David Bowie, Alan Rickman : pourquoi la mort des stars nous touche autant

David Bowie, Alan Rickman : pourquoi la mort des stars nous touche autant

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Par Thomas Andrei

Publié le

Les disparitions de célébrités comme David Bowie ou Alan Rickman attristent toujours des milliers de fans. Un psychiatre nous explique pourquoi ce deuil est naturel et essentiel. 

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C’est vrai que c’est un peu con. Mais une semaine après sa mort, vous vous sentez toujours un peu ému quand vous entendez sa voix. Écouter David Bowie ne vous bouleverse pas parce que vous l’imaginez mourant, sur un lit d’hôpital, mais parce qu’il vous évoque bien des souvenirs. 

Vous vous rappelez de la première fois que vous avez entendu “Rebel, Rebel”, dans votre chambre d’ado, avec votre père. Ou quand vous gueuliez “Starman” dans un club avec votre meilleur pote, ou votre redécouverte de “Modern Love” sur une route ensoleillée. Même cette vieille pub Wanadoo vous rend mélancolique.

Puis, vous tombez sur la photo d’un moment qui avait totalement disparu de votre mémoire. Vous regardez ces visages et vous vous dites que vous ne les verrez plus jamais s’animer.

Se sentir déprimé après la mort de Bowie n’est pas ridicule

Ces phénomènes sont tristement connus de tous. Vous n’aviez pas encore compris mais vous êtes tout simplement en deuil. Ce qui peut paraître étrange, car vous n’avez jamais rencontré Bowie, vous ne l’avez même jamais vu de vos propres yeux. Forcément, vos potes se foutent un peu de votre gueule.

Pourtant, pour le Dr Cosmo Hallström, membre du Royal College of Psychiatrists, se sentir déprimé après la disparition d’un de vos héros n’a rien de bizarre.

 “Je ne considère pas que c’est quelqu’un que nous n’avons jamais rencontré. Les médias sont très puissants, donc à travers la musique, à travers les émotions, nous l’avons bel et bien rencontré. Et il y a des célébrités à qui nous nous identifions de manière très forte.

Nous ne les avons jamais rencontrées physiquement, mais nous les avons rencontrées d’une autre manière, et elles tiennent une place très importante dans nos vies.”

Depuis votre enfance, David Bowie fait en effet partie de votre vie. Pas seulement par sa musique, mais aussi avec la redécouverte de cette playlist oubliée, les listes de bouquins qu’il envoyait aux journaux, ses déclarations politiques ou cette vidéo de Noël avec Bing Crosby, que vous regardez avant de vous réunir avec vos proches.

La mort d’Alan Rickman, , elle aussi, vous a touché. Mais même si l’acteur s’était infiltré dans votre enfance via Harry Potter et Love Actually, sa place dans les médias ne s’approcha jamais de celle qu’occupait Bowie.

La fin d’une célébrité est brutalement simple

Selon le Dr Cosmo Hallström, les médias jouent un rôle crucial dans notre lien avec les stars. Ces derniers temps, les décès de Lemmy Kilmister, Alan Rickman et David Bowie, mais aussi les attentats à Paris et la montée du terrorisme en général, ont transformé Internet en une sorte de pompes funèbres digitales. Le psychiatre explique :

“Le culte des célébrités est un phénomène très intense et compliqué. Et la réaction des médias, c’est quelque chose de très bien pensé. Elle est, à bien des égards, beaucoup plus simple que les émotions complexes que l’on ressent au décès d’un proche.”

Plus simple et, de toute évidence, plus facile à gérer. La semaine dernière un fan nous confiait avoir éprouvé du mal à pleurer à la disparition de ses parents. Alors qu’à la lecture de la mort de Bowie, il explosa en sanglots.

À la mort d’un grand-père, d’une grand-mère, la douleur qui vous envahit est évidemment emplie de tristesse, mais aussi de regrets, d’émotions confuses que la disparition brutale d’une célébrité n’invoque pas. La mort d’une star est soudaine, et d’une simplicité libératrice. Cosmo Hallström développe :

“La relation que l’on peut avoir, en tant que fan, avec une célébrité qui joue un rôle de modèle est légèrement différente de la relation qu’on a avec nos parents par exemple. Les relations avec nos parents sont plus compliquées. La relation en tant que fan est plus pure, plus catégorique et plus intense.”

En gros, les émotions exprimées à la mort de Bowie pourraient être vues comme une sorte de compensation, comblant la frustration de ne pas pouvoir pleinement afficher votre peine la dernière fois que vous avez perdu quelqu’un. Vous étiez tristes, mais deviez être fort pour votre entourage. Et puis vous ne pouviez pas vraiment en parler à qui que ce soit. Ce serait bizarre, et malpoli.

