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Jeunesse sonique : Fishbach retrace son enfance en musique

Jeunesse sonique : Fishbach retrace son enfance en musique

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Par Arthur Cios

Publié le

Alors qu’est sorti il y a quelques mois son premier album, et qu’elle jouera ce jeudi 6 juillet au Fnac Live Festival, nous avons voulu en savoir plus sur l’énigmatique Fishbach.

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En arrivant à la terrasse du pop-up du label, Flora a un grand sourire. Mes 15 minutes de retard n’ont vraiment pas l’air de l’avoir dérangée. Elle revient tout juste de son premier voyage au Japon et a encore des étoiles dans les yeux. Avant même de lui parler du format, elle me raconte pendant pas mal de temps ses quelques jours à l’étranger, ses rencontres, ses concerts. Je ne la connais pas mais j’ai déjà l’impression qu’on est amis depuis vingt ans.

De manière générale, Fishbach fait partie de cette petite catégorie d’artistes qui ne réalise pas encore ce qui lui arrive. Elle se comporte avec un “jemenfoutisme” plaisant. Sur scène, elle entre dans des transes qui foutent des frissons presque immédiatement, même quand elle remplit à ras bord une Cigale en transe devant elle. Il faut dire qu’elle a pondu il y a quelques mois, À ta merci, un disque complet sublime, qui a déjà sa place bien méritée dans notre top des meilleurs albums de l’année.

Bref, on est face à l’une des meilleures artistes de ces dernières années, et Flora n’a pas vraiment l’air de s’en rendre compte, même quand elle raconte son histoire.

1. Sans mentir, quel est le premier disque que tu as acheté ?

Fishbach | Sans mentir ? C’est Mary J. Blige, Family Affair. Ce titre passait à la radio, je devais avoir 9 ou 10 ans, donc ce n’est pas moi qui l’ai acheté mais mes parents. J’adorais Mary J. Blige. J’en suis à mille lieues maintenant, mais quand je réécoute cet album, je suis là : “oh”. C’est ma madeleine de Proust.

Bah en même temps, il est génial.

Ah ouais, super. Ça a très bien vieilli je trouve, vraiment.

Tes parents t’achetaient beaucoup d’albums ?

Pas du tout. Mais c’est parce que je ne leur demandais pas. En fait, j’avais une radiocassette, une sorte de “ghetto-blaster”, sur lequel j’enregistrais les trucs qui me plaisaient à la radio. Je m’en satisfaisais. J’avais des petites cassettes et je faisais des émissions de radio d’enfant, nulles. Tu sais, ce genre de choses où le morceau ne commençait pas au bon moment parce que tu ratais le tout début et du coup, t’appuyais sur le bouton “Rec” une seconde trop tard.

Le premier truc qui m’a marquée… Pardon, je te laisse poser tes questions. [rires]

Non, non, vas-y, je t’écoute. [rires]

La première fois où à la radio, j’ai eu un crush, j’étais chez ma grand-mère et j’étais vraiment toute petite. Je ne saurais même plus te dire l’âge que j’avais. C’était Hervé Cristiani, “Il est libre Max”. Quand j’ai entendu cette chanson, c’était la première fois que je me reconnaissais dans une chanson. Je me suis dit : “wow, cette chanson me fait quelque chose dans mon cœur, que ce soit dans les paroles, la mélodie…” Je la trouve douce et à la fois torturée, est-ce qu’il parle d’un autiste, d’un handicapé, de quelqu’un qui est mort ? Enfin je ne comprenais pas. Je me souviens d’avoir regardé le ciel et d’avoir ressenti mon premier émoi musical.

C’est marrant, tu écoutais déjà des trucs français volontairement…

Bien sûr ! Mais c’était important pour moi de comprendre les paroles. Quand je te dis : “Il est libre Max”, je me suis reconnu. Il y a un rapport mélodie/texte qui est très important. Un mot peut avoir beaucoup plus de sens suivant la mélodie que tu lui donnes. Ça peut appuyer le sens ou ça peut contrebalancer le propos. Comme dire des choses très dures avec une musique dansante. Il y a une espèce de déconnexion du propos qui est intéressante.

C’est quelque chose que tu as gardé ça.

Ouais, à fond. J’adore jouer de ça. Donner une deuxième lecture du texte grâce à la mélodie. Bah tiens, dans le morceau “Le château”, ça parle du suicide d’un de mes collègues au château de Vincennes, c’est pas cool. Mais j’ai voulu relativiser le propos, en le faisant sur une mélodie un peu plus dansante. Enfin, pas dansante, mais qui fait taper du pied, et qui m’a permis de ne pas dramatiser encore plus le propos.

Tu disais qu’à un moment, t’es passé à la musique anglo-saxonne. Tu situes ça quand ?

