Cannes : avec Capharnaüm, Nadine Labaki oscille entre coup d’éclat et mélo tire-larmes

Cannes : avec Capharnaüm, Nadine Labaki oscille entre coup d’éclat et mélo tire-larmes

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Il se murmure déjà qu’elle pourrait remporter la Palme d’or. À 44 ans, l’actrice et réalisatrice libanaise Nadine Labaki a fait chavirer le Festival de Cannes avec son nouveau film Capharnaüm. Chez Konbini, nous avons néanmoins quelques réserves…

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Nadine Labaki a poussé son premier cri le 18 février 1974 à Beyrouth. Sa deuxième naissance, artistique cette fois, elle la doit au Festival de Cannes où, le 20 mai 2007, elle présente à la Quinzaine des réalisateurs son premier long-métrage, Caramel, sorte de Venus Beauté Institut oriental, suave et sensuel, qui a connu un solide succès en France (près de 500 000 spectateurs) et dans le monde. Sur la Croisette, les choses sont ensuite allées crescendo avec la programmation au Certain regard, quatre ans plus tard, de Et maintenant on va où ?, un plaidoyer touchant pour la concorde entre chrétiens et musulmans dans un village où perdurent les tensions.

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Cette année, pour la sublime cinéaste et actrice libanaise, l’ascension se poursuit et atteint une forme de Graal. Son troisième film, dont la tonalité bouillonnante a donné le titre Capharnaüm, a été présenté en compétition officielle. Jeudi soir, il a reçu au Grand Théâtre Lumière la plus longue standing-ovation du cru 2018.

D’aucuns la considèrent déjà comme la candidate providentielle pour remporter le précieux le plus prisé du monde du cinéma : la Palme d’or. Et c’est tout à fait possible tant l’opus en question coche toutes les cases de l’œuvre à la fois importante, de par les sujets sociétaux abordés, et intéressante, via son dispositif de mise en scène.

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Capharnaüm commence précisément par un procès. Un petit garçon prénommé Zain poursuit ses parents en justice pour l’avoir mis au monde et lui avoir offert une vie de misère, de faim et de désamour. Un scénario qui évoque notamment, pour les fans de la série Ally McBeal, cet épisode dans lequel un jeune garçon atteint de leucémie espère attaquer Dieu en justice.

Mais ici, Nadine Labaki évacue assez rapidement, grâce à une mise en scène immersive et une photographie très réussie, le caractère quelque peu mignonnet et naïf de la démarche. Très vite, elle sort du tribunal pour nous relater, par le (triste) menu, le quotidien miteux et sordide de son jeune héros, interprété par l’époustouflant Zain Al Rafeea, lumière, moteur et révélation du projet.

Souci de véracité… et atterrissage sirupeux

Pour coller au plus près de la réalité qu’elle porte à l’écran, Nadine Labaki a longuement travaillé en amont du premier clap afin de maîtriser, au mieux, les thèmes évoqués : l’enfance maltraitée, les immigrés et travailleurs clandestins, la pauvreté, le racisme, la peur de l’autre… Pendant trois ans, elle a arpenté les quartiers défavorisés, les prisons pour mineurs…

L’idée était de ne rien fantasmer, de proposer au spectateur une vision brute de problèmes endémiques. Au total, le tournage a duré six mois et engendré 520 heures de rushes. Et il serait cruel de nier au film son évidente capacité à nous imbiber avec énergie dans la trajectoire tumultueuse de Zain, ce garçon abandonné et recueilli par une domestique éthiopienne sans-papiers ayant un bébé caché dans les bras.

Certains plans sont vraiment magnifiques et les prestations confondantes de naturel des acteurs façonnent de réels coups d’éclat. Il n’empêche que Nadine Labaki finit par être aspirée par une forme de misérabilisme, sursignifiée par la musique envahissante de son époux et producteur Khaled Mouzanar.

Au lieu de demeurer dans une vision nue de son sujet, la cinéaste finit en effet par répondre aux sirènes du mélo, se répétant dans la peinture des personnages et encombrant sa démarche d’un dernier quart d’heure mélodramatique et sirupeux. Lequel dessert sa passionnante mise en place. Pour sa troisième réalisation, Labaki a fait en tout cas le pari de l’audace, du film de la maturité. Elle a écimé la légèreté feutrée de ses précédentes réalisations. Mais elle ne transforme l’essai qu’à moitié.