Grand Entretien : de Booba au FN, l’actu vue par Kaaris

Grand Entretien : de Booba au FN, l’actu vue par Kaaris

photo de profil

Par Louis Lepron

Publié le

IAM : “L’École du micro d’argent” a 18 ans, retour sur un classique immortel

À voir aussi sur Konbini

Kaaris | 18 ans, le temps passe vite. L’École du micro d’argent, c’est un album classique pour moi. Beaucoup de punchlines, de bonnes lyrics, une belle période pour le rap français et le rap marseillais aussi. À l’époque, moi j’étais plus NTM. Je suis un mec du 9.3. Je suis chauvin moi.
Konbini | Il y a pas mal d’anciens rappeurs ou groupes qui reviennent, ou qui insistent dans le temps en continuant à sortir des albums. 
Non, ils n’insistent pas. Ils sortent un album, c’est normal. Y a plus d’âge pour sortir des albums de rap. Le rap remonte assez loin pour que des mecs comme eux puissent encore rapper.
Tu te vois rapper jusqu’à quel âge ?
Moi ça n’a rien à voir avec eux. Eux le rap c’est toute leur vie. Moi non, je vais passer à autre chose, quand j’aurai fait le tour, ce sera un déclic. Je veux pas m’accrocher.
Dans cet album d’IAM, il y a un le morceau “Nés sous la même étoile”, qui parle d’inégalités sociales, du fait que l’on ne choisit pas le milieu où l’on naît, où l’on grandit. Peux-tu nous parler de ton enfance, comment t’as grandi, ce qui t’as fait murir.

Je pense que j’étais du côté du couplet de Shurik’n, quand il demandait “pourquoi les autres sont comme ça”.

“Pourquoi fortune et infortune ? Pourquoi suis-je né les poches vides pourquoi les siennes sont-elles pleines de tunes ? Pourquoi j’ai vu mon père en cyclo partir travailler…”

J’ai eu une enfance, je veux pas dire difficile, mais comme la plupart des gens qui vivaient dans les quartiers, les cités dortoirs, les zones rurales, les campagnes. J’ai vécu la même chose qu’eux : la précarité, j’ai grandi qu’avec ma mère, pas de père, beaucoup d’enfants, pas de taff, pas d’oseille, les huissiers… On était beaucoup à l’avoir vécu, donc rien d’exceptionnel. Je me reconnaissais dans ce morceau-là.
C’était une motivation pour s’en sortir, notamment via la musique ?
Dans la vie, bien sûr. Mais je pense que même quelqu’un qui est né sous une autre étoile, brillante, même lui il doit être motivé : il doit faire perdurer le travail qu’ont fait ses parents, parce que s’il en est là c’est que ses parents ont travaillé avant lui. Il va pas tout gâcher.
Tout le monde a une motivation. Les épreuves sont différentes mais on ne les ressent pas de la même manière : pour quelqu’un ce sera dur, pour toi non. On ne va pas dire que c’est dur parce que nous on vient des quartiers, tu vois. C’est dur pout tout le monde. Après c’est clair qu’il vaut mieux avoir un peu d’oseille à la base.

Billets, guns, drogue : polémique quand des collégiens font du rap hardcore


Là, ce qui est critiqué, c’est le fait de voir des enfants avec des guns, des billets, et de la drogue…
La vie ça va plus vite. Avant, à l’époque de Molière, ils baisaient à 35 ans. Maintenant à 14 ans, le petit il sait tout. Avec la télévision, la téléréalité, on montre ces choses. Ça reste un clip.
L’argent, les guns, etc. : ce sont des fantasmes ou une réalité dans le rap ? Dans une interview, tu disais justement que même si t’as rien en réalité, tu mets tout dans tes clips pour flamber.
C’est ça le rap. Aujourd’hui, je peux pas dire que je n’ai rien. Mais le problème, et t’as raison de poser la question, c’est qu’en réalité on croit que le gens ont tout dans les quartiers. Y a même des grosses voitures, n’importe qui a une société de location. C’est même plus impressionnant de voir un mec en Ferrari sur Paname. Pareil pour les billets.

Crédit : Jordan Beline

Du coup ça crée des clichés autour des banlieues.
Parce que ce sont les banlieues qui font le rap. C’est comme si tu veux faire du reggae et que t’avais pas les codes. Mais le rap c’est ça, tu regardes les clips aux États-Unis, c’est la même chose.
Et toi au fait, “qu’est-ce que t’as fait de tous ces deniers” maintenant que t’en as un peu plus ?
Je fais des petits trous à côté des grands trous.

