À Deauville, le cinéma ausculte le déclin de l’empire américain

À Deauville, le cinéma ausculte le déclin de l’empire américain

photo de profil

Par Mehdi Omaïs

Publié le

La 43e édition du Festival du cinéma américain de Deauville s’ouvre ce soir et se poursuivra jusqu’au 10 septembre. Elle proposera aux cinéphiles un programme alléchant et éclectique. Tour d’horizon.

À voir aussi sur Konbini

Chaque année, c’est tout le cinéma américain qui foule les mythiques planches de Deauville pour le plus grand plaisir des festivaliers. Compétition, avant-premières, documentaires, stars et paillettes ont fait la renommée de la manifestation depuis plus de quarante ans. Et le cru 2017 devrait perpétuer la tradition. Le festival s’ouvrira en tout cas ce vendredi soir sur une production d’envergure, Barry Seal : American Traffic. Signé Doug Liman, ce biopic d’action porté par Tom Cruise retrace l’histoire vraie d’un pilote arnaqueur recruté par la CIA dans le cadre d’une importante opération secrète. De quoi donner le la !

Si le Festival de Deauville ne boude jamais le cinéma mainstream, sa raison d’être puise véritablement ses racines dans sa compétition, laquelle rassemble rituellement le meilleur des œuvres indépendantes outre-Atlantique. Qui succédera ainsi aux Bêtes du Sud sauvage (2012), Whiplash (2014) ou Brooklyn Village (2016), tous lauréats du prestigieux grand prix ? S’il est ardu pour l’heure de prédire lequel des quatorze longs-métrages sélectionnés aura droit au sacre ultime, on sait néanmoins qu’ils ont été choisis avec beaucoup de méticulosité. Bruno Barde, le directeur du festival, a en effet visionné plus de 400 films avant d’arriver à ses fins.

“Les œuvres plébiscitées ont toutes en commun de s’interroger sur le déclin de l’empire américain à travers l’auscultation de la jeunesse et de l’enfance, explique l’intéressé. Bien sûr, il y a des premiers films, mais aussi beaucoup de seconds films construits avec cette urgence du désir qui est souvent moteur de talent.” Pourra-t-on déjà entendre monter, en filigrane des scénarios proposés, la contestation anti-Trump qui prédomine dans les milieux artistiques ? “Il est un petit peu tôt pour que la fiction s’empare des années Trump, tempère Barde. Mais les problèmes liés aux différentes communautés sont déjà assez visibles dans la sélection.”

Vers l’Amérique oubliée

En compétition, le public pourra notamment découvrir de nombreux personnages cherchant leur place dans un monde putride, où l’espoir n’est qu’une vague chimère. Katie essaye ainsi de sortir de sa bourgade paumée en se prostituant dans Katie Says Goodbye de Wayne Roberts. Le jeune Dayveon, 13 ans, s’ennuie ferme au cœur d’un Arkansas désargenté et finit par déraper dans Stupid Things d’Amman Abbasi. Un jeune Afro-Américain des quartiers défavorisés de Chicago remet en question les fondements de son identité dans Blueprint de Daryl Wein. Des héros en lutte acharnée, tiraillés entre le monde et eux-mêmes.

À suivre de très près également, Ingrid Goes West de Matt Spicer et sa critique a priori cinglante des réseaux sociaux et du culte de la beauté, Gook de Justin Chon dans lequel deux frères d’origine coréenne se retrouvent plongés aux tréfonds des émeutes de 1992 à Los Angeles, ou encore Beach Rats d’Eliza Hittman, portrait d’un adolescent perdu, partagé entre son envie d’être en couple avec une fille et son désir pour les hommes. “Au gré des films et des trames, l’autre reste une priorité d’interrogation et d’affirmation. Il y a cette nécessité de le regarder, voire de l’aimer, en tout cas de l’accepter”, précise Bruno Barde.

Une pluie de personnalités

Pour départager les candidats en lice pour le grand prix, le festival pourra compter sur un président du jury oscarisé : Michel Hazanavicius. Le réalisateur de The Artist sera épaulé dans sa délicate tâche par des jurés de qualité, parmi lesquels figurent Emmanuelle Devos, Benjamin Biolay, Éric Lartigau ou encore Charlotte Le Bon. “Je pense que la présidence de Michel ressemblera à ses films. Elle sera fine, subtile, généreuse, fédératrice et amoureuse du cinéma américain. Il sera entouré de personnalités s’inscrivant dans la même perspective”, s’enthousiasme Barde. Un autre jury, celui de la révélation Kiehl’s, se penchera avec la même passion sur la sélection. Il sera chapeauté par l’actrice et réalisatrice Emmanuelle Bercot.

Côté avant-premières, la fournée sera particulièrement belle. Ça d’Andrés Muschietti, le film d’horreur le plus attendu de cette fin d’année, devrait faire frémir les spectateurs avec son clown traumatisant tandis que Good Time des frères Safdie, présenté à Cannes, bénéficiera de la venue de Robert Pattinson. Ce dernier sera d’ailleurs honoré puisqu’il recevra un hommage pour sa carrière, à l’instar de Darren Aronofsky, qui offrira au public son nouvel opus Mother !. Barde confie : “Je me souviens de l’émoi ressenti lorsque j’ai sélectionné en 1998 Pi, remarquable réflexion sur un algorithme ésotérique. Depuis, comme souvent à Deauville lorsque nous nous intéressons à un cinéaste que nous reconnaissons comme tel et dont le filmage affirme un style unique, nous l’accompagnons.”

Au-delà des présences de Robert Pattinson et Darren Aronofsky, le Festival de Deauville rendra aussi hommage à Laura Dern, Jeff Goldblum, Michelle Rodriguez et Woody Harrelson, qui assurera la promotion du Château de verre du talentueux Destin Cretton, programmé en clôture. “Les honorés de cette année incarnent l’esprit de l’histoire du cinéma : Laura Dern pour sa collaboration avec David Lynch, Jeff Goldblum pour ses rôles chez Steven Spielberg ou David Cronenberg, Michelle Rodriguez pour l’esprit d’indépendance de la femme américaine et Woody Harrelson, acteur complet”, estime encore Bruno Barde. Si avec tout ça vous n’êtes pas convaincus de faire un tour du côté de la Normandie dans les dix jours à venir…