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Grandir avec la légende du gonzo : entretien avec le fils de Hunter S. Thompson

Grandir avec la légende du gonzo : entretien avec le fils de Hunter S. Thompson

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Par Andrew Arnett

Publié le

Le 18 juillet, Hunter S. Thompson aurait eu 79 ans. Pour célébrer la mémoire de l’inventeur du style gonzo, Konbini a rencontré son fils, Juan Thompson.

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Il y a presque 50 ans, Hunter S. Thompson publiait son premier livre : Hell’s Angels. L’auteur a par la suite inventé le style gonzo et écrit de grands classiques, dont notamment Las Vegas parano qui fut adapté au cinéma par Terry Gilliam.

En janvier, le fils de l’auteur, Juan Thompson, a sorti un livre qui déroule le récit d’une enfance avec un père certes brillant, mais aussi alcoolique et absent : Stories I Tell Myself : Growing Up with Hunter S. Thompson (disponible uniquement en anglais).

Dans cet ouvrage, il dévoile une histoire angoissante qui se termine sur le récit détaillé du suicide de son père, qui s’est tiré une balle dans la tempe alors qu’il était dans la pièce attenante.

Konbini | La première chose qui saute aux yeux en lisant Stories I Tell Myself, c’est la particularité du style : sérieux et à l’opposé du gonzo. À quel point était-ce important pour vous de vous démarquer de votre père ?

Juan Thompson | Il y avait une chose dont j’étais certain en écrivant: je voulais que personne ne puisse penser que j’essaye de l’imiter. Je ne suis pas Gonzo Junior. Quand bien même quelqu’un essaierait, il est inimitable. Pourquoi essayer ?

C’était important pour moi de faire mon possible pour éviter ça, quitte à éviter certaines tournures de phrases. Je lui ai juste volé sa façon de titrer ses chapitres.

J’espère avoir réussi à rédiger de manière à toucher les gens. On a tous une raison différente d’écrire. La mienne était de communiquer quelque chose d’important au lecteur, aussi clairement que possible.

Qu’essayez-vous de faire passer avec cet ouvrage ?

J’ai décidé de me lancer dans ce livre à cause de la masse d’articles écrits à la suite de sa mort. La majorité se concentrait sur son personnage public gonzo. Toute cette attention n’était centrée que sur ce que je pense être la partie la plus triviale de sa personnalité.

L’essentiel pour Hunter était de rester dans les mémoires comme un grand journaliste, mais cette ambition était absente dans la couverture médiatique qui a suivi son suicide.

Je pense qu’au moins deux adaptations de son travail, Where the Buffalo Roam [avec Bill Murray dans le rôle de l’auteur, ndlr] et Las Vegas parano, sont passées complètement à côté de ça. Ces deux films se sont juste concentrés sur le côté gonzo. Je pense que Rum express était meilleur, en le prenant sérieusement en tant qu’homme et écrivain. Il ne l’a pas présenté comme un personnage unidimensionnel.

Johnny Depp dans le rôle du personnage inspiré de Hunter S. Thompson dans Rhum express (GIF: Photobucket)

Lors du travail de rédaction, avez-vous redécouvert certaines choses à son sujet ?

Je pensais qu’écrire un livre était facile. J’ai rédigé un mémoire pendant mes études et j’imaginais faire la même chose, en plus long. J’ai réalisé qu’en fait c’est bien plus que ça. C’est tellement long !

Je suis sûr que c’était la même chose pour lui. Je pense qu’il n’aimait pas ça. Ce n’était pas facile pour lui, il n’était pas comme Stephen King ou d’autres pour qui les mots sortent facilement. Je suis persuadé qu’il vivait ça comme un combat.

C’était douloureux. Il procrastinait, trouvait d’autres choses à faire, jusqu’à ce que l’argent vienne à manquer ou que les éditeurs le harcèlent.

Le principe du gonzo c’est l’immersion, l’écriture à la première personne et un flou entretenu sur les faits et la fiction. Beaucoup ont essayé et échoué. Qu’est ce qui rendait Hunter si doué ?

Ma théorie, c’est qu’après avoir écrit son premier papier gonzo — The Kentucky Derby Is Decadent and Depraved, en 1970, alors qu’il était soumis à beaucoup de pression de la part du journal Scanlan’s Monthly —, il a réalisé qu’il avait ce style cru et puissant, unique en son genre. Il s’est découvert dans cette différence.

Il n’y avait rien de tel. Un million de journalistes pouvaient produire une bonne prose, mais rien qui ne ressemblait à cet article sur le Kentucky Derby. Il s’est décidé à poursuivre cette voie.

“Toute cette histoire de se défoncer et de tout coucher sur le papier est fausse. C’est l’idée que les gens ont gardée”

Il n’a pas enfreint les règles, il suivait toujours le modus operandi des journalistes, mais avec ce style jamais vu, comme dans Fear and Loathing: On the Campaign Trail ’72, sur l’élection présidentielle américaine de 1972. Cest probablement mon livre préféré. Il semble être bâclé, alors que ce n’est pas le cas.

Toute cette histoire de se défoncer et de tout coucher sur le papier est fausse. C’est l’idée que les gens ont gardée.

Et puis il y a le fait que ceux qui se frottent au gonzo ont tendance à essayer de l’imiter. C’est une énorme erreur. Écrire gonzo ce n’est pas imiter le style de Hunter, c’est trouver son propre style.

Le magazine Vice s’est fait une réputation dans l’univers gonzo. Il semble que c’est ce que recherche la génération Y. Qu’est-ce que ce genre peut offrir, par rapport au journalisme traditionnel ?

Je lis le New York Times tous les jours pour lire l’actualité et ça me rend fou que personne n’y écrive que Trump est un criminel et un escroc. C’est ce qu’ils devraient écrire, parce que c’est la vérité.

La satire et l’hyperbole étaient les moyens que Hunter utilisait pour éviter les procès en diffamation. Il y transmettait l’essence de la vérité, sans être littéral. C’est ce qu’il a fait avec Nixon.

“Au bout du compte, l’important c’est de séduire le lecteur. Hunter comprenait comment attirer l’attention, et la garder tout au long de ses papiers”

Après la victoire de Nixon à l’élection de 1972, Hunter a écrit un superbe article dans lequel il exprimait ce que cela représentait pour lui. Il est parti dans un récit où Nixon traversait la pelouse de la Maison-Blanche, un soir de pleine lune, faisant de lui un loup-garou affublé de verrues ensanglantées, en quête de l’appartement de Martha Michell [la femme du ministre de la justice de Nixon, qui joua un rôle clé dans le Watergate, ndlr]. C’est brillant, une hyperbole géniale qui décrit la vérité.

Au bout du compte, l’important c’est de séduire le lecteur. Hunter comprenait comment attirer l’attention, et la garder tout au long de ses papiers.