Comment Kanye West a enflammé la Fondation Vuitton


Pour toi Kanye West, ça représente quoi ?
C’est un artiste complet. Il sait tout faire : musique, vêtements, architecture. Après comme tous les artistes controversés, il divise. Mais lui et moi on a un truc en commun : les gens disent qu’on est des illuminatis. Lui et moi on se voit en scred’, on contrôle le monde. (rires)
Ah c’est toi qui contrôle le monde ?
Ouais, c’est moi. Avec 50 000 disques.
Pourquoi les gens disent ça ?
Parce qu’ils sont cons. Ils ont Internet et ils croient tout ce qu’ils voient. Mais j’étais comme eux aussi. Avant, je regardais des vidéos sur des concerts de Rihanna et y avait un mec avec une voix de ouf qui expliquait comment elle était sataniste. J’y croyais mais pas à fond : il était pas clair.
Tu te vois aller dans des domaines autres que la musique ?
Non, je vais pas commencer à me comparer à des gens qui ont fait des trucs de ouf. Si j’arrive déjà à faire un troisième album, hamdoullah.
Mais si dans plusieurs albums t’es au top, tu te vois te diversifier ?
Y a que Dieu qui connaît l’avenir.
Et le cinéma ça t’intéresse pas ?
Là je suis en train de tourner un film, produit et réalisé par Julien Leclercq [il s’appellera Braqueurs. Julien Leclercq a déjà réalisé L’Assaut, Gibraltar, ndlr] avec comme acteur principal Sami Bouajila. Dans le film, je lui donne plusieurs fois la réplique. Je suis même le détonateur du “partage en couilles”. Il y aura plein d’action, c’est un gros film. C’est en noir et blanc, ça défouraille sale. Depuis La Haine, on n’avait pas vu ça.
Ça parle de banlieue ?
Ouais, mais c’est pas les films de banlieues où le mec il fait les singeries de mecs de banlieue. C’est un film super noir.
Ça fait quoi de mettre un pied au cinéma ?
C’est une bonne expérience. C’est différent. Au cinéma, c’est l’attente qui est relou. Attendre avant de passer sur le plateau pour enfin donner ta réplique. Après, je suis pas un acteur : si on se moque pas de ma prestation, c‘est déjà ça.
Pour en revenir à Kanye West, tu penses que la France a du retard sur les États-Unis en termes de rap ?
En termes d’instru, pas du tout. Je trouve qu’un Therapy est très bon. Il peut largement faire des hits pour les ricains. Mais en termes d’évolution, de culture, comment la trap sort, on est loin, on est très loin.

Selon cette vidéo, tous les rappeurs français ont le même flow


Y a cette vidéo qui est sortie et qui dit qu’en France tous les rappeurs ont le même flow. Et ils t’ont mis dans le même lot…
J’ai entendu parler de ça. Mais j’ai pas vu la vidéo. C’est normal que je sois dedans, vu que je suis le premier à avoir eu ce flow. Mais ça ils oublient de le dire.
Le flow de Chicago ?
Pas que Chicago. Mais tu sais, à l’époque où le rap venait de Brooklyn ou de New York, tout le monde faisait ça. C’est juste qu’aujourd’hui on est passé à autre chose. Ça, c’est un découpage qui se retrouve dans la trap, le “tada tada tada”, que j’ai fait il y a trois piges dans “Je remplis l’sac“. Elle est pas juste cette vidéo. Mais je parle pour moi.
Comment tu fais pour te détacher de ce flow ?
Je fais Le bruit de mon âme [le deuxième album de Kaaris qui sort ce 30 mars, ndlr]. Je fais “Crystal” [feat. Future, ndlr], je fais “Se-vrak” qui les découpe, c’est pas difficile.

Entretien : “Chez Booba, il y a quelque chose qui relève du chef-d’oeuvre”

Ça c’est une interview d’Alexandre Chirat qui a réalisé un livre qui s’appelle Booba, poésie, musique et philosophie.
C’est qui ce mec ?
Un économiste et sociologue. 
Il a une carte ?
Une carte ?
De sociologue.
Je sais pas.
Bah alors, pourquoi tu dis ça ?
Il crédibilise d’une certaine manière le rap, du genre : le rap a une portée littéraire poétique.
Il a le droit de penser ça. Je sais pas qui attribue le fait que quelque chose soit un chef-d’œuvre ou pas.

Mathieu Kassovitz veut réaliser La Haine 2

Quand t’as appris ça, le fait qu’il pourrait y avoir une suite à La Haine, t’en as pensé quoi ?
Il a raison. S’il est chaud, que ça pourrait marcher… et que je pourrais avoir un gros rôle dedans, pas de problème ! (rires)
Il est bien Kassovitz, il a beaucoup de talent.
Il a affirmé ça juste après les événements de Charlie Hebdo, tu penses qu’on a besoin d’un La Haine 2 ?
C’est de l’art. Il fait de l’art lui.
L’art peut avoir un impact.
Donc si je comprends bien, il faudrait aussi faire des films seulement comme Camping. C’est pas logique. C’est pas l’art qui régit les population, c’est l’argent, la faim, c’est les politiques.
L’art peut donner une image à un moment T.
Ça veut dire qu’à l’époque du tournage de La Haine il s’est passé quelque chose ?