Une sorte de catharsis

Malgré leur compassion, vos amis ne sont qu’indirectement touchés par la mort de l’un de vos proches. Celle de David Bowie concerne tout le monde. Le Dr Cosmo Hallström l’explique en ces termes :

“La mort d’un proche relève du domaine privé. La mort de David Bowie relève du domaine public. C’est quelque chose de collectif. Même si vous avez l’impression que c’est personnel.”

D’une certaine manière, la douleur exprimée lors de la mort d’une célébrité est une sorte de catharsis. Vous commencez par parler de Lemmy, de Bowie ou d’Alan Rickman, avant d’évoquer le cancer, puis les gens que vous connaissez qui y ont succombé.

Les phénomènes sont différents, mais les parallèles sont inévitables. Le souvenir de la dernière conversation que vous avez eue avec votre grand-père et celui du soir où vous avez regardé “Lazarus” en vous disant “ce mec est immortel” sont, d’une certaine manière, similaires.

Confronté à la mort, tout le monde raconte toujours les mêmes choses. Quelque chose comme: “mais c’est pas possible, je viens de le voir ! On devait aller marcher dans la montagne !” ou “impossible, il vient de sortir un album. Je l’ai écouté hier, c’est incroyable.”

Devenir une personne plus forte

Et pourtant, vous auriez pu le voir venir. Dans le clip de “Lazarus”, David Bowie a ce regard terrifié, ce regard d’animal apeuré qu’on ne peut apercevoir que dans les yeux des mourants. Pour les fans en deuil, Cosmo Hallström ne conseille qu’une seule chose, mais elle est nécessaire :

“Eh bien, David Bowie est toujours avec vous. Il va rester avec vous pour toujours. Tout d’abord, vous devez essayer de comprendre pourquoi c’est arrivé. Le deuil fait partie du processus de la vie.

Vous devez surmonter ce processus. Vous devez comprendre le processus et devenir une personne plus forte. Vous devez surmonter ce processus normal vous-même. Pensez-y et devenez une personne plus forte.”

Devenir plus fort, pour vous, et peut-être pour mieux appréhender le prochain décès dans votre entourage.Finalement, accepter la mort passe par une grosse dose d’optimisme, comme le montre ce tweet viral attribué par erreur à l’acteur britannique Simon Pegg.

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Traduction : “Si vous êtes triste, rappelez-vous que le monde a 4,543 milliards d’années et que d’une manière ou d’une autre, vous avez réussi à vivre à la même époque que David Bowie.”

Cette réflexion, qui n’est au départ qu’un bon mot posté sur les réseaux sociaux, va un peu dans le même sens que la pensée biblique : ne reprochez pas à un être supérieur la mort de vos proches, soyez reconnaissant qu’ils aient connus la vie. David Bowie en était conscient et il a fait de sa mort une fête, en offrant Blackstar tel un “cadeau d’adieu”, comme l’a confirmé son producteur et ami de longue date Tony Visconti.

“Danser dans les rues”

De l’adieu spécial de David Bowie, Cosmo Hallström a tiré cette conclusion :

“La mort est une partie de la vie et je pense que David Bowie était très intelligent, et il s’est préparé à mourir avec son dernier album. Il a fait son adieu. Nous devons accepter ce genre de choses, que le monde va de l’avant et que non seulement les autres vont mourir mais que, de toute évidence, nous mourrons aussi.”

Contrairement au décès du citoyen lambda, la disparition d’une star fait l’objet d’une célébration. Une réaction qui va à l’encontre de ce que l’anthropologue américaine Margaret Mead écrivait :

“Quand une personne naît, nous nous réjouissons, et quand elle se marie, nous jubilons, mais quand elle meurt, nous faisons comme si rien ne s’était passé.”

À la mort de Bowie, nous avons fait tout le contraire. Nous l’avons acceptée, enregistrée et célébrée. C’est là la grande différence entre la mort de vos proches et celles de personnes comme Lemmy ou Bowie.

L’autre différence, c’est que vous ne pourrez plus parler de la deuxième guerre mondiale avec votre grand-père, mais vous pourrez toujours vous construire d’autres souvenirs avec David Bowie. Rien ne vous empêche d’écouter “Let’s Dance” dans votre voiture encore aujourd’hui. Rien ne vous empêche d’acheter le vinyle de Diamond Dogs à votre père et encore moins de regarder des pubs sur YouTube.

Personne ne peut vous empêcher de célébrer la vie de David Bowie en chantant “Starman” avec votre meilleur ami. Ou avec des centaines d’étrangers dans les rues de Brixton.

Traduit de l’anglais par Hélaine Lefrançois.