Les 20 films de l’Étrange festival 2018, du plus classique au plus glauque

Les 20 films de l’Étrange festival 2018, du plus classique au plus glauque

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Nicolas Cage dans le sémillant “Mandy”.

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Par Benjamin Benoit

Publié le

Comédie musicale de zombies, plan-séquence d’une heure trente, la vengeance de Nicolas Cage…
La 24e édition de l’Étrange festival s’est clôturée au Forum des images à Paris en septembre. Films bizarres, déviants ou de genre, 21 projets passionnants ont été mis en compétition cette année. On va en retirer un (The Field Guide to Evil, un film à sketches aussi obscur qu’inégal) et les classer du plus normal au plus bizarre. Plus vous descendez, plus l’expérience est déroutante !

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20) The Spy Gone North, Yoon Jong-Bin


Ce long film d’espionnage raconte les exploits de Black Venus, un espion engagé par les services secrets sud-coréens pour infiltrer le Nord. Nous sommes en 1993 et les relations entre les deux pays ont un poids direct sur les élections du Sud. Qui manipule qui ? Une question trop complexe pour nous, pauvres hères, mais Black Venus va progressivement gagner la confiance des dignitaires du Nord jusqu’à̀ rencontrer Kim Jong-Il himself.
Il opère seul, sans filet, et avec un sens de l’audace proverbial. Assez intemporel, bien ciselé, The Spy Gone North fait tout à fait le taf et est tout à fait historique – strictement rien de bien déviant ici, mais ce film, le plus hors sujet de la sélection, a remporté́ le Grand prix et le prix du Public du festival.

19) A Vigilante, Sarah Daggar-Nickson

Une femme surentraînée s’occupe de venger les autres femmes (rarement les hommes, parfois enfants) opprimées, violentées ou abusées. Quelques pains dans la gueule, quelques démarches administratives pour régler des transferts de biens, et c’est réglé, au revoir, il ne vous embêtera plus.
Cette femme avait elle-même un enfant, qui n’est de toute évidence plus là, et son corps est couvert de cicatrices. Rien d’étrange ou de science-fictionnel, c’est une histoire de vengeance tout ce qu’il y a de plus classique.

18) Killing, Shinya Tsukamoto

Un film de sabre à l’ancienne. Un samurai, des mercenaires, un crime originel, une histoire de vengeance, un sensei ambigu, et ça croise le fer dans les bois comme s’il n’y avait pas de lendemain. Quelques membres qui sautent à la fin du film, quelques dispositifs techniques intéressants, mais rien à signaler.

17) Perfect Skin, Kevin Chicken


À Londres, un tatoueur zinzin (un espèce de mélange entre David Caraddine et Bowie), incarné par David Brake, le night king de Game of Thrones) retient en otage une touriste de passage pour la transformer progressivement – comprendre la tatouer et l’affubler de quelques bodymods.
Sur des rails et un poil trop télévisuel, ce film n’a pas grand-chose pour lui, sinon sa simplicité. Le taux de chelou est très faible ici, sinon quelques morceaux de corps dans le congélateur et un personnage qui aime se suspendre par… la peau des genoux.

16) Buy Bust, Erik Matti

The Raid version philippine. Une équipe de gros bras un peu clichée accueille Nina, nouvelle venue, et vont tous passer la pire des nuits dans un bidonville de – probablement – Manille. Ça ne sera pas une partie de plaisir.
Buy Bust est un effort malin mais sensoriellement un poil pénible, où les sosies de Michelle Rodriguez et de The Rock évoluent, comme dans un jeu vidéo, à travers des masures aux rues inondées par une pluie torentielle. (Le quartier n’est pas très aux normes niveau électricité et sécurité, ça a son importance sur une scène).
Deux heures de baston et de gunfights non-stop, chorégraphiés avec talent et goût. C’est un peu con, c’est un poil cliché, mais l’exécution est remarquable. Les fétichistes du plan-séquence ont droit à un petit bonbon sur la fin. Pas bizarre pour un sou, mais ce film n’a rien à envier à ses modèles.

