée qu’au box-office, son impact s’est ressenti aussi dans la pop culture. Au-delà du message, de la représentation des cultures africaines, de son casting royal, et de son apport majeur au cinéma hollywoodien, la musique est aussi l’un des éléments les plus marquants du film.

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D’un côté, une soundtrack incroyable dirigée par Kendrick Lamar avec la crème du rap américain (Schoolboy Q, 2 Chainz, SZA, Vince Staples, Jorja Smith, Future, Travis Scott, The Weeknd), de l’autre, une BO ultra-prenante et innovante, mêlant orchestre symphonique et instruments d’Afrique de l’ouest, signée Ludwig Göransson.

Le compositeur, producteur attitré de Childish Gambino (les deux se sont rencontrés quand le Suédois travaillait sur la série Community, dans laquelle jouait Donald Glover), n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il a composé des dizaines de BO auparavant. Il a d’ailleurs écrit la musique de tous les projets de Ryan Coogler, mais son travail sur Black Panther est unique, pour bien des raisons.

Alors que le méga blockbuster vient de recevoir un Oscar pour sa bande-originale, nous avons pu nous entretenir au téléphone avec le musicien, histoire d’en savoir plus sur cette BO incroyable, et la manière dont elle est née.

Konbini | Comment avez-vous atterri sur ce projet ?

Ludwig Göransson | J’avais déjà travaillé avec Ryan Coogler auparavant. On a fait la même fac, on était tous les deux à l’University of Southern California. Lui est parti vers des études de cinéma et moi, en musique. On est devenus amis pendant nos études et on a ensuite gardé contact. Quand j’ai commencé à composer pour des films [son premier travail était sur Tonnerre Sous les Tropiques, N.D.L.R.], j’ai travaillé sur la musique de ses courts-métrages. De là, j’ai fait la musique pour tous ses projets et films, de Fruitvale Station à Creed.

Donc, quand il a signé avec Disney pour faire Black Panther, il est naturellement venu vers vous ?

Exactement !

Quelles étaient vos consignes ? Que vous a-t-il dit sur le film, sur le son qu’il voulait ?

Il m’a envoyé une version du script au moment de son écriture. Mais c’était au tout début, l’objectif était de me faire une idée. Et j’ai immédiatement compris qu’il fallait aller du côté de l’Afrique et s’imprégner de sa culture, l’étudier pour mieux saisir l’essence de la musique qui devait accompagner cette histoire. Je suis suédois, je ne pouvais pas trop sortir ça de moi-même. J’y suis donc allé pour faire des recherches sur place.

La musique africaine est évidemment très diverse, de quelle région vous êtes-vous inspiré, où êtes-vous allé précisément ?

Je dirais que je me suis surtout inspiré de la musique d’Afrique de l’ouest, de l’énergie de cette musique, mais surtout de certains instruments comme la talking drum, qui est une des percussions les plus intéressantes. Je n’avais jamais vraiment entendu ce son, et encore moins dans un film, donc je me suis dit que ce serait intéressant de l’utiliser. Et j’ai même commencé à me dire que cela pourrait être le thème attribué à T’Challa, par exemple.

Vous avez notamment collaboré avec Baaba Maal, une collaboration centrale à cette BO. Comment cela est arrivé ?

Un ami à moi avait produit un de ses albums, donc quand j’ai appelé tout mon répertoire pour avoir des contacts en Afrique, je l’ai appelé pour qu’il me donne un coup de main, et il m’a directement donné le numéro de Baaba Maal.

J’ai ensuite appelé Baaba Maal pour lui dire que j’allais faire la musique d’un film, Black Panther, à propos d’un super-héros noir, originaire d’un pays utopique en Afrique, que j’allais utiliser des instruments africains, et il m’a invité sur sa tournée. Je l’ai donc rejoint. On est allés au Sénégal, vers la frontière. Puis on a bougé, et j’ai eu la chance de rencontrer un tas de musiciens. Par la suite, on a pu aller dans son studio pour enregistrer avec certains de ces musiciens. Il a d’ailleurs chanté le thème principal du film à ce moment-là.

Vous êtes également partis en Afrique du Sud pour essayer de voir autre chose, c’est ça ?

Oui, juste après la tournée. J’y suis allé parce que Ryan Coogler y préparait le film, donc je voulais faire pareil. Un des endroits dont j’avais entendu parler, et que je voulais absolument visiter, s’appelle l’“International Library of African Music”. J’y suis allé et c’était incroyable. Il y avait toutes sortes d’instruments qui n’existent plus aujourd’hui, des enregistrements de milliers de sons composés par diverses tribus, entre les années 1930 et 1960. C’était vraiment enrichissant.

Vous avez dit plus tôt que la talking drum était centrale, comme l’avez-vous découverte ?

C’est clairement l’instrument principal de la BO. Dès que T’Challa apparaît, cette percussion résonne. J’ai toujours pensé que cet instrument était hyper intriguant et intéressant, mais je ne connais personne qui en joue ou qui en possède à Los Angeles. Quand j’étais en tournée avec Baaba Maal, il y avait une talking drum. Quand je l’ai entendu en vrai pour la première fois, c’était incroyable. Cet instrument, c’est comme une voix humaine. Comme si quelqu’un parlait ou chantait.

Quand j’ai entendu le musicien de Baaba Maal en jouer, le son m’a donné des frissons et m’a transporté. Il m’a raconté toute l’histoire de cet instrument, comment certaines personnes communiquent avec, etc. Je me suis demandé comment T’Challa parlerait à travers cet instrument. On a trouvé un moyen pour que la talking drum dise “T’Challa” par-dessus les six autres pistes de ce même instrument, ce qui donne un tout très compact.

Et par-dessus ce son, vous avez ajouté un orchestre plus traditionnel ?

Oui, un orchestre de 91 musiciens avec, en plus, des percussionnistes africains et une chorale de chanteurs africains. Pour la partie orchestre, j’ai composé dans mon coin, écrit des partitions et on a enregistré le tout dans les studios Abbey Road, à Londres.

Dans quelle langue chante la chorale ?

En xhosa, une des langues officielles d’Afrique du Sud. Dans le film, dès que les personnages parlent en dialecte africain, c’est du xhosa.

Combien de temps avez-vous pris pour la composition et l’enregistrement de la musique du film ?

J’ai une mauvaise mémoire, mais je dirais 9 mois pour composer, et l’enregistrement a pris plusieurs semaines. Enfin, ça a été diffus, j’écrivais et on enregistrait, puis je réécrivais, et on travaillait ensuite les parties avec des percussions… Ça n’a pas été linéaire, quoi.

Ce qui est drôle, c’est que vous avez aussi composé un des morceaux de la soundtrack, celui avec Vince Staples.

Oui, c’est ça !

Vous avez travaillé en même temps ces deux exercices bien différents ou vous avez ensuite travaillé le deuxième ?

Cela s’est fait après. Au fil de ma carrière, j’ai eu la chance de pouvoir produire des morceaux à part. D’ailleurs, c’est une chose que j’adore faire, c’est complètement différent des musiques de film. C’est tout simplement incroyable d’avoir pu produire un morceau pour cette énorme BO, en plus de ce que j’ai composé avec l’orchestre.

Pour voir le suédois en action, vous pouvez regarder cette interview de Genius où le producteur revient en vidéo sur la création de cette bande originale.

Article publié le 2 juillet 2018, mis à jour le 25 février 2019