L’histoire des chanteuses de feats, d’hier à aujourd’hui

L’histoire des chanteuses de feats, d’hier à aujourd’hui

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Par Chloé Plancoulaine

Publié le

Sans elles et leurs refrains super efficaces, de nombreux rappeurs n’auraient jamais atteint le sommet des charts.

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Ashanti, Estelle, Kristina, Blu Cantrell, Faith Evans, Olivia… Ces filles et leurs refrains inoubliables ont squatté les sommets du top 50 aux États-Unis aux côtés de Ja Rule, Fat Joe, Puff Daddy, Sean Paul, Kanye West ou 50 Cent. Repérées dans les nombreux “talent shows” américains (ces scènes ouvertes où l’on venait donner de la voix en espérant qu’un gros producteur se trouve dans la salle), ces chanteuses, en plus de maîtriser la vibe R’n’B à la perfection, étaient pour la plupart des auteures.

Un atout de taille pour les labels : “Dans les années 1990-2000, le R’n’B explosait aux États-Unis, bien loin devant le hip-hop, et il fallait absolument avoir sa chanteuse pour espérer accrocher un morceau de rap dans le top 10 grâce une bonne mélodie catchy”, raconte Hubert Macard, l’encyclopédie vivante du R’n’B chez OKLM radio.

Ashanti, du label Murder Inc., sera number one avec Ja Rule sur le titre “Always on Time”.

Faith Evans, signée chez Bad Boy Records, mettra dans la tête de toute une génération sa reprise de “I’ll be missing You” en featuring avec le patron du label, Puff Daddy. Un hommage à Notorious Big, son époux, assassiné en 1997.

Côté français, le Secteur Ä, plus gros collectif hip-hop de l’époque avec Passy, les Nèg’ Marrons, Stomy Bugsy ou Doc Gynéco, s’inspire de ses confrères d’outre-Atlantique : les rappeurs s’offrent le talent de la chanteuse Assia qui écrira et posera sa voix sur de nombreux titres du collectif.

“Le R’n’B a perdu en qualité dès le milieu des années 2000”, déplore Hubert Macard. Le hip-hop s’impose alors petit à petit jusqu’à régner en maître sur les ventes de disques. Et avec l’apparition du logiciel Auto-Tune, les rappeurs inspirés n’ont désormais plus besoin de “toplineuses” pour envoyer la mélodie du refrain. “De leur côté, les chanteuses de R’n’B se sont émancipées, souligne notre spécialiste. Elles n’ont plus envie de jouer le rôle de la nana bonne qui se trémousse dans le clip d’un autre pour rapporter des vues.” En attestent FKA Twigs, Banks ou Abra, les nouvelles déesses du R’n’B, qui renouvellent le genre et prouvent qu’elles n’ont besoin de personne pour se faire un nom.

Aujourd’hui, les featurings dans le rap sont plus rares, et davantage motivés par des choix artistiques que par une logique de gros sous. Les rappeurs, de plus en plus nombreux à être indépendants, peuvent faire leurs propres choix sans pression des labels. Les feats sont d’autant plus audacieux, avec Lomepal qui invite Camélia Jordana (avec son groupe Lost) sur son titre “Danse” ou la superbe collab’ d’Orelsan avec Ibeyi sur “Notes pour trop tard”.

Alors, fini les filles à feats ? Si la grande époque appartient à notre préadolescence, de nouvelles voix continuent d’émerger aux côtés des rappeurs. Cette année, on a pu découvrir Emily Perry sur le titre “Moussa et Sarah” de Jok’air ou Ammour en duo avec Hyacinthe sur le très sensuel “Le regard qui brille”. Des noms qu’on n’avait jamais entendus avant. D’où sortent ces chanteuses ?

“Quand je suis arrivée dans le studio, au milieu de six ou sept mecs sapés comme jamais, je me suis demandé ce que je faisais là, moi la petite folkeuse anglaise”, s’étonne encore Emily Perry. Quelques semaines avant d’enregistrer un feat. avec le rappeur Jok’Air, qui fera des millions de vues sur YouTube, cette jeune étudiante anglaise poste ses ballades guitare-voix depuis sa chambre sur SoundCloud. En stage à Paris pour six mois, elle répond à une petite annonce pour chanter dans un bar du marais et la programmatrice a un coup de cœur : elle fait tourner son SoundCloud à un ami, Jok’Air. Emily et lui se rencontrent, ont un bon feeling. Quelques semaines plus tard, le rappeur lui envoie une prod’, composée juste pour elle. La chanteuse crée la mélodie et écrit les paroles du premier couplet en Français.

“À part les petites fautes de français, il n’a rien retouché. Malgré nos univers différents, Jok’Air a aimé le fait que j’amène le thème de la chanson, et mon accent anglais, qu’il n’a surtout pas voulu corriger à l’enregistrement. Il a plaisanté : ‘Moi je suis le Gainsbourg du ghetto et toi, t’es ma Jane Birkin !'” Jok’Air pose le deuxième couplet, et “Moussa et Sarah” voit le jour. Depuis la sortie de l’album, la chanson affole les compteurs d’écoute sur les sites de streaming. Un joli tremplin pour Emily, qui compte se lancer pour de bon dans la musique quand elle aura bouclé ses études de communication.

Pour Sarah Ammour, le conte de fées commence à la fac, où cette passionnée de musique rencontre Hyacinthe et son crew DFHDGB (Des faux hipsters et des grosses bites). “Les voir écrire en français, sans complexes, et sortir leurs sons sans se poser plus de questions, ça a été une vraie libération. Je suis fille de musiciens, et l’envie d’écrire et de chanter a toujours été latente, sans que j’ose me lancer.” Quand l’occasion se présente, elle pose sur des refrains du collectif. Mais son premier feat. entièrement coécrit, elle le signe sur l’album solo d’Hyacinthe, devenu son boy-friend entre-temps :

“On rentrait de soirée, bourrés, et on a écrit ‘Le regard qui brille’ d’une traite sur une prod’ qu’on avait en stock. Le lendemain, on a jeté la prod’ et envoyé les enregistrements a cappella de nos voix au beatmaker King Doudou, qui a composé la prod’ définitive.”

Un clip et 50 000 vues plus tard, Ammour est bien décidée à ne pas s’arrêter là : “J’ai eu beaucoup de retours m’encourageant à faire un projet solo, je m’y attelle depuis peu.”

Les filles n’ont pas dit leur dernier mot. Et si leurs projets solos s’avèrent aussi prometteurs que celui d’Angèle, découverte sur un feat. avec son frère Roméo Elvis, on parie qu’elles n’auront bientôt plus besoin de la lumière d’un rappeur pour briller.