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Comment Mac Miller a su se renouveler pour survivre artistiquement

Comment Mac Miller a su se renouveler pour survivre artistiquement

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Par Brice Miclet

Publié le

Si le son de Mac Miller a tant changé en huit années de carrière, c’est parce que le rappeur a lui-même évolué. Entre 2010 et aujourd’hui, il est passé de kid des quartiers tranquilles à théoricien de l’amour, en passant par l’introspection sombre et la confrontation au concept de la mort.

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S’il y a bien une chose que l’on ne peut pas reprocher à Mac Miller, c’est de ne pas avoir cherché à se renouveler durant sa carrière. Il fait partie de ses rappeurs qui, ayant connu le succès dès l’âge de 18 ans, ont mûri en même temps qu’une bonne partie de leur public.

Quand il sort sa mixtape K.I.D.S., en 2010, et qu’il explose dans le milieu rap, il est bien éloigné de l’image qu’on lui connaîtra à la fin de sa vie. À la rigueur, c’est normal. Le rappeur de Pittsburgh mettait un point d’honneur à pratiquer un boom bap moderne, “2.0” comme disent certains, la musique des cousins plus âgés alliée aux sonorités apportées par de jeunes producteurs. “Nikes On My Feet”, son premier carton, est comme cela.

Un kid de moins en moins insouciant

Né dans un milieu relativement aisé, Mac Miller ne triche pas. Le clip de “Don’t Mind If I Do” peut même paraître cliché : teuf dans une grande baraque avec les fameux gobelets rouges si chers aux Américains, piscine, picole… Le délire adolescent est là, et peut même parfois pousser à produire des morceaux un peu plus niais, comme “Knock Knock” ou “Senior Skip Day”. Mais le coup de force est là. K.I.D.S., c’est aussi une série de perles, comme “Ride Around”, d’excellents samples comme celui de “Poppy”… C’est l’insouciance un poil cliché, mais annonciatrice d’un talent certain.

Avec ce succès, le premier album de Mac Miller va réaliser une performance particulièrement rare : Blue Slide Park est le premier disque indé à se classer en tête des ventes aux États-Unis depuis 1995. Le boom bap est toujours là, toujours plus moderne, et les textes parlent d’une sorte de paradis perdu : les rues de son adolescence… Cet album sent Pittsburgh à plein nez.

Il est d’ailleurs majoritairement produit par des gars du cru, ceux de chez ID Labs, un collectif de beatmakers habitués à bosser avec lui et Wiz Khalifa (qui est lui aussi originaire de Pittsburgh). Les nappes de synthés sont encore plus présentes, mais se marient à la tradition, comme sur “Party On Fifth Ave.”, où il rappe sur un breakbeat mythique datant de 1989, “The 900 Number” de The 45 King. Mac Miller a l’avenir devant lui, mais regarde aussi en arrière pour nourrir sa musique. Parfois, il explore même une pop plus prononcée avec “PA Nights”, produit par le groupe Mansions on the Moon. Idem pour “Under The Weather”.

Au milieu de tout cela, Mac Miller commence à prendre de l’assurance, et inaugure réellement l’arrivée de la trap dans sa discographie, avec “Frick Park Market”. Alors oui, l’ego trip est encore franchement timide, même sur “Donald Trump”. Mais c’est surtout la nostalgie qui domine cet album. Les textes en sont peuplés, les instrus aussi, comme le prouve l’interlude instrumentale “Hole In My Pocket”. Mais malgré l’excellent titre “Smile Back” ou le plus noir “One Last Thing”, la déprime est encore relativement absente de sa musique.

Macadelic et Watching Movies, l’apogée

Les choses changent radicalement avec la mixtape Macadelic. Énigmatiques (cette introduction…), lourds (“Desperado”, “Aliens Fighting Robots”…) et nonchalants (“Fuck ‘Em All”, “Vitamins”…), les beats tendent franchement à sentir l’influence de la lean, à laquelle Mac Miller commence alors à développer une addiction. “I got codein in my cup”, scande-t-il au début de “Loud”.

Le kid de Blue Slide Park est gentiment en train de s’encanailler, de poser la défonce et le cul comme thèmes récurrents de sa discographie (“Lucky Ass Bitch”) et de développer un style très introspectif. Le duo “Fight The Feeling” avec Kendrick Lamar en est l’exemple parfait. En fait, Macadelic préfigure ce qui est considéré par beaucoup comme son meilleur album : Watching Movies With The Sound Off.

“Meilleur album”, ça se discute bien sûr, c’est subjectif. Mais “album le plus complexe”, il n’ y a pas photo. On est en 2013, et Mac Miller est en pleine dépression. Fini les pochettes en mode sitcom, place à un personnage tout droit sort des films de Larry Clark. Le rappeur nous plonge dans 1 h 11 de noirceur, de doutes, de questions existentielles, de réflexions trahissant un état mental déjà instable.

