Ce que cache La La Land

Ce que cache La La Land

photo de profil

Par Louis Lepron

Publié le

Une semaine après sa sortie en salles, retour sur le phénomène La La Land, produit par la nouvelle tête d’affiche cool d’Hollywood, Damien Chazelle.

À voir aussi sur Konbini

Impossible de passer à côté de La La Land : sept trophées glanés aux Golden Globes, une interminable liste de nominations aux Oscars et une sortie en fanfare dans les salles françaises. Bref, si vous n’avez pas encore visionné ce film, il serait temps d’y aller, rien que pour briller en société.

[Attention, cet article est bourré de spoilers]

Oui, La La Land est un bon film. Pas un chef-d’œuvre. Pas le meilleur film de 2017, comme l’annoncent déjà certains médias sur les affiches promotionnelles alors qu’on se rend compte, calendrier en main, que janvier prend à peine fin. Pas aussi tapageur et foutrement jouissif que Whiplash, la première réalisation musicale de Damien Chazelle, court-métrage distingué à Sundance devenu long-métrage acclamé qui s’incrustait dans la vie mouvementée d’un jeune batteur de jazz en devenir.

Oui, La La Land est une belle comédie musicale avec un duo d’acteurs, Ryan Gosling en Sebastien et Emma Stone en Mia, sur la même longueur d’ondes. Pour leur troisième collaboration, après Crazy, Stupid, Love (2011) et Gangster Squad (2012), on sent une complicité d’appoint.

Aussi, la lumière et l’image sont soignées, adaptées aux humeurs des personnages. Un rouge sang, qui fait penser au travail de Nicolas Winding Refn dans Only God Forgives, vient par exemple se pencher sur le personnage de Ryan Gosling, habillé d’un costume bleu ardent. Pianiste jazz puriste, talentueux mais confidentiel, il vit un enfer à reprendre des “tubes” dans un banal restaurant.

Le cinéaste américain y répond par un bleu royal et vivant lors des scènes sublimées par la danse, utilisant les réverbères et les douces nuits d’été des hauteurs de Los Angeles, ou encore les contours bleutés du bar jazz The Lighthouse, lorsque Sebastien partage sa passion à Mia.

Ici et là se dévoilent le fantasme, l’idéal, la fabrique à rêves qu’est Los Angeles. Les rues sont propres, les voitures électriques, les villas d’un blanc vierge : finalement, tout n’est qu’apparence et vitrines parfaitement nettes, nettoyées.

Car le plus intéressant ne réside pas seulement dans la performance des acteurs ou l’hommage, assez classique finalement, rendu par Damien Chazelle aux comédies musicales, notamment celle de Jacques Demy et ses fameuses Demoiselles de Rochefort, élancées par la musique de Michel Legrand. Derrière les vitrines se cache un réalisme sombre, une nostalgie de l’amour perdu.

“Ils adorent tout, mais n’estiment rien”

Damien Chazelle perçoit la cité des anges tel un lieu où l’amour, l’art et l’histoire peuvent vivre de mille feux mais surtout mourir en un claquement de doigts. Le vernis de La La Land cache une critique, une manière d’apporter, singulièrement et dans le plus beau des emballages, la condamnation d’un système hollywoodien, et plus largement de la pertinence historique du rêve américain, que Damien Chazelle juge superficiels.

Dès les premières images, le contraste est total : si c’est une Californie fantasmée qui nous est présentée à travers des danseurs en tout genre, habillés de couleurs vives chantant la réussite, présentant même une référence, cheveux aux vents, aux skateurs et seigneurs de Dogtown, la scène se déroule… en plein embouteillage.

On retrouve ainsi de multiples références au cours du film, amenées plus ou moins discrètement, appuyant l’idée d’un Los Angeles superficiel : les soirées parfaitement interminables et futiles dans lesquelles on retrouve Mia, les auditions en cascade pour des séries d’ado de l’actrice qu’elle est ; cette scène où Emma Stone, caissière dans un café situé en plein milieu des studios, fait face à une cliente mécontente d’avoir un produit… sans gluten ; cette dichotomie entre la voiture de Ryan Gosling, qui semble avoir été piquée à La Fureur de vivre, face à la Prius moderne de Mia, ou encore cette phrase que balance Sebastien pour mieux clôturer sa pensée : “Ils adorent tout, mais n’estiment rien !”