Collège. Au début du collège. C’est marrant, à l’époque, on demandait quel genre de musique tu écoutais. Ça n’existe plus ça. On ne dit plus : “j’écoute du rock”. Si t’écoutes qu’un seul style, t’es un peu quelqu’un de fermé, tu vois. Et en fait, au collège, tu choisissais quand même, soit t’allais avec les rappeurs, soit avec les rockeurs. Et moi je jouais à Tony Hawk, gros souvenir sur le 2, putain…

Il y avait beaucoup de musique dans les Tony Hawk !

Bah grave ! J’ai découvert énormément de musiques grâce aux jeux vidéo, d’ailleurs je pense que j’ai beaucoup trop joué à GTA Vice City et que c’est pour ça que j’écoute des trucs années 1980 à mort. Mais Tony Hawk, et du coup, rock donc t’écoutes du Nirvana, du Pink Floyd au collège, voire même du métal parce que ça fait genre dur à cuire, comme Slayer. Putain, j’écoutais System of a Down… “Wake up ! Nanananna…”

2. Et du coup, tu te souviens d’un morceau qui t’a vraiment marquée dans un jeu vidéo ?

The Buggles, “Video killed the Radio Stars”, dans GTA Vice City. J’adorais ce morceau. Et sinon, “Hey Oh, Let’s Go” des Ramones dans Tony Hawk, plus vieux. Ah aussi, un morceau pas trop connu mais que j’ai retrouvé dans plusieurs jeux vidéo comme les Tony Hawk justement, ça s’appelle “She Sells Sanctuary” de The Cult, qui était aussi dans Vice City. Va voir ça, ce morceau est top. Si tu as joué, tu vas reconnaître ce morceau. Mais ouais, beaucoup de rock.

Bah de toute façon, toi quand tu as commencé à faire de la musique, c’était clairement du rock, non ?

Ouais. Bah en même temps, dans les Ardennes, il n’y a que des groupes de métal.

Ah ouais ?

Ouais ! Parce que c’est un truc de culture du nord je pense, et tous les mecs qui voulaient se lancer dans la musique — bon, moins maintenant avec Internet qui permet de faire des trucs plus hybrides et variés — faisaient des concerts de rock et métal. Et moi, j’aimais bien ça. Surtout l’ambiance, je pense. Je crois que j’étais pas toujours fan, surtout que les groupes n’étaient pas toujours hyper bons, mais ouais, je sortais. J’ai… J’ai eu une période où j’allais dans des clubs en Belgique aussi, où j’écoutais des musiques un peu violentes. Mais c’est l’adolescence tu sais, tu quittes l’école, t’es en rébellion, j’ai quitté l’école à 15 ans… Grrrrr. Donc je me suis retrouvée dans plein de concerts, j’adorais ça.

3. Et ben, c’était une de mes questions à venir mais justement, est-ce que tu te souviens de ton premier concert ?

Toute seule ? Ouais.

Enfin deux choses, soit le premier où tes parents t’ont amenée, soit le premier où t’as décidé d’y aller…

Je peux pas le dire… le premier auquel mes parents m’ont ramenée parce que j’ai honte mais… C’était Henri Dès, et j’avais 6 ans !

Bah c’est cool, ça va…

C’est mignon, j’avais 6 ans et j’aimais bien !

Et du coup, le premier que tu aies choisi toi-même ?

Hum… Je devais être à Charleville-Mézières et j’avais pris un train pour aller à Sedan, plus petite ville, pour aller voir un groupe qui s’appelait RAJ, des bébés rockeurs. Et je crois que j’y allais pas pour le groupe, mais plutôt pour l’ambiance. Ils étaient Français mais ils chantaient en anglais. C’est marrant parce que moi j’étais fan, c’était LE groupe de rock qui commençait à tourner un peu en dehors de la région, ils étaient tout jeunes. Or, le chanteur, Rodrigue Huart, c’est celui qui a fait mon clip : “Y crois-tu”. Il fait des vidéos, il a fait un clip pour Juveniles dans lequel j’ai joué, enfin voilà. La boucle est bouclée. C’était un groupe de bébés rockeurs et c’était bien, voilà. J’y allais pour la soirée, et peut-être pour rencontrer des mecs, enfin tu vois…

Toute seule ou avec des potes ?

Toute seule. J’ai toujours été un peu solitaire, à partir sur des coups de tête solo.

T’as fait beaucoup de concerts après celui-là ?