La drogue est omniprésente dans les textes, la plupart du temps érigée en mode de vie, parfois vue comme un danger pour sa propre personne (les deux vont généralement de pair). Le premier titre, “The Star Room”, est lourd de sens. Il annonce un changement dans les instrus : le boom bap va perdre de la place, au profit de beats lents et graves. “I’m Not Real”, “I Am Who Am”, “Someone Like You”… Tout est lourdeur.

Même lorsqu’il est bien accompagné dans les feats, par le jovial Action Bronson par exemple, il semble transmettre son mal-être à son vis-à-vis. Schoolboy Q, Earl Sweatshirt, Vinny Radio… Personne ne parvient à exister autrement que dans une certaine obscurité, ce qui fait que Wathing Movies With Sound Off l’œuvre la plus captivante de Mac Miller.

Deux ans plus tard, le chant commence à prendre une place prédominante dans la musique du rappeur. GO:OD AM est l’album qui, même s’il n’est pas son meilleur, résume peut-être le mieux ce qu’est le son de Mac Miller. “Brand Name”, “100 Grankids”, “ROS”, “Clubhouse”… On sent le boom bap digéré et dilué dans les influences plus modernes, avec un équilibre que peu de rappeurs sont parvenus à si bien maîtriser.

C’est aussi sur GO:OD AM qu’il se met à embrasser le rap ternaire, l’influence de Chicago, comme sur “When In Rome” et surtout “Cut the Check”, en featuring avec Chief Keef. Pas forcément l’exercice dans lequel il est le meilleur, d’ailleurs. La noirceur est toujours là, avec le prémonitoire “Perfect Circle/God Speed” (“I’m stressing, I can’t relax / I swallow my pride and I’m higher than what’s making me mad / Everybody say I need rehab”), mais les thèmes paraissent un peu plus légers.

À cette époque, Mac Miller a travaillé sur ses addictions et mis des mots sur ses maux, sur sa dépression. Il ne prévoit plus de mourir comme sur Watching Movies With The Sound Off, et il a peur de ce vers quoi son état le mène. Il dit désormais sur “Ascension” : “I’m scared to die.”

L’influence d’Ariana Grande

Le travail sur lui-même est fait, mais ses problèmes ne sont pas résolus. Cependant, en 2016, il entame sa relation avec Ariana Grande et sort The Divine Feminine, sorte de recherche de sens à l’amour, théorisant la sensualité et son rapport aux femmes.

Mac Miller y chante la moitié du temps. Il y a le duo avec sa nouvelle bien-aimée, “My Favorite Part” (loin d’être un morceau le plus marquant de l’année), mais aussi beaucoup de références à son ex, Nomi, avec qui il est resté sept années. Côté instrus, le virage est brutal : harmonies vocales, orchestrations de cordes soignées, beaucoup de piano pas toujours samplé, délires house comme sur “Dang!” en duo avec Anderson .Paak, groove lent sur “We”, tendances R’n’B sur “Planet God Damn”, solos de guitare sur “Cinderella”…

Il y a une volonté de transmettre des émotions via la mélodie. Le mal-être n’est pas exprimé ici à travers les thèmes de la drogue et de la dépression, mais par l’analyse de la complexité des relations amoureuses. C’est le fil rouge de l’album et l’état d’esprit de Mac Miller à cet instant T.

Comme un écho à The Divine Feminine, l’album Swimming est sorti le 3 août dernier, deux mois après sa rupture avec Ariana Grande et un mois avant sa mort. À la manière de Watching Movies with the Sound Off, il est cathartique. Même s’il démarre faiblement avec “Hurt Feelings”, et qu’il se dirige tout de suite vers le groove avec “What’s The Use ?”, il est bourré de morceaux tragiques, comme “Small Worlds” ou “Wings”…

Malgré les instrus très harmoniques, hors des formats rap traditionnels, malgré le chant et une esthétique globale apaisée, Swimming est d’une tristesse et d’un fatalisme sans nom. La dépression et la drogue sont les thèmes principaux, de même que le doute et la mort.

Les excellents “Jet Fuel”, “Dunno” ou “Conversation Pt. 1” finissent de faire de cette ultime sortie l’une de ses toutes meilleures. L’ultime morceau s’appelle “So It Goes” et dit : “Nine lives, never die, fuck a heaven, I’m still gettin’ high / Nevermind, did I mention I’m fine ?” Lorsque l’on connaît la fin tragique de Mac Miller, ces mots résonnent terriblement. Ils seront parmi ses derniers.