Tout est fait pour souligner la vacuité de l’entreprise culturelle hollywoodienne, prenant ses artistes pour mieux les faire sombrer dans l’art le plus populaire, ingurgitant ce soleil, ou ces néons, comme une pilule. En ce sens, reliquat des gloires passées du jazz, Sebastien apparaît comme un fantôme de la légende de Los Angeles, celui d’un rêve oublié, des comédies musicales, des rebelles sans cause, du jazz, déconstruit par un système jugé comme lisse et moqué comme tel par Damien Chazelle.

“Tu t’accroches au passé”

La métaphore méta la plus appuyée est le rôle de John Legend, figure actuelle et lisse de la pop américaine jouant… son propre rôle, et demandant à ce que Sebastien le rejoigne dans son groupe pour faire jouer ses doigts sur un piano… électronique.

Et l’acteur-musicien d’affirmer, comme une métaphore de l’entreprise musicale, cinématographique et nostalgique de Damien Chazelle :

“Tu dis que tu veux sauver le jazz. Comment tu veux sauver le jazz si personne ne l’écoute ? Le jazz meurt à cause de gens comme toi […]. Où sont les jeunes ? T’es tellement obsédé par Kenny Clarke et Thelonious Monk. Ces gars étaient révolutionnaires. Comment être révolutionnaire si t’es tellement traditionaliste ? Tu t’accroches au passé, mais le jazz c’est le futur.”

“Et si les plus belles passions, qu’elles soient nostalgiques ou révolutionnaires, étaient celles qui étaient authentiques ?”, semble interroger le cinéaste. Et ce dernier d’enfoncer le clou, cette fois-ci lorsqu’il parle du septième art à la table de Mia et de son copain de l’époque, dont les amis critiquent de manière appuyée les cinémas “sales”, dans lesquels les spectateurs font du bruit.

Sebastien, lui, l’invite le soir-même dans la salle d’un obscur cinéma (qu’on verra quelques minutes plus tard fermé et délabré) afin de voir un vieux film avec James Dean – La Fureur de vivre, qui incite Emma Stone à emmener son acolyte sur les hauteurs d’Hollywood, du côté de l’observatoire, mis en scène en 1955 par Nicholas Ray.

L’amour est mort, le happy end n’est pas

Si la référence et l’hommage aux comédies musicales sont présents, Damien Chazelle nous tend un sous-texte peu attrayant dans un cadre qui sent bon la sincérité, l’amour mais surtout le renfermé : une critique appuyée d’un système hollywoodien corrompu par sa capacité à s’oublier, à tuer ses propres gloires – James Dean, enfant d’Hollywood, mourra d’ailleurs tragiquement dans un accident de voiture à l’âge de 24 ans, et a été en partie oublié par les États-Unis.

Si Ryan Gosling et Emma Stone réussissent dans leur rêve respectif, l’un parvenant à ouvrir son fameux bar à jazz, l’autre à devenir une star du cinéma, les deux se sont quittés. Cinq ans plus tard, une scène les sépare. Seul le divertissement, ici une chanson jouée par Sebastien, les lie, et rien d’autre. Ce n’est finalement qu’à la faveur de la performance, comme il y en a tant dans La La Land (la scène de théâtre, les scènes d’audition face caméra, la scène de concert du groupe de John Legend, etc.) que la magie opère, à nouveau.

Damien Chazelle pousse le bouchon jusqu’à imaginer ce qu’aurait pu devenir le couple, mettant Mia et Sebastien dans des décors en carton-pâte à travers un Paris imaginé tel dans Midnight in Paris de Woody Allen en 2011 (et cette aquarelle, ça ne vous dit rien ?).

En dehors du cinéma, des pellicules ou des caméras qui tournent, l’amour est brisé, et Los Angeles est au cœur de cette fin scénaristique purement dramatique et tristement réelle. La gloire, la passion et les fils qui conduisent les pantins personnifiés que sont Sébastien et Mia dans Hollywood auront eu raison de lui.