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Ne dites jamais à un metalleux que son T-shirt est un déguisement. Jamais.

Ne dites jamais à un metalleux que son T-shirt est un déguisement. Jamais.

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Par Théo Chapuis

Publié le

On a profité du Fall of Summer pour demander aux metalleux de nous expliquer une bonne fois pour toutes la culture des T-shirts de groupes. On n’a pas été déçus.

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Ce n’est plus à démontrer, le Fall of Summer de Torcy (Seine-et-Marne) est le festival le plus metal d’Île-de-France. Depuis trois ans maintenant, cette grosse fiesta à la gloire de la musique de Satan s’est forgé la glorieuse réputation d’inviter des artistes rares et légendaires, bien souvent connus des seuls metalheads pur jus : Revenge, Unleashed, Whiplash, Dead Congregation, Oranssi Pazuzu ou encore les Français d’ADX ou de Merrimack… Sur scène comme dans le public, c’est l’occasion pour les fans comme les musiciens d’arborer ses looks et des accessoires les plus kvlt : cornes à boire ou à jouer, bracelets, chaînes, pantalons en cuir, maquillage, clous, ou encore ces fameuses vestes à patchs que la mode leur envie

Pas besoin d’être observateur pour remarquer que les fans de metal sont impossibles à confondre avec les auditeurs de jazz. Notamment grâce au premier vêtement qu’il convient de porter en concert, le basique d’entre les basiques, le T-shirt de groupe. Entre deux concerts arrosés d’une bière bouillie au soleil de Torcy, on a interrogé quelques festivaliers pour mieux comprendre l’importance du T-shirt, élément indissociable de la culture metal.

Esthétique de la terreur

Il fait chaud, ce samedi-là au Fall of Summer. Une fournaise. Mais il en faudrait bien plus pour que les festivaliers ôtent leurs T-shirts. Partout où un metalhead se dresse, c’est une petite fête pour les yeux qui commence : logos aux angles acérés, créatures infernales, coïts blasphématoires, membres humains déchiquetés et croix inversées de toutes dimensions : vous connaissez le deal. Mais pourquoi, au juste ?

“Parce qu’on trouve ça beau”, m’explique-t-on tout simplement. Une première raison guère surprenante, mais qui s’établit sur les critères esthétiques bien particuliers de gens qui ont passé leur adolescence les yeux plongés dans les pochettes de Sepultura, Iron Maiden et Emperor, évocatrices d’aventures périlleuses et de royaumes fantastiques à faire pâlir Jérôme Bosch lui-même. “Dans le metal, on a la chance d’être dans un milieu avec de vrais artistes qui bossent avec soin l’image et le design”, explique Meryem. On ne va pas lui donner tort.

Passion metal

Mais si pour choisir une fringue vous vous arrêtez au seul argument stylistique, c’est que vous êtes sans doute à des lieues de la démarche du metalleux. Autre raison de choisir CE T-shirt et PAS un autre : par admiration pour un groupe. “J’aime énormément Tygers of Pan Tang”, m’explique Fernando, 26 ans, résident à Barcelone, qui porte un T-shirt plutôt sobre de ce groupe de NWOBHM. Avec passion, il explique qu’il ne raterait sous aucun prétexte le Brofest, festival spécialisé dans ces groupes d’une autre génération métallique sis à Newcastle, en Angleterre.

Thomas, 24 ans, porte un T-shirt orné d’un logo Behemoth et se déclare d’emblée “fan” du groupe polonais. Tellement fan, même, qu’il l’a acheté en vitesse quelques minutes avant un de leurs concerts, “au merch’ officiel” (soit à la boutique du groupe), pour en remplacer un autre du même groupe “qui commençait à rendre l’âme”. Il a vu Behemoth neuf fois en concert et n’est pas peu fier de montrer un tattoo du band qui encre son mollet.

Un T-shirt, c’est aussi un fragment de son passé. Comme Christophe, 27 ans, qui porte non pas le T-shirt d’un groupe, mais d’un festival, le Metaldays, à Tolmin, en Slovénie. “C’était énorme, un super souvenir. Et comme pour tous les bons souvenirs, je ramène un T-shirt.” Oui, tout comme vous avec votre T-shirt “Benidorm” – même si vous vous êtes sans doute moins éclaté que lui.

Soutien à une culture absente de l’espace public

De la toge du templier au bonnet phrygien, voire jusqu’à l’épingle à nourrice punk, la mode ne s’est jamais empêchée de parler un langage militant. Le metal n’y fait pas exception et le T-shirt est son étendard. C’est une façon de faire exister le genre et ses mystères dans l’espace public, notamment dans un milieu qui génère aussi peu d’argent aux artistes.

Eh oui, si le metal vous semble aussi absent, c’est parce que ce n’est pas qu’une impression : l’année dernière, Télérama a expliqué que la part de représentation du metal est estimée à 0,2 % sur les chaînes de télévision musicales en 2015, contre 18,1 % pour la dance, 16,2 % pour le rap et 17 % pour la variété française. Pas étonnant que les metalheads se sentent un peu en résistance.

Notre fan de Behemoth, Thomas, l’explique avec ses propres mots :

“Le T-shirt ça représente le soutien au groupe. J’achète énormément de CD, mais on sait qu’ils ne se font pas de thunes là-dessus. Par contre sur le merch’, oui : le pognon leur revient directement. Donc c’est une manière de supporter encore davantage.”

