Rencontrez l’homme qui voulait acheter tous les vinyles du monde

Rencontrez l’homme qui voulait acheter tous les vinyles du monde

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Par Théo Chapuis

Publié le

Un homme est venu avec de l’argent. Beaucoup d’argent. Et il semble qu’il allait donner aux disques un foyer convenable.

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La plupart du temps, les vendeurs ne savent rien de l’homme. Ou plutôt si, une seule chose : que la collection sera convoyée vers le Brésil. Une fantastique enquête-reportage du NY Times, qui se veut aussi exhaustive que possible, est pourtant incapable de donner le montant total du bien détenu par Freitas : estimant sa collection actuelle à “plusieurs millions”, son propriétaire ne le connaît pas lui-même. Quelques chiffres, de-ci, de-là, donnent pourtant déjà le vertige.
Un exemple. Il posséderait quelque 100 000 disques originaux venant de Cuba, soit la quasi-totalité de tout ce qui a jamais été enregistré sur l’île. Une blague qui court entre ses employés prétend que si le niveau de l’île augmente au-dessus des eaux, c’est parce que Freitas la vide de ses disques.

Le Dude du vinyle

Le New York Times l’a rencontré. Monte Reel, reporter, décrit un homme placide, vêtu d’un t-shirt Hard Rock Café et d’un short kaki, une paire de lunettes cerclées de métal au bout du nez, arborant une chevelure longue, grise et bouclée. Il ne lui manquerait qu’un peignoir et un russe blanc pour en faire le Lebowski du vinyle. Sauf que son dada à lui, ce n’est pas le bowling. Mais l’achat de disques compulsif, qu’il n’a jamais pu réfréner depuis qu’il est enfant :

J’ai fait 40 ans de thérapie pour tenter de me l’expliquer.

Quand même. Mais rien n’y a fait, avoue-t-il au reporter du NY Times. L’obsession est trop profonde et remonte sans doute à l’âge de cinq ans, lorsque son père achète la stéréo familiale avec un lot de 200 disques. À la sortie du lycée, le jeune Zero possède déjà 3 000 albums. En parallèle de ses études, il reprend l’entreprise familiale de transports qui dessert la banlieue de Sao Paulo. Il n’en oublie pas moins sa passion et est à la tête d’environ 30 000 pièces à l’âge de 30 ans. Mais aujourd’hui, il possède un trésor encore plus titanesque.

12 employés débordés

Freitas les enterre sous les disques. Entre juin et novembre de l’année dernière, plus d’une douzaine de conteneurs maritimes de 40 pieds de long sont arrivés, contenant chacun 100 000 vinyles nouvellement achetés.

Pour assouvir son but, Freitas confie la prospection à une équipe disséminée dans le monde entier, de “New York, à Mexico City, en passant par l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Caire”… Mais quel est-il, au fait, ce but ? Avec les années, la collection du magnat brésilien a fini par le posséder autant que lui-même la possédait. Désormais, après s’être cherché une quête du côté spirituel, il semble se préoccuper de l’avenir de ces disques qui n’existeront plus une fois que le monde les aura oubliés.
Car nombre d’entre eux n’ont jamais été numérisés, ou même répertoriés. L’un de ses enquêteurs, lui-même spécialiste du disque, estime que 80% de la musique enregistrée à partir de la moitié du XXème siècle n’a été listée nulle part. Avec cet objectif en tête, Freitas s’est enfin donné une quête à la hauteur de son obsession du 33 tours.

Pop, polka, metal…

Mais qu’écoute-t-il ? En fait, Freitas ne le sait sans doute pas lui-même. Jazz, metal, pop… tout est bon pour lui. Ce Brésilien peut s’enorgueillir d’une connaissance accrue de genres musicaux a priori opposés. Allan Bastos, chasseur de disques – et visiblement l’un de ses plus proches collaborateurs – raconte dans le papier du NY Times que Freitas s’y connaît même en polka, l’entretenant des artistes les plus intéressants de ce genre alors qu’il négociait l’achat d’un stock de 15 000 disques russes. Mais ce n’est qu’un style musical parmi l’étendue de son savoir de véritable nerd de la musique.
Son amour aveugle pour les disques, Freitas ne peut pas lutter contre. Vraiment. Bastos l’atteste : le lot de son collectionneur de patron comporte 30% de copies des mêmes disques – même si ce ne sont pas les exacts mêmes pressages/éditions, car “ces dix copies sont chacune différente”, comme il se défend. Mais il lui est pourtant impossible de s’en débarrasser sans que cela ne soit un crève-cœur. L’un des passages les plus parlants de cette enquête se déroule probablement quand Freitas réalise l’étendue des disques qui n’ont jamais été répertoriés. Monte Reel raconte qu’il prend un air grave et affecté avant de marmonner :

C’est très important de les sauver. Très important.