15) Utoya, 22 juillet, Erik Poppe


La séance “choc” du festival. La formule est consensuelle et sort directement du livret du festival, mais elle est véridique. À ne pas confondre avec le film de Paul Greengrass à venir sur Netflix, Utoya est un retour en plan séquence intégral sur la journée de meurtres, en juillet 2011, d’Anders Breivik – qu’on ne verra jamais vraiment –, monstre déshumanisé aux idées d’extrême droite et voulant épurer toute personne non norvégienne de souche (et, en l’occurrence, un camp de vacances du parti des jeunes travaillistes). 69 morts plus tard, il appellera lui-même une police médusée.
Tout le film est en plan-séquence et suit une victime de cet attentat. Un parti pris technique évident : l’immersion sensorielle, la reconstitution de cette attaque interminable. L’expérience est terrifiante et nous n’en menions pas large. Utoya est un film salutaire.

14) Up Upon the Stars, Zoe Berriatua

Nous sommes en Espagne. Un papa hirsute et alcoolique, au bout du rouleau, fait le deuil de sa femme qui s’est “noyée dans son bain”. Il a été réalisateur dans une autre vie, a nommé son fils Ingar, et les deux traversent l’adversité en essayant de faire un film de science-fiction pour essayer de tourner la page. Bien sûr, le film est bien plus sympa et facile à imaginer qu’à tourner, surtout quand on a plus un kopek.
Vous l’aurez deviné, ce film est la caution tristoune du festival. Hommage à la cinéphilie et aux vieux films réalisés de bric et de broc, sources de quelques séquences visuellement charmantes, Up Upon the Stars se permet quelques passages “suédés” amusants. Du reste, c’est classique et un peu prescriptif, mais efficace.

13) The Dark, Justin P. Lange et Klemens Hufnagl


Le pitch, simple, fait toute la loufoquerie du film et donne une impression de jamais-vu : une petite zombie se lie d’amitié avec un jeune garçon défiguré, aveuglé par un pervers qui le retenait en otage. Ce dernier est vite occis par la première, et les deux enfants vont survivre ensemble quelque temps.
Ce film, qui cultive une histoire limpide de vengeance et de rédemption, n’offre pas de grande surprise formelle, mais son efficacité en fait un parfait objet pour un tel festival. Mignon et gore à la fois.

12) The Nightshifter, Dennison Ramalho

Il parle aux morts. Ça tombe bien, il est médecin légiste. Et comme une bonne coïncidence n’arrive jamais seule, il se retrouvera en deux-deux en pleine guerre des cartels. Quand on parle aux morts, on a quelques tuyaux sur qui a dessoudé qui, idéal pour se venger de sa femme qui couche avec quelqu’un d’autre… Mais, oups, maintenant elle est morte aussi, et toute la famille est maudite.
Ce film brésilien, l’un des meilleurs pitchs de cette compétition, est un peu trop long pour son propre bien. Naturaliste et morbide, il parle de plein de choses : de jalousie, de possession (métaphorique et physique), de famille et du Brésil. Et de cadavres trop bavards.

11) L’Heure de la sortie, Sébastien Marnier

https://www.youtube.com/watch?v=NIvrghVxvRE
Grosse avant-première pour ce film français qui devrait faire grand bruit à sa sortie, prévue pour début 2019. Le réalisateur d’Irréprochable signe ici un deuxième film au pitch intriguant : après le suicide d’un prof qui se défenestre devant ses élèves, un suppléant, incarné par Laurent Lafitte, prend la relève, le temps de finir sa thèse.
Il va se confronter à une bande d’élèves surdoués, tous plus inquiétants les uns que les autres, qui au fil de l’intrigue se révèlent bizarrement suicidaires, comme zombifiés. Une sorte de jeu va se mettre en place entre eux et le prof suppléant, façon “qui est le plus fou d’entre nous ?”, quand ce dernier commence à les suivre… Jusqu’à une fin très Lars Von Trier, dont on vous laisse la surprise.
Politique, esthétique, L’Heure de la sortie emprunte parfois au film de zombies et entretient une atmosphère de malaise, dont Sébastien Marnier a le secret.