Non, mais que c’était l’un des premiers films qui parlait vraiment de la banlieue.
Donc il parle de la banlieue, il l’influence pas.
Tu penses qu’on en parle assez bien de la banlieue au cinéma ?
On n’a jamais bien parlé de la banlieue. Depuis qu’ils ont parqué les gens dedans. Je vois pas pourquoi aujourd’hui ils le feraient bien. Kassovitz pourrait en parler comme il veut dans son film. En tout cas La Haine, c’est l’un des plus gros classiques de ce genre de films.
Le rap, il aurait pas un rôle à jouer ?
Certaines personnes vivent dans des quartiers, ils sont pas bons à l’école, ils sont dans une situation monoparentale, ils sont au quartier toute la journée, ils ont pas d’argent. Des gens viennent et leur proposent des plans.
Je pense pas qu’ils se disent “putain, je vais aller faire ce plan parce qu’il a dit ça dans ce morceau de rap”. Les plus grands dans le banditisme, ce sont pas des mecs de cité, ils écoutent pas de rap. Les mecs de cité, eux ils sont en bas de l’échelle. Le mal ne vient pas du rap.
Comment tu te situes par rapport au rap conscient ?
Ça veut dire quoi le rap conscient ?
Un rap qui veut donner des leçons de vie, aux antipodes de l’égotrip.
Moi je cherche pas à donner de leçons, j’ai assez de lacunes pour ça. Je pense que les gens peuvent s’éduquer par eux-mêmes, par le biais de l’éducation, la famille et de l’école. Le rap a pas un rôle à jouer là-dedans. Jamais, au contraire : c’est du divertissement. Le rap, c’est pour la salle de sport, pour être dans sa voiture, rouler son gros joint et kiffer avec ses potes.

Star Wars version anime japonais, ça donne ce superbe court métrage

Ça te dit quoi Star Wars ?
C’est un truc de ouf quand je vais dire ça, les gens vont être choqués quand je vais dire ça : les Star Wars je les ai vus y a pas longtemps, y a peut-être cinq ou six ans. J’ai fait une erreur : quand j’ai regardé les trois derniers épisodes en premier, j’avais du mal à regarder les autres : l’image a changé, l’histoire était devenue chelou, Dark Vador il ressemblait plus à rien. J’arrivais plus, mais je me suis forcé, et c’est un truc de ouf.
Qu’est-ce qui t’a le plus marqué ?
Dark Vador. Il me fait grave pitié. Il succombe, il est haineux, il est pas calme, il regarde pas comme il faut, il visualise pas ce qu’on lui dit, il comprend pas les autres, il se fait avoir par les autres. Et quand il est train de crever, juste après que Obi Wan l’a découpé en petits morceaux, à côté de la lave, il est faible.
Quand il revient en Dark Vador, il est stylé, mais il fait pitié. Parce que c’est un petit qui tombe dans tous les pièges, parce qu’il faut savoir dire non des fois. Faut savoir dire : “Hey, tu veux essayer de me baiser ? Va te faire enculer toi.” Il se fait niquer. Il était mignon au début, c’est dommage.
T’aimes qui alors ?
Le meilleur c’est Maître Yoda. Et Obi-Wan. Après maintenant, y a l’autre trouduc de Miami [Booba, ndlr] qui fait que parler de Yoda toute la journée mais il a rien à voir avec lui.

Pourquoi ?
Parce que Yoda c’est la sagesse.
Booba, il est pas sage ?
Bah non, il insulte tout le monde toute la journée sur Internet, il fait le con, il a fini de compter ses billets, il galère. Yoda il galère pas lui. Lui [Booba, ndlr], c’est Dark Vador en fait, il succombe à tous les travers de cette vie d’ici-bas. Il est complètement noyé.
Toi t’es Maître Yoda ?
Non moi je suis pas un personnage de fiction. Moi je suis Okou Gnakouri [ses prénom et nom, ndlr].