Mille et un T-shirts

Même son de cloche du côté de Mathieu, organisateur de concerts pour les Stoned Gatherings à Paris, et qui connaît donc bien la galère des groupes en tournée : “Quand tu achètes un T-shirt, tu sais que c’est là où tu donnes le plus d’argent aux artistes.” Pas à une contradiction près, il porte un T-shirt Black Sabbath,“parce que c’est les papas” du metal et que son tout jeune fils a le même… en body. Pas étonnant qu’il transmette ainsi le flambeau quand on sait qu’il possède “entre 60 et 80” T-shirts de groupe…

En fait, la plupart des personnes rencontrées possèdent énormément de T-shirts de groupes, constituant une véritable collection, au même titre que des disques, des livres ou des voitures Majorette. Si Christophe dit en détenir “une petite dizaine”, il fait figure de petit joueur en comparaison de ses camarades interrogés. Ils sont nombreux à se vanter d’être à la tête d’un cheptel de plus d’une vingtaine de T-shirts, notamment Meryem qui en a accumulé plus d’une cinquantaine à la suite de l’achat de son premier, lorsqu’elle était au lycée : un T-shirt Nine Inch Nails (oui, elle l’a gardé).

Assumer l’ego trip

Esthétique, admiration, souvenir, soutien, collection… Évidemment, ce n’est pas tout. Au-delà du coup de cœur pur et simple, il y a une mise en scène évidente de soi derrière chaque choix de T-shirt. “Si je vais à un concert de black metal, je mettrais davantage un T-shirt de black metal”, explique Jessica, jeune maman de 34 ans, avant de relativiser : “Mais au fond, tu pourrais tout aussi bien m’y voir porter un T-shirt Guns N’ Roses.”

Voilà. C’est toute la complexité de la culture T-shirt et du doux ego trip qui va avec que Jessica vient de résumer. Vous vous attendez à ce que des fans qui vont voir un concert de Judas Priest portent tous… un T-shirt Judas Priest ? Comme dans le mini-documentaire culte Heavy Metal Parking Lot (1986) ? Ça, c’était avant. Cela fait des années que le T-shirt metal a le pouvoir magique de montrer les goûts, mais aussi les connaissances, le raffinement et l’éclectisme de celui/celle qui le porte… “C’est aussi un moyen de conversation entre connaisseurs”, souffle Christophe.

“Tu dois représenter toi-même et ce que tu aimes, que ce soit le cinéma, la musique… Grâce au T-shirt, tu peux proclamer qui tu es. Moi j’adore les films d’horreur, par exemple”, confie Alberto, 22 ans, les yeux brillants derrière ses cheveux noirs. Lui il ne porte pas un T-shirt de groupe, mais celui d’un film : Suspiria, classique du cinéma de genre réalisé par Dario Argento en 1977.

Mais tout n’est pas si sérieux au pays des metalleux et le T-shirt est également un moyen d’exprimer son second degré. Un peu plus loin, Laurence édicte ses propres règles : “Déjà, éviter la faute de goût : ne pas mettre le T-shirt de la tête d’affiche”, indique-t-elle.

Avec Antoine, son compagnon, ils poussent ce petit jeu jusqu’à porter des T-shirts volontairement en décalage avec les artistes qui vont jouer ce soir : “tu vas voir un groupe de hardcore ? Porte un T-shirt d’un groupe de death. Tu vas voir un groupe de death ? Porte un T-shirt de hair metal…” Après tout, it’s only rock’n’roll !

“Ce n’est pas un déguisement”

Oui, tous ces codes peuvent sembler un poil intimidants pour le néophyte. Aussi rappelez-vous de cette phrase prononcée par Jeff, quadra ventru et badin au T-shirt volontairement provoc’, qui rappelle une règle essentielle à la tradition d’accueil qui règne dans le metal : “Y a pas de sectarisme au niveau de l’habillement : tu t’habilles comme tu veux.”

Une chose est sûre : “le T-shirt metal, ce n’est pas un déguisement”, martèle Jessica. Même si, au fond, comme remarque Thomas, il y a comme un gag à être des milliers à porter des T-shirts de groupe lors des grands rassemblements :

“C’est toute l’ambivalence de la culture metal : on veut être anticonformistes… mais avec nos T-shirts y’a un conformisme énorme.”

Une mode dominée par les hommes

L’œil affuté d’un spécialiste de la mode notera que le conformisme se remarque également dans les coupes des T-shirts : ce sont bien souvent les mêmes. Et pour les filles ? C’est la galère. Lorsqu’on rencontre Meryem, elle est en train de découper le col d’un T-shirt pour homme frappé des logos des groupes néerlandais Urfaust et King Dude afin de l’adapter à son corps.

Si pour elle il n’y a pas assez de coupes pour femmes, le problème est même plus profond et dénote d’une culture essentiellement masculine :

“Il n’y a pas assez de T-shirts pour filles ou alors, quand ils existent, ils sont mal pensés et je n’ai pas envie de porter un débardeur taille 12 ans. C’est pensé par des mecs, et comment ces mecs aimeraient voir leur copine dedans. C’est comme toutes ces collections de strings pour métalleuses… Je ne pense pas que ce soit des filles qui ont pensé à ça. Alors je coupe le col : quand les choses sont pas faites pour toi, tu te débrouilles.”