10) Dachra, Abdelhamid Bouchnak


Dans ce film d’horreur tunisien, un groupe d’étudiants en journalisme réalise un reportage sur une soi-disant sorcière. Leur enquête les mènera jusqu’à un village où les habitants ne mangent que de la viande crue, où les femmes n’ont pas voix au chapitre et où les évènements inquiétants s’enchaînent.
On trouve dans Dachra une scène de repas particulièrement ignoble, qui rappelle celle d’eXistenZ. Le réalisateur tunisien Abdelhamid Bouchnak a un talent inné pour créer un sentiment de malaise et exploiter la tradition orale – qu’il décrit lui-même comme passéiste – pour construire une histoire de Sheitan rondement menée.

9) Life Guidance, Ruth Mader

“Alexander Dworsky mène une vie parfaitement réglée. Sa carrière professionnelle et familiale est une réussite, tout semble se passer à merveille dans cet univers à la gloire de la réussite et de la productivité. Mais un jour, Alexander commence à douter”… et il fait alors appel à Life Guidance, une société qui suit ses moindres faits et gestes.
Quiconque verra ce long-métrage allemand sera tenté d’y voir une ressemblance avec la série Black Mirror, pour son récit d’anticipation situé dans un futur proche. Mais ce film, plus métaphorique que Black Mirror, s’approche davantage de The Lobster : un film déroutant, qui cherche volontairement à créer de la confusion chez le spectateur.
Dans la première scène, par exemple, une chorale d’enfants chante, mais suffisamment faux pour que ça en devienne gênant. Voilà, cette scène est à elle seule est une bonne description du reste du film.

8) Amalia, Omar Rodriguez-Lopez

Noir et blanc, structure et liens flous, le tout filmé avec distance et retenue : le long-métrage d’Omar Rodriguez-Lopez joue la carte arty. Amalia, c’est cette femme en plein deuil, après la mort de sa mère, qui se rend compte de l’infidélité de son mari juste avant que celui-ci ne meure également.
Au programme, on vous promet vengeance, vent de folie et retournements de situation. Si bien, qu’on ne saura pas vraiment à qui se fier dans cette histoire. Ici, tout est ambigu : les langues, l’humeur, les frontières entre les États-Unis et le Mexique. Il ne manquerait plus qu’un monstre à deux têtes pour compléter le tableau.
Si ce film se classe en 8e place, c’est autant pour son ambiance crasseuse et la confusion qu’il engendre que pour son propos ambivalent. Mais d’aucuns pourraient aimer la photographie soignée du film.

7) The House That Jack Built, Lars von Trier


Le dernier Lars von Trier était lui aussi de la partie. Anciennement persona non grata de Cannes, récemment mis en cause par Björk, Lars exploite le filon de ce qu’il a quasiment érigé au rang d’art : la provocation. Et déroule, en cinq actes, le parcours d’un serial killer à la fin du XXe siècle.
En guise de mise en bouche, on retiendra ces mots de Gaspar Noé qui promet un film “ludique […] où l’on ne s’ennuie jamais”. Tout au long de l’intrigue, les mutilations d’animaux, d’hommes, de femmes, d’enfants s’enchaînent sur fond d’humour extrêmement noir. Pendant la projection, la salle a laissé échapper quelques rires, probablement plus nerveux que sincères. Mais on ne peut pas lui retirer ça : le cinéma de Lars von Trier est unique.

6) Anna and the Apocalypse, John McPhail


Il fallait le faire : Anna and the Apocalypse est une comédie musicale de Noël… et un film de zombies. Plus surprenant, c’est aussi un film de lycée british, qui laisse une légère impression de production Disney Channel. L’ensemble et les chansons sont un peu neuneus, mais suffisamment énergiques et pince-sans-rire pour faire sourire de temps en temps.
Anna and the Apocalypse est un film tout à fait inoffensif, qui fait passer un agréable moment, et c’est finalement ce qui compte. Et puis, il faut bien le reconnaître, une comédie musicale de zombies, tordante dans ses meilleurs moments et flegmatique comme l’était Shaun Of The Dead.

5) Meurs, monstre, meurs, Alejandro Fadel

Plusieurs femmes sont retrouvées décapitées en plein milieu de la Cordillère des Andes. Un duo de flics au bout du rouleau tente d’élucider l’affaire. Spoiler : ces meurtres ont été commis par un montres aux tentacules phalliques et à la tête de vagin.
On a toute votre attention avec ce pitch ? Bien. Malheureusement, ça ne va pas servir à grand-chose. Un poil soporifique, le film peine à faire sens. Bourré d’incohérences et d’images particulièrement moches (mmmh, des petits vieux qui bavent au moins cinq litres de liquide gluants…) Meurs, monstre, meurs a largement mérité sa place de 5e dans ce top.

