Retour sur le Disquaire Day : dans la peau des vendeurs de vinyles passionnés

Retour sur le Disquaire Day : dans la peau des vendeurs de vinyles passionnés

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Par Matthieu Petit

Publié le

Inspiré directement de son cousin américain, le Disquaire Day existe aussi dans nos contrées. Conçu en 2011 pour mettre en avant les disquaires indépendants, l’événement est devenu au fil des éditions un rendez-vous incontournable du monde de la musique. Entre concerts, opérations spéciales et raretés, le Disquaire Day a-t-il perdu de sa matière première ? Eléments de réponse avec trois disquaires indépendants parisiens. 

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Bien installé derrière son comptoir, Maxime prend un soin tout particulier à mettre en route le vinyle qui va raisonner dans toute la boutique. Tandis que notre entretien commence, les baffles crachent un garage rock nerveux, un son qui a fait la signature et le succès de Born Bad. Voilà deux ans qu’il a rejoint cette boutique de la rue Saint-Sabin fondée en 1998 par Iwan Lozach et Mark Adolph, qui officiaient auparavant rue Keller. “Je fréquentais déjà la boutique avant d’y travailler, nous confesse-t-il. Je tenais également une émission de radio sur Radio Campus où j’avais fait venir un groupe signé sur le label de Born Bad [fondé en 2005, soit bien après l’ouverture de la première boutique]. On m’a proposé de venir bosser ici car je connaissais ce milieu et qu’il m’intéressait.”

Une niche de passionnés en crise limitée

Que cela soit du côté de ceux qui se trouvent derrière le comptoir ou de ceux qui zigzaguent entre les rayons, le son de cloche reste le même : les disquaires restent l’affaire de passionnés. Et contrairement aux apparences, leur existence n’est pas immédiatement menacée. “On pense qu’il existe de moins en moins de disquaires, mais ce n’est pas vrai, continue Maxime. Tu en as peut-être 5 ou 6 qui ont ouvert ces quatre dernières années rien qu’à Paris. C’est quelque chose de structurel qui n’appartient qu’à la France : si tu ouvres une boutique, ton loyer est payé pendant 3 ans par le CALIF [Club Action des Labels Indépendants].” 

Une aide dont a bénéficié Franck, patron du disquaire Ground Zero que l’on trouve du côté de la rue Faubourg-Poissonnière. “Très honnêtement, je n’aurais jamais ouvert sans cette aide-là, nous glisse-t-il. Clairement, c’est en partie grâce à cela que beaucoup de disquaires ont ouvert.” Alors que l’on pensait qu’Internet avait tué nos disquaires indépendants préférés, voilà que l’on apprend qu’un système leur permet de voir le jour sans prendre de trop gros risques. Nous mentirions donc sur l’absolue nécessité de les sauver chaque année ?

“Il faut remettre les choses dans le contexte lorsque l’on parle de la crise du disque, car c’était il y a 10/15 ans, continue Franck. Internet n’était pas encore à son apogée comme aujourd’hui. Tu avais toujours des gens qui aimaient encore le support disque et qui ne savaient pas très bien où en acheter car des enseignes comme la FNAC en vendaient de moins en moins. Dans ce contexte, on s’est dit pourquoi pas, après tout !”

Même son de cloche du côté de Maxime : “Je pense qu’il faut se méfier du prisme médiatique qui fait croire qu’Internet a tué le disque. Il a toujours existé une minorité de gens passionnés de disques et qui continuent à en acheter. Si les ventes ont baissé, cela s’explique par des raisons surtout économiques.” On le sait : se procurer un disque n’est pas forcément à la portée du premier portefeuille venu. Pourtant, les disquaires indépendants qui fonctionnent s’alignent sur des prix moins chers que ceux vendus dans les grandes enseignes !

“On a toujours ce réflexe du gros supermarché qui est moins cher que les petits, ce qui est vrai pour un pot de moutarde par exemple, s’amuse Franck. Mais ce n’est pas vrai pour les disques : on est toujours moins cher que la FNAC, hormis les prix nouveautés. On nous a formatés à aller dans ces endroits, on sort de 20 ans de culture française subie !”

Malgré cela, Internet a tout de même amené les disquaires à repenser leur ligne artistique en élargissant quelque peu leurs stocks, notamment du fait de la possibilité d’écouter tout type de musique en un clic. “Le public est moins divisé par chapelles qu’il a pu l’être dans les années 1980 ou 1990, pense Maxime. Les générations qui viennent d’Internet ont les oreilles un peu plus ouvertes.”

