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On a parlé musique et jeunesse avec Demerit, le groupe phare du punk chinois

On a parlé musique et jeunesse avec Demerit, le groupe phare du punk chinois

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Par Juliette Geenens

Publié le

Demerit, emblématique groupe de punk en Chine, est venu faire trembler les murs du Cirque électrique à Paris, le vendredi 8 avril dernier, avec son rock lourd et nerveux. On s’est demandé à quoi pouvait bien ressembler la musique et la vie des punks de Pékin, c’est pourquoi nous sommes allés à leur rencontre.  

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À les voir comme ça, les quatre Chinois du groupe de punk hardcore Demerit ressemblent à n’importe quels fans de rock hardcore. D’ailleurs, Municipal Waste ou encore Agnostic Front sont leurs groupes fétiches du moment. “En musique, on aime que ce soit direct, puissant et assez rythmé,” explique, de sa voix grave, Spike Li (à ne pas confondre avec le réalisateur américain), leader de Demerit. Chanteur principal et bassiste, il est le plus ancien membre du groupe. C’est aussi le plus bavard. Les quatre autres membres, eux, restent muets, hochant la tête de temps en temps, pendant que le frontman, âgé d’une quarantaine d’années, prend la parole, en leur nom.
Venu jouer à Paris, vendredi 8 avril, dans le cadre d’une tournée européenne, Demerit est originaire de Pékin. Il a été fondé il y a dix ans et, aujourd’hui, il s’impose comme une figure du punk en Chine. On dit souvent que le punk est mort. En Europe, en tout cas, les jeunes musiciens qui s’y frottent ont peu de chance de sortir de l’obscurité de leur cave, transformée en salle de répète. Mais de l’autre côté de la Terre, c’est une autre histoire. Dans le pays qu’on appelait autrefois le Céleste Empire, une scène punk confidentielle est née dans les années 1990. Depuis un an ou deux, ce mouvement est en train de conquérir, discrètement, le monde occidental.

Demerit, les sauveurs du punk chinois

Natanel, 29 ans fait partie du public de Demerit, en concert, ce soir-là, au Cirque électrique dans le 20e arrondissement de Paris. Après avoir passé cinq ans en Chine, il a écrit une thèse qu’il a soutenue l’an dernier. Pour lui, Demerit est l’un des meilleurs groupes de punk de la scène chinoise. Il s’explique :

“Ils ont une musique très intéressante, et j’aime beaucoup leur engagement dans leur pays. Ils sont arrivés à Pékin en 2004 avant de s’exporter en banlieue, à Tongzhou où ils ont ouvert un des seuls bars punk du coin. Ils y ont organisé beaucoup de concerts, et c’est grâce à eux que d’autres groupes se sont développés.”

“La Chine se trouve, actuellement dans un contexte politique très tendu. Le gouvernement tente, par tous les moyens, de museler la culture indépendante. Aucun album ne peut sortir de manière officielle et beaucoup de bars à concert ferment.”

Paradoxalement, Spike estime n’avoir jamais connu aucun problème dans son pays pour faire de la musique. Il ne pense pas non appartenir à un mouvement contestataire face à l’État chinois :

“Nous ne sommes pas assez puissants, nous ne pouvons rien faire à notre échelle. Nous pouvons juste changer notre vie et peut-être celle des gens qui nous écoutent. De mon côté, ma vie a beaucoup changé depuis que je fais de la musique.”

Le punk ou la vie !

Au milieu des années 1970, en Angleterre, la musique punk permet à la jeunesse de crier sa colère et de se rebeller contre un gouvernement qui ne lui convient plus. En Chine, si le contexte économique et l’époque sont très différentes, l’intention reste similaire : beaucoup de jeunes Chinois se sentent en marge du développement économique de leur pays et, pour eux, la musique est un moyen de s’exprimer. Dans l’album Bastards of the Nation, sorti en 2008, les titres “T.Z. Generation” et “Bastards of the Nation” sont des hymnes à la jeunesse de Pékin, désenchantée, qui aspire à plus de liberté. Spike Li évoque ces deux chansons :

“Elles parlent du temps que j’ai passé à Tongzhou. Ce sont des moments très importants pour moi, où j’ai quitté ma famille et l’école. J’avais vraiment la liberté de jouer de la musique, de boire, de faire ce que je voulais.”

Les mélomanes, comme Spike Li, qui quittent la routine pour se consacrer à leur passion font face à de lourdes conséquences en Chine. “C’est pas facile, ils se mettent à la marge de la société et se séparent de leurs proches parce qu’ils n’ont pas d’argent,” confie Natanel. Le style vestimentaire, les petits boulots, la musique… Ce mode de vie est ouvertement condamné dans le pays. La culture chinoise veut que les enfants prennent en charge leurs parents quand ils vieillissent. Un cycle de la vie difficile à briser sans faire de gros sacrifices.
Prendre le chemin de la musique a été une façon de changer d’univers : “Tout ce que j’ai reçu comme éducation appartenait à un monde, alors que le punk m’emmène dans un autre.”
Il dit d’ailleurs que, sans la musique, sa vie aurait été mécanique et ordinaire. Qu’il l’aurait menée comme un robot :

“Je pense que la vie est plus compliquée pour ceux qui suivent la trajectoire habituelle, alors que nous, nous vivons heureux.”