Leonardo DiCaprio incarnera un homme aux 24 personnalités

Il en est capable. C’est un monstre. Il pourrait même faire l’homme aux 1000 personnalités (rires). Même dans un film pourri comme Shutter Island, il est fou. C’est le meilleur.
Quand t’es rappeur, t’as besoin d’avoir plusieurs personnalités ?
Dans la vie tu as de toute façon besoin d’avoir plusieurs personnalités. Quand tu vas sortir d’ici, c’est obligé qu’il y a quelqu’un dans ton entourage à qui tu mets des disquettes. T’es obligé non pas de jouer un jeu mais de t’adapter à cette personne. C’est pas malsain, c’est humain. Tout le monde n’a pas la même sensibilité, tu es obligé de t’adapter au gens.
Mais toi quand t’es sur scène, tu te crées pas un personnage ?
Quand je suis sur scène, je suis Ris-Kaa. Quand je sors de la scène, je suis Okou Gnakouri. Il n’y a pas de grande différence.

Les personnages Disney n’ont plus le droit de fumer

Fight Club 2 : le premier artwork

Dragon Ball Z, le film : dites bonjour à Golden Freezer dans ce nouveau trailer

C’est le dessin animé le plus lourd du lourd. Les choses qui m’ont marqué, ce sont les périodes Freezer et Cell.
Tu regardes des séries aussi ?
Breaking Bad, c’est lourd. Game of Thrones aussi. Mais quand tu travailles toute la journée, tu rentres et t’as juste envie de te divertir. Résultat, je regarde Charlie Sheen.
C’est quoi une journée type pour toi ? Studio, métro, dodo ?
Non. “Métro, dodo”, j’ai pas 80 ans. Je veux aussi avoir le temps de m’arrêter à la cité quelques heures ou écouter du son.
T’écris continuellement ?
Je note toujours des trucs de côté. Je réfléchis à ça tout le temps. C’est pas quelque chose de relou, mais ma vie est centrée autour de ça.

Daech déclare la guerre aux instruments de musique

Avant de s’en prendre à des vestiges archéologiques, ils s’en sont pris à des instruments de musique.
C’est chaud depuis que les Américains sont descendus dans ces pays pour foutre la de-mer et prendre le pétrole. Tout le monde veut sa part du gâteau. Ils veulent recréer les frontières.
Pourquoi ils s’en prennent en premier lieu à la culture ?
Pour aliéner les gens. Pour qu’ils arrêtent de réfléchir. Parce que la culture fait réfléchir. Après ils vont brûler les livres. Après ils vont donner leur “vérité”, leur soi-disant “vérité”.
Pourquoi tu penses que des Français vont là-bas ?
C’est la matrice d’Internet mec. En tout cas moi j’y vais pas. La question d’avoir une culture ou non, c’est pas ça : ils veulent peut-être donner un sens à leur vie, prouver quelque chose.

À Béziers, Robert Ménard arme la police municipale… et le fait savoir

Entretien : l’évolution du tatouage selon Filip Leu, Bill Salmon et Luke Atkinson

T’as un tatouage ?
J’ai un tatouage mais je l’ai fait sur un coup de tête : j’avais mis le nom de ma mère. J’aurais pas dû le réaliser.
Pourquoi ?
Pour des raisons de croyance. Mais dès que j’ai le time je le fais enlever. Je crois qu’il faut laisser le corps tel qu’il est. En baignant dans le milieu de la musique, j’aurais pu être bardé de tatouages.
Finalement la musique ne t’a pas changé.
Jamais de la vie. Je sais d’où je viens et je sais que ce qui commence doit finir.
T’habites toujours à Sevran ?
Juste à côté.
T’iras jamais, toi aussi, à Miami un jour ?
Qu’est-ce que je vais aller foutre là-bas ? Jamais de la vie. Si je dois partir, c’est soit au bled soit au Maroc.

Rihanna devient la première égérie noire de Dior

Le black metal n’est pas une affaire de filles

C’est la même chose d’après toi dans le rap ?
Les filles peuvent rapper. Pourquoi elles ne pourraient pas ?
Le problème en France, c’est qu’on a beaucoup de mal avec les filles, et même dans le rap. Le problème à ce niveau-là, c’est que le rap représente des sujets bien précis et c’est difficile pour une femme de s’identifier. Si elles parlent de sexe, elles seront vite traitées de salope. Mais le rap, il faut le voir dans une autre perspective. Si elles kickent, si elles posent bien leurs punchlines, elles ont le droit de rapper.

En images : le style des boys de Dakar

Tu retournes souvent sur tes terres d’origine ?
Je ne suis pas retourné en Côte d’Ivoire depuis trois à quatre ans mais j’aimerais aller à Dakar. Quand je vais en Côte d’Ivoire comme à Sevran, je ressens quelque chose, de la fierté. Je ne sais pas si les Ivoiriens sont fiers de moi, je n’ai pas encore fait de scène au pays. C’est en train de s’organiser.
Propos recueillis par Rachid Majdoub et Louis Lepron