Une opération unique mais contrastée

Mais il ne faut pas se leurrer : les ventes de disques baissent malgré tout depuis quelques années. À tel point que du côté de Ground Zero, on ne se concentre désormais plus que sur le vinyle. Une tendance dont s’est largement inspiré le Disquaire Day, créé en 2011 par… le CALIF. Chaque année, près de 260 disquaires indépendants participent à cette opération en proposant une flopée de vinyles inédits, de rééditions et de raretés dans près de 90 villes françaises. En plus de ces disques, bon nombre de disquaires organisent également des concerts, des DJ set ou encore des conférences sur des thèmes liés à l’industrie du disque.

C’est notamment le cas de Souffle Continu, une boutique fondée en 2008 dans le 11e arrondissement et qui  a participé à une table ronde du côté de la Recyclerie. “C’est un tel investissement qu’effectivement, c’est une grosse journée, concède Théo, l’un des fondateurs. C’est un risque à prendre pour les disquaires car lorsque l’on fait les commandes pour ce jour, on le fait un peu à la loterie car on ne sait pas vraiment ce que l’on va avoir, également en terme de quantité. Certaines boutiques ont dû fermer aux États-Unis à cause de cela…”

Une cargaison d’inédits que les disquaires sont parfois obligés de vendre à des prix très importants, au grand dam de Maxime.

“Plus le temps passe et pire c’est. Quand tu regardes le prix des disques, c’est à mourir de rire : t’en as pas un à un prix normal. Pour un disque produit localement, tu touches entre 7 et 10 euros et tu le revends entre 15 et 20, ce qui constitue un prix relativement normal. Là, tu as des disques qui sortent à 30, 40 euros… On joue sur le fétichisme d’un objet. On réédite des CD qui pour la grande majorité se trouvent facilement en brocante à 5 euros, soi-disant avec des trucs audiophiles, mais on se moque un peu du monde.”

Même son de cloche du côté de Ground Zero et de Franck. “C’est devenu quelque chose qui dépasse complètement les disquaires. Au départ, c’était une fête américaine pour les sauver, mais désormais c’est un peu la foire. Tu as autant de monde chez les disquaires que dans n’importe quel bar qui accueille 3 labels, tu as des soirées partout, des concerts… Au final, tu as plus de monde partout que chez les disquaires !”

De la musique et du commerce

Pourtant, difficile de le nier pour chacun de ses disquaires : leur chiffre d’affaires réalisé durant cette journée est très important.

“C’est difficile de cracher dans la soupe, admet Franck. Je suis le premier à dire que c’est récupéré et d’un autre côté, on n’aurait pas autant de monde sans cette récupération. C’est une chance économiquement parlant. Je ne peux pas faire l’impasse, dire que je boycotte le Disquaire Day, car c’est comme si j’étais fleuriste et que je disais : allez, je boycotte la fête des mères car c’est une fête commerciale !”

Si la fétichisation du vinyle a joué dans le côté excessif du Disquaire Day, il ne faut jamais oublier que les disquaires restent des commerçants, bien que passionnés de musique avant tout.

“On fait ce métier car on aime ça, continue Franck. On aime la musique, découvrir des nouveaux groupes, on est tous un peu musiciens, mais on a une société. On n’est pas une association à but non lucratif, on a un salaire grâce à ça. Et on sait que l’on va vendre durant cette journée. J’ai envie de tenir un double discours mais il faut être honnête : on est content de faire un gros chiffre.”

Ne faudrait-il pas dès lors prendre le Disquaire Day comme un moment à part dans la vie d’un disquaire indépendant ? La clientèle qui s’y rend incite Maxime à le penser ainsi. “Même si c’est un coup de projecteur, je ne pense pas que cette journée puisse amener un nouveau public, plus élargi. 95 % des personnes qui viennent pour le Disquaire Day ne reviennent jamais”. “C’est un public de collectionneurs, prolonge Théo. On ne le revoit pas à l’année. Tu as même des gens qui spéculent sur Internet en revendant le vinyle acheté près d’une heure après. Pas sûr qu’on le revoie non plus…”

Voilà finalement le seul défi pour les disquaires : concilier les aléas d’un métier à la vitrine artistique mais avant tout commercial. Une mission pas si impossible que ça, finalement.