Après celui-là, ouais. J’étais toujours fourrée dans des concerts. Et c’est d’ailleurs en allant à un concert de métal-fusion… Putain, qu’est-ce que c’est ringard… Enfin bon, je vais aller voir un groupe de fusion, et là, à l’époque où tous les mecs portaient leurs guitares hyper basses, aux niveaux des genoux, il y avait ce mec, qui l’avait là [elle mime une guitare de la poitrine, ndlr], et qui jouait comme ça. Il faisait que des grimaces tout le temps, il sautait partout, et il était torse nu. C’est quoi cet ovni ?” Du coup, je vais le voir après le concert, j’étais un peu admirative. On parle, on parle, on devient copains. Et c’est là qu’il m’a proposé : “mais ça ne te dirait pas de monter un groupe ? – euh, bah, comment ça ? – ouais bah juste tous les deux, on peut faire de la musique quoi – Euuuh, ouais, ok.”

Ça a commencé comme ça ?

Ouais. [rires]

Vraiment très…

Très naturellement ouais. Moi je commençais à connaître d’autres musiciens, je commençais à me dire que j’aimais bien la musique. Je ne voulais pas être chanteuse, pas du tout, mais je commençais à gratouiller vite fait. C’est très intrigant. Quand t’es gamin, t’as cette fascination de la scène. Du coup, quand il m’a proposé ça, j’ai accepté, j’étais honorée. Mais j’avais peur aussi, c’était un homme d’expérience, on avait 15 ans d’écart mais justement, je pense que ça le faisait marrer parce que j’avais 17 ans. Ah la vache, j’étais un bébé.

Tu disais que t’avais commencé à gratouiller la guitare à ce moment-là, pas avant ?

En fait, mon papa est un musicien frustré. Il aurait voulu faire de la musique, il vient d’une famille nombreuse très pauvre des Ardennes, il a dix frères et sœurs. Et je pense qu’il a toujours rêvé de faire de la musique, et il s’est acheté une guitare une fois. Comme ça. Sauf qu’elle traînait dans le salon et l’été où on est arrivés en Ardennes, où je connaissais personne, où je ne tombais que sur des fachos qui se traitaient de sales juifs entre eux, donc bon, c’était dur, j’étais solitaire, et je me suis à gratter. Mais je pense que pendant deux mois, j’ai dû faire 18 heures de guitare par jour, je pense que j’ai chopé le niveau que j’ai aujourd’hui. [rires]

4. Est-ce qu’il y avait un truc que tout le monde écoutait au lycée et que t’aimais pas du tout ?

Sniper, “Gravé dans la roche”. Moi j’étais dans l’équipe des rockeurs hein ! Je me rappelle d’un voyage scolaire, où ils écoutaient ça à balle dans le bus. Alors que maintenant, quand j’y pense, c’est quand même pas mauvais franchement, bien écrit. Mais à l’époque, j’étais là “non, non nonnnnnnn !”

T’es un peu rap maintenant ?

Je n’en écoute pas assez mais des fois j’écoute des trucs vachement bien. Pas très fan de rap actuel et du flow qu’il y a, un peu, trop, saccadé, comme, ça. Ça, ça m’énerve. Je ne comprends pas PNL. Par contre, j’ai une devise, “c’est ceux qui aiment qui ont raison”. En musique, tout du moins.

C’est beau ça.

Bah oui ! Tu vois, quand il y a des débats stupides sur “ça, c’est de la merde”. Tiens, Jul. Moi, ça ne me plaît pas. Mais les gens qui aiment Jul, ils ont 10 000 fois plus de raisons d’aimer Jul que moi je n’en ai de ne pas l’aimer. Donc bon, ce genre de débats…

Du coup, t’as quand même essayé d’écouter Jul ?

Bah je me suis intéressé au phénomène, évidemment. Ça ne me parle pas mais par contre, le mec est méga productif, il a un succès, il a l’air extrêmement proche de son public, il fait bosser ses potes. Enfin, ça a l’air d’être quelqu’un qui a de bonnes valeurs. Pour moi, c’est très important. Après, sa musique, je ne comprends pas mais ceux qui kiffent, tant mieux !

5. Tu me disais que ton premier groupe, c’était le fruit d’une rencontre au hasard, mais est-ce que tu te souviens du moment où tu as eu envie de te lancer, suite à un artiste, un album…

C’est pendant le premier concert qu’on a fait. Je le faisais un peu comme un loisir ce groupe. Je n’avais pas envie de faire ça de manière complète, je ne pensais même pas que c’était possible. C’est ouf, pour moi, ça n’arrivait pas, il y avait beaucoup trop de groupes. Et puis, j’avais aucune expérience… Et quand on a fait le premier concert, je me suis sentie dans un bonheur, un truc extrêmement complet. Et j’ai su que j’allais batailler pour faire ça beaucoup plus.

Il était où ton premier concert ?

C’était dans un petit bar à Charleville-Mézières, qui s’appelait le Baratin. C’était blindé de chez blindé. Ma mère a payé des coups à tout le monde, je pense qu’elle a dépensé un salaire ! “TU CONNAIS MA FILLE ? JE TE PAYE UN COUP !” Elle est adorable ! Mon père était là, tout le monde était là. C’était vraiment super. Tout le monde attendait le nouveau projet de Baptiste aussi, parce que voilà, le mec faisait du métal et il se met à faire du synthé avec une petite meuf, mais qu’est-ce qui lui arrive ? Les gens étaient un peu intrigués, et je me suis sentie dans une révélation. Donc voilà, c’était en plein dedans.

Ça a duré combien de temps ton groupe ?

4 ans. 4 ans et puis on s’est arrêté. On a fait un mauvais concert pour la sélection du Printemps de Bourges. Alors déjà, la compétition de musique, j’ai pas compris. Ça m’a rendu malade, je te jure. On a fait un concert de merde, on est sorti et on s’est dit : “on arrête”. Comme ça. On est là pour kiffer.

Je pense que mon pote, quand ça a commencé à marcher un peu et à s’exporter, alors attention c’est pas du tout négatif et j’ai beaucoup de respect pour ça, mais il était confortable dans son amateurisme. C’est-à-dire qu’il était très heureux d’être le musicien le plus chanmé des Ardennes, mais dès qu’il s’est retrouvé à Reims, à Paris, il était perdu. Il avait l’impression d’être un petit poisson dans un énorme bocal. Puis il n’avait pas spécialement envie de bouger.

Moi, j’avais compris que je voulais faire ça, je veux conquérir le monde, je veux aller jouer partout, je veux faire plein de musique. Et lui me disait : “bah non, moi je veux rester à Sedan, m’occuper de ma mère”. Donc déjà, il y avait un petit peu ça. J’ai commencé à m’installer à Reims, pour les répets c’était pas facile. J’étais beaucoup plus jeune que lui, c’est normal. Ma vie débutait, voilà. Aujourd’hui, on se respecte énormément, je lui rendrais toujours honneur, c’est grâce à lui que je suis là. Il a encore un groupe de rock vénère, complètement foutraque et barge, j’adore.

C’est à ce moment-là que t’as voulu faire ton truc solo ?

Bah ouais, je me suis retrouvée seule. En plus, je venais de me faire plaquer, enfin bref, j’étais pas top. J’arrive à Reims, et là, mon coloc, qui était mon ingé son sur mon ancien groupe, s’est acheté un iPad mais il partait tout le temps bosser donc j’étais toute seule et je lui demandais si je pouvais lui emprunter. “Ouais, vas-y.” Je lui ai jamais rendu. [rires]

J’étais sur GarageBand et je me suis mise à faire plein de petites mélodies, ça m’a fait beaucoup de bien. Toutes mes petites peines de cœur, et autres. J’ai commencé à écrire “Un beau langage”, qui a peut-être été le troisième morceau que j’ai dû écrire sur l’iPad. C’est vraiment un vieux morceau. Bref, voilà, petit iPad, puis j’ai mis un an à me faire un petit répertoire. Puis j’ai fait mon premier concert pour un vernissage d’une copine dans un tout petit village, fin 2013. Ça remonte déjà, putain.

Il s’est passé quoi entre ton premier concert et maintenant ?

Bah après, je vivais à Reims, j’ai fait plein de petits concerts dans la ville et un jour, je vais voir un concert de Orval Carlos Sibelius et Moodoïd. Je suis devenue pote avec leur ingé son. Il me dit : “oh, tu nous enverras ta musique, c’est cool.” J’envoie ma musique et l’ingé son me dit “putain, c’est trop bien, ça ne te dirait pas de jouer à Paris ?”

J’ai fait quelques concerts à Paris et ici, bizarrement, les gens ont kiffé. J’étais surprise, parce que les gens sont exigeants. Et un jour, avant qu’on fasse un concert dans une église, mon ingé son me dit : “Mais putain Flora, tu veux pas faire un disque ?” ; “Ouais, je sais pas, mes maquettes sont pas prêtes, j’ai pas envie de les envoyer à des gens” ; “Bon vas-y, on s’en fout, ce sont des maquettes, moi je vais les envoyer à des gens, je ne te dirais pas qui.”

Il les envoie à Melissa, qui est mon attaché de presse, et qui a monté son label Tomboy, qui a dit : “non, je kiffe pas.” [rires] Et il envoie aussi à Entreprise, qui répond du tac au tac, “putain c’est intéressant, elle joue quand ? Il faut qu’on aille la voir”. Voilà que mon ingé son me dit que quelqu’un d’Entreprise va venir au concert dans l’église, moi j’avais trop peur. On fait le concert et la semaine d’après, on était dans leurs locaux pour parler de contrat. Ce sont des petits évènements qui font un tout. Et voilà, on en est là maintenant. Ça fait peur, non ?