Entretien : Madjo change de peau

Entretien : Madjo change de peau

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Par Constance Bloch

Publié le

Je pense que l’auto-production s’est présentée par la force des choses. J’ai travaillé sur Mercury pour le premier album, on l’a sorti ensemble, je pense que c’était trop gros, ça s’est pas forcément bien passé, on ne parlait pas forcément la même langue, on ne regardait pas au même endroit.
Avec la génération Internet, les majors préfèrent récupérer davantage des artistes qui font le buzz que développer des artistes sur le long terme. Moi qui suis un peu trop old school, j’ai un peu un regard sur ce qui est une carrière artistique sur le long terme, donc on n’était pas en accord. Ils ont travaillé deux mois, vraiment sur un rapport très mainstream.

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Cette première fois lui permet d’identifier ce qu’elle veut, et ne veut pas. Madjo a besoin de pleinement récupérer les rennes de sa carrière et décide donc de se détacher totalement de la Major. Une décision qui lui a demandé du courage et qui constitue une véritable prise de risque – notamment financière.
Pour mettre au monde ce deuxième opus, la chanteuse a eu besoin de se couper de son quotidien, de quitter Paris quelque temps. “Je me suis plus isolée à essayer de trouver qui j’étais vraiment”, nous raconte-t-elle. Le but est de se recentrer, de se reposer après une grosse tournée – 200 dates – et de vraiment explorer ses désirs musicaux.

Pour la jeune femme de 32 ans, qui est née à Évian-les-bains et a grandi en Haute-Savoie, l’essentiel est donc de prendre du temps et du recul sur son premier album, afin d’éviter certains écueils. “Avec la distance, il y a du bon et du moins bon. J’ai peut-être fait l’erreur de vouloir mettre tout sur cet album, sans forcément faire le tri. Du coup c’était assez explosé et éparpillé“, confie-t-elle dans un sourire. “J’ai moins osé de choses, j’étais plus réservée, la voix est un peu rentrée“.
Afin de modeler ce deuxième opus, elle s’entoure alors d’une petite équipe de musiciens et ingénieurs du son, même si à un moment, il a “fallu aller chercher une équipe de photographes, vidéastes” car “il n’y a pas que la composition, il y a aussi tout le reste“.
Par “tout le reste”, Madjo fait surtout référence au marketing qui entoure la sortie d’un album, l’image créée autour d’un artiste et de sa musique. “Surtout en ce moment, c’est devenu tellement central“, poursuit-elle avant d’ajouter “quelques fois, ça me débecte un peu“.
Pour Invisible World, la chanteuse a donc décider de faire moins de consensus afin d’aboutir à un objet plus proche de sa personnalité :

Avec la distance, je suis fière du deuxième album dans sa totalité. Le premier, il y a des titres que j’assume moins avec le temps. Comme certains titres en francais, y’a des morceaux où je n’ai pas été jusqu’au bout, il fallait des titres alors ils ont été gardés sur l’album. Par exemple, je ne pourrais pas les réintégrer sur le deuxième spectacle. Ça ne correspond pas à ce que je suis aujourd’hui. Sans rejeter.

Sur son deuxième opus, il n’y a donc que des titres en anglais. “C’était plus une histoire de ressenti que d’intellectualisation. C’est venu naturellement“. Mais cela vient aussi du fait que certains médias, à l’époque de la sortie de Trapdoor, n’ont pas été tendres avec le mélange des deux langues sur l’album :

On m’a beaucoup reproché de chanter dans les deux langues dans le premier. C’est quelque chose qui est pas mal revenu de la part des médias. Mais pas du public. Les médias sont plus scolaires.


Il y a donc une vraie rupture avec Trapdoor à tous les niveaux, “j’avais vraiment besoin de sortir de ce côté la gentille “Madjo folk, douce”, et c’est pas forcément les modèles artistiques que je revendique et j’avais besoin de casser ces carcans dans lesquels on commençait un peu à me mettre”.

“J’ai commencé par le classique”

Définir le style musical de Madjo est compliqué, encore plus après un changement de cap. Elle-même ne saurait vraiment le qualifier. Après quelques secondes d’hésitation, elle répond que “ce n’est pas facile“. Finalement, elle emploie le terme “alternatif“. “Comme ça je revendique le fait d’avoir le “do it yourself music”. Mais ma musique c’est un mélange de plein de choses en fait. J’ai du mal à me mettre dans des cases. Y’a de l’électronique, un côté vocal, un coté aérien“.
Ses influences aériennes, elle les nourrit de la scène anglo-saxonne. “J’adore Radiohead et comme beaucoup de monde j’ai été touchée par Portishead. Mais plus la scène anglaise que tout ce qui se fait en France. Je suis plus touchée par la culture anglo-saxonne“, confie t-elle.
Passionnée par la musique depuis son enfance, c’est à l’âge de trois ans qu’elle commence à exprimer son désir de faire de la musique. Elle devra attendre ses cinq ans pour que ses parents l’inscrivent enfin au conservatoire :

J’ai commencé par le classique, j’ai fait pas mal d’années de violon. Je suis restée longtemps dans un parcours plutôt classique et lyrique. Puis j’ai fait une école de musiques actuelles, là tu abordes un peu tous les styles de musique quand j’avais 18/19 ans. Et j’ai commencé à écrire mes premières chansons en sortant de cette école. Je suis venue à Paris à ce moment-là.

Mais Madjo ne se contente pas de son archet, et sait jouer de plusieurs instruments, “je suis un peu une touche-à-tout. Les machines, la basse, les guitares, le piano“, explique-t-elle. Elle écrit également ses textes, inspirée par “beaucoup de poésie anglo-saxone, Emilie Dickinson, E.E Cummings, Virginia Woolf […] j’ai été plus imprégnée de littérature que de musique sur cet album.”

Introspection

Mais la source principale d’inspiration pour Invisible World, c’est son passé, sa famille et ses racines. Comme Madjo, qui est la contraction de “Madeleine et Joseph”. Elle raconte :

Ce sont les premiers propriétaires de la maison de mes parents, celle où j’ai grandi et où j’ai écrit cet album. Sur la devanture, il y a écrit “Madjo”, et sur l’acte de vente il y avait les deux prénoms des anciens propriétaires. “Madjo” c’est plus l’histoire de mes grands-parents, de mes parents, et des murs de cette maison. Ça a été thérapeutique on peut dire.
Mon grand père est mort dans cette maison, il y a vraiment toute une histoire de famille. Et je ne pense pas que ce soit un hasard que j’ai eu besoin d’aller enregistrer dans ses lieux. Je pense qu’il y avait des points d’interrogations, des zones peut-être d’ombre sur ma généalogie familiale que j’avais besoin de comprendre.

Madjo livre avec Invisible World un album composé de 11 titres maitrisés et intimes, qui nous font flotter dans une atmosphère délicieusement électronique, et nous font rêver à des horizons doucement mélancoliques. Depuis début mars, elle a repris la route pour une tournée française (les dates ici), et retrouve enfin sa scène chérie. Avec une pointe d’appréhension et beaucoup d’excitation, elle est prête à retrouver son public :

Je vais sûrement perdre des gens, qui m’ont suivie sur le premier [album] mais ne le feront pas sur le deuxième. Je vais aussi surement rencontrer d’autres gens. Après je pense que c’est pareil pour beaucoup d’artistes. Ils vont sortir un premier album qui va plaire à certaines personnes et puis le deuxième les gens n’adhéreront pas. C’est le jeu.