4) May The Devil Take You, Timo Tjahjanto


Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de voir un film d’horreur indonésien, merci l’Étrange Festival ! May The Devil Take You, alias Sebelum Iblis Menjemput, narre l’histoire d’une famille possédée : un homme passe un pacte avec le Malin, fait fortune, et meurt mystérieusement quelques années plus tard. Mais la malédiction ne s’arrête pas là, toute sa famille et belle-famille va payer les conséquences de son pacte.
Grosso modo, on part sur un massacre perpétré avec tout ce qui peut constituer une arme dans une vieille maison. On vous la fait en version courte ? C’est l’équivalent indonésien d’Evil Dead, et ça devrait suffire à piquer votre curiosité. Allergiques aux jumpscares, attention à l’overdose.

3) Luz, Tilman Singer

Vous avez l’impression en regardant Luz d’être devant un film de fin d’études ? C’est normal, c’est le cas. Ce long-métrage allemand suit une conductrice de taxi en transe qui reconstitue un accident où plus grand-chose n’est normal. Progressivement, de “Que s’est-il passé ?”, le film glisse vers un “Que s’est-il passé ???!!!”, un poil hystérique.
Dans Luz, l’essentiel du film tient dans cette reconstitution qui va tourner au vinaigre dans un commissariat miteux. Le tout finit par prendre une dimension satanique, avec un coté vintage drôle. Pellicule sale, parfois grattée, économies de moyens dans les effets spéciaux (au demeurant, quand même réussis)… Luz est un parfait objet de festival de genre, qui arrive à installer et tenir son ambiance singulière, sans durer des heures.

2) Perfect, Eddie Alcazar

Attention, nous entrons avec ce film dans une contrée sauvage, celle du “trip esthétisant”. Produit par Steven Soderbergh, présenté comme un héritier de Terrence Malick (rien que ça), Perfect explose le compteur du “chelou-o-mètre”.
On y suit le parcours d’un jeune homme qui, après avoir assassiné sa petite amie, est envoyée en “thalasso métaphorique”. Chaque jour, il reçoit un petit morceau de pureté qu’il s’implante dans le corps, en se charcutant copieusement au passage. Très esthétique et onirique, Perfect perdra bien quelques spectateurs en chemin, mais on apprécie le zèle du réalisateur qui pousse le délire à son paroxysme.

1) Mandy, Panos Cosmatos


An de grâce 1983. Nicolas Cage le bûcheron vit pépouze avec sa femme dans un havre de paix wasp. Mais Nic Cage subit l’attaque d’une bande de néo-hippies ayant pactisé avec des démons, qui tuent sauvagement sa femme.
Nic Cage est triste. Nic Cage va se venger, mais pas avant d’avoir chouiné un bon coup (entre deux lampées de vodka). Nic Cage forge une hache et bute les méchants. “Tout ça n’avait aucun sens !”, chouine-t-il plus encore. Et de raconter ensuite toute la première moitié du film. À la fin, il se bat avec une tronçonneuse et coupe quelques têtes.
Prodigieusement crétin et tout à fait conscient de l’être, Mandy a été discrètement programmé à Cannes et ne sera jamais distribué. Ce qui est un crime pour ce parfait objet de festival.
Il y a plusieurs films dans ce film : une longue, looooongue intro hallucinée qui singe tout le monde, de Lynch à Winding Refn. Et soudain, le film se transforme en série Z assumée. Chaque plan contient un truc génial ou hilarant : Nic Cage devient Jean-Claude Van Damme, Nic Cage claque des punchlines, Nic Cage casse des têtes. C’est un voyage sans retour parfaitement jouissif.
Restez aux aguets, il se pourrait bien qu’il apparaisse dans votre champs de vision d’une manière ou d’une autre. Bravo Mandy, tu as été le film le plus à part et le plus réjouissant du festival.
Point bonus : c’est l’ultime bande-son originale de Jóhann